Il est né… (Chant de Noël)

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1.

    Faute de neige sur les toits, il y en avait sur l’écran du poste T.V, la pièce

était déserte et il fonctionnait dans le vide.

    Un cri éclata dans la chambre jointe, une souffrance, une libération. Dans

le même instant, la porte donnant accès au troisième étage s’ouvrit violement

sur la face grimaçante d’un  homme. Elle était déformée par l’ivresse et la

rage. Il s’appuya dans l’encadrement pour reprendre son équilibre puis continua

sa progression titubante entre les meubles éparses.

    Un mot revenait inlassablement entre ses dents si serrées qu’il était impossible

de le comprendre.

    Il trébucha sur la table basse, s’ouvrant l’arcade sourcilière. Il se releva

péniblement, un filet rouge ruisselant jusqu’à sa bouche. Anesthésié par l’alcool

il ne ressentait aucune douleur. En entrant dans la chambre, le mot éclata entre

ses lèvres maquillées de sang :

-         Salope…

2.

    Etendue dos sur le lit, le cordon ombilical pendant encore entre ses cuisses,

elle tenait son bambin sur son ventre. Bien qu’il fut sorti de son corps, elle le

sentait encore faire parti de sa propre chair.

    Quand elle entendit du bruit dans la salle, elle sentit son enfant en danger et remonta le drap pour le cacher. L’homme entra tel un dément, arracha le drap et découvrant la petite masse fripée, il hurla :

-         Tu n’es qu’une putain, ce gosse n’est pas le mien.

Sur ce, il lui arracha la petite larve grimaçante. Elle tenta de lui résister :

-         Non, Joseph …

Mais elle était bien trop faible.

3.

    Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait, son cerveau étant encore dans

 l’incapacité d’assimiler la foultitude de sensations qui lui parvenaient de

 l’extérieur.

    Tout ce qu’il ressentait : c’était cette formidable dose d’amour qui l’avait

submergé juste après qu’une effroyable douleur lui eut transpercé le poitrail alors qu’il inspirait pour la première fois, puis ces grosses mains rugueuses transpirant

la haine qui l’avait violement saisi et balloté malproprement.

    Maintenant, tout était à nouveau calme mais il sentait le froid l’imprégner de

plus en plus profondément. S’il ne réagissait pas, la vie allait s’enfuir de son

corps alors il se mit à crier plus fort, de toute l’ampleur de ses petits poumons fraîchement décollés.

4.

    -  Oui, les cris viennent bien du vide-ordure.

Le sapeur-pompier s’infiltra par l’embouchure recouverte d’une pellicule de

détritus en décomposition. L’odeur le dégouta un instant mais maintenant il en

avait presque l’habitude, c’était sa cinquième intervention  de la sorte depuis le début du mois.

    Il avait l’impression d’être un spéléologue dans ce tunnel noir sauf que celui-ci était en taule.

    Des cafards rampaient sur les parois verticales et glissantes, lui, était comme une araignée suspendue au bout de son fil. Il s’approchait de son objectif, lentement mais surement.

-         Je l’ai.

Et sa poigne ne lâcha pas.

5.

    Enrobé d’une couverture de survie, le bambin avait retrouvé sa béatitude. Il

suçait son pouce dans les bras de Balthazar, l’homme qui l’avait tiré du conduit

d’ordure.

-         Passe le moi un peu, demanda Melchior, le second des trois sapeurs-pompiers

qui avait participé au sauvetage.

    Le gyrophare du fourgon clignotant dans la nuit ressemblait à une étoile filante sur le périphérique qui les conduisait aux urgences de l’hôpital le plus proche.

6.

    Dans sa cage de verre le protégeant des agressions extérieures, le bambin

souriait  malgré le tube en plastique qui lui entrait dans le nez.

    Comme aux anges, deux infirmières étaient penchées sur ce simulacre de

berceau.

-         Comment va-t-on l’appeler ce petit chéri, dit l’une d’elle.

-         Cela me semble pourtant évident, répondit l’autre en montrant les petites

cicatrices que l’enfant avait à chaque main et chaque pied tels des stigmates.

                                                       +++

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