Il est passé où, le putain de Prince Charmant?

eugenie

Synopsis:

Jeanne est une amnésique de l'amour. On a beau lui dire qu'elle a déjà connu l'amour et qu'elle le connaîtra à nouveau, elle en doute et elle s'en fiche. Vue de l'extérieur, elle mène l'existence parfaite de la Parisienne célibataire. Mais peut-on être Parisienne, avoir 30 ans et être parfaitement heureuse sans avoir rencontré le Prince Charmant?

Sans chercher à s'en convaincre, Jeanne fait tout pour éluder la question: elle se noie dans son travail, enchaîne les soirées de l'underground parisien, couche avec qui et quand elle veut, boit, fume, ne dit jamais non à un peu de drogue, s'endort devant une rediff' de la première saison de L'Amour est dans le pré un joint à la main: bref, la vie de Jeanne est trash, très trash. La question du célibat, elle ne se la pose pas, ce sont les autres que ça inquiète: serait-elle une sorte de réincarnation contemporaine, anonyme et féminine de Michael Jackson, incapable comme lui de construire une vie à deux?

Jeanne mène ainsi sa vie, sans interrogation, jusqu'au jour où... son grand-père ressort une photo d'elle à six ans accompagnée d'un petit garçon, Jules: l'amour de sa vie. Un amour qui n'a duré que huit jours mais qui l'avait alors plongée dans une dépression violente, lui dit-on, elle qui ne souvient de rien. Elle serait depuis lors immunisée face au syndrome amoureux. S'il y a un remède à la maladie du non-amour, une formule magique, elle doit se trouver dans cette mystérieuse photographie de cette période bénie et nourrie d'amour qu'elle a parfaitement évacuée de son esprit.

Alors qu'elle poursuit son existence à l'abri de tout sentiment en enchaînant les coups d'un soir malgré la déclaration officielle de son voisin qui lui sert d'alibi dès qu'un homme se montre trop collant, Jeanne doit s'occuper de la défense de la nouvelle star à la mode: un transsexuel répondant au nom de Myrna. Il fait un mètre quatre-quinze, a des cils longs comme des cheveux, les joues fardées et les lèvres bleues. Mais elle reconnait son regard, ce regard de l'être aimant, Myrna est Jules, or un simple syllogisme permet d'arriver à la conclusion suivante: si Myrna est Jules et que Jules est l'amour de sa vie,  Myrna est donc l'amour de sa vie. Mais comment donc séduire un transsexuel célébrissime et inabordable quand on constitue tout ce qu'il rejette: la bourgeoise intellectuelle au métier conformiste.

Jeanne a toujours eu qui elle voulait et il ne faudra pas bien longtemps à Myrna pour succomber à ses avances discrètes bien que répétées. Mais il va bien vite falloir se rendre à l'évidence, la popstar trash n'est pas le Prince Charmant idéal: il finit le fond de teint, flirte avec tous les hommes, rentre de boîtes à cinq heures du matin complétement saoul, ne sait rien faire de ses dix doigts, sent le parfum pour femmes...Et pourtant, il parvient à amadouer le voisin jaloux, à convertir Jeanne au charme d'un dimanche passé à ne rien faire, mais surtout il restaure la confiance de Jeanne en l'amour sans la confiner à une vie de couple étriquée qu'elle ne saurait pas supporter. Finalement Myrna est peut-être bien le Prince Charmant.Début:

La vision de la photo scotchée sur le grand miroir de sa chambre l'amuse toujours un peu. Bien qu'elle passe devant tous les jours, Jeanne ne prend que rarement le temps de la regarder avec attention. Pourtant ce matin-là, alors que flotte un air de nostalgie sur son appartement de la place de la République, elle se met à la scruter.

Elle doit avoir autour de six ans. La photographie a été prise en cours d'un été passé chez ses grands-parents aux environ de Hyères. Elle y a passé beaucoup d'étés, presque tous à vrai dire jusqu'à ses 16 ans, mais cet été-là revêt une importance particulière: le déni du premier amour. Il était fort, il était grand, le soleil de juillet avait doucement hâlé le teint de ce petit garçon et ses cheveux noirs ébouriffés n'étaient pas sans rappeler ceux de Tom Cruise. Elle se souvient à présent des projets qu'ils avaient nourris ensemble pendant la courte semaine durant laquelle il avait séjourné dans la maison familiale à l'invitation de son cousin. Le mariage devait se dérouler à l'abri des regards indiscrets dans la forêt de pins qui cachaient la plage. Ils s'étaient longtemps promené pour trouver l'arbre parfait qui aurait su accueillir pareille cérémonie. Il lui avait dit des mots qui l'avaient touchée et l'expérience  de ses 8 ans aidant, Jules avait même eu la hardiesse de déposer sur ses lèvres pâles le plus tendre des baisers. Elle l'imaginait prince, il l'appelait ma colombe, ils jouaient ensemble au mari et à la femme, elle lui préparait son chocolat le matin et il lui promettait de la défendre toujours, contre les brigands ou les dragons, peu importait puisque son amour pour elle et son courage étaient sans limite. Le 15 août, les parents de Jules étaient venus le chercher et Jeanne découvrit alors la douleur de la séparation d'un amour naissant. Ses grands-parents s'étaient inquiétés de la voir sombrer dans un mutisme que rien, ni l'achat du Journal de Mickey, ni crèmes glacées ou colliers de coquillages n'avaient su dissiper. Le goût de vivre et avec lui le rire, l'appétit et même un degré raisonnable d'hygiène quotidienne, avaient quitté Jeanne. Alarmée par ses beaux-parents, la mère de Jeanne était venue de Paris pour tenter de la raisonner mais il n'y avait rien à faire, rien à dire qui eut pu la distraire. La mère de Jeanne, en femme expérimentée, osa le diagnostic: chagrin d'amour, cela passerait avec le temps. Mais le temps fut long pour la petite Jeanne de six ans, d'autant que les sarcasmes moqueurs de ses frères et cousins, que la simple évocation du mot "amour" faisait alors doucement ricaner, rythmèrent les derniers jours de vacances. A la rentrée, la prophétie de la mère se réalisa, Jeanne avait oublié et ne s'était rappelé de cette anecdote que lors de son évocation par le grand-père au cours d'un diner. Il avait fallu fouiller dans les albums de vacances pendant un long moment pour retrouver la preuve par l'image de l'idylle estivale: une photo représentant Jeanne et Jules tels des Bonnie & Clyde miniatures visiblement contrariés de voir leur intimité profanée de manière si brutale.

Elle avait ôté le cliché de l'album sous les rires taquins et l'avait inspecté un long moment à son retour chez elle avant de l'accrocher à l'endroit qu'il occupe sereinement depuis.

Mais voilà, le monde n'est pas exactement devenu ce qu'il était prévu qu'il devienne: Jeanne n'a rien d'une princesse puisque le prince charmant n'est jamais réapparu.

En fait, sur le plan amoureux, la vie de Jeanne est l'exact opposé de ce qu'elle avait pu espérer un jour. Pour s'en convaincre une fois de plus, elle jette un regard dépité sur le côté droit du lit: un homme, même pas beau, dont elle ignore le nom est en train de baver sur son oreiller préféré.

Ce vague air de nostalgie sus-évoqué n'est en réalité que le produit d'une sévère gueule de bois agrémentée de descente de drogue bon marché. Jeanne sait bien qu'elle ne trouvera pas l'amour de sa vie dans la queue mixte des toilettes de la Flash Cocotte mais c'est plus fort qu'elle. Dans peu de temps, dès que l'intrus aura quitté son appartement, elle fera un nouveau bilan - catastrophique - sur la situation. Inévitablement, les résolutions les plus téméraires seront prises avec assurance et viendront s'ajouter à toutes celles jamais tenues bien longtemps qui rythment l'existence de Jeanne depuis sa rencontre avec l'alcool, le sexe, la drogue, le rock'n'roll, Pierre, Marc, Louis, Kamel, Florence, Jean, Léon, Lucie, Jérôme, Gauthier et tous les autres. Mais non, aujourd'hui elle ne promettra rien, les résolutions du samedi matin sont des mensonges: d'après  ses statistiques savantes, Jeanne a compris que les résolutions qui ont le plus de probabilité de durer sont celles du dimanche. Il est, par ailleurs, intéressant de constater que la durée de l'engagement est généralement proportionnelle à la gravité de la situation ayant précédé la prise de position. En résumé, coucher avec le frère de son ex un vendredi soir génére des conséquences désastreuses le samedi soir, tandis que la même chose le samedi soir précède presqu'autimatiquement un sevrage complet du dimanche matin au vendredi soir suivant minimum. Malheureusement, le minimum est souvent le maximum...

Jeanne, qui demeure extrêmement diplomate en toutes circonstances, dispose de ressources inépuisables pour mettre fin de manière courtoise aux situations les plus inconfortables. Elle sait, par expérience, qu'il serait malvenu de réveiller elle-même l'homme qui dort dans son lit, aussi compose-t-elle, avec une rapidité surprenante compte tenu de son état, le numéro de son voisin du dessus. Elle le bipe à deux reprises successives. La procédure de sauvetage est engagée. A peine quelques secondes après, retentissent, à un volume exagérément élevé, les premières notes de la chanson "Killing in the name of" des Rage Against The Machine. En-dehors de rares cas récalcitrants qui se tourneront avec peine dans le lit, les malvenus seront automatiquement réveillés par le deuxième ou troisième Killing in the name of et le son sera coupé après le solo de guitare. Le morceau, l'intensité sonore, le réglage des baffles  ainsi que la durée de l'extrait ont été ingénieusement réglés au terme d'une longue période d'essais afin d'atteindre l'effet escompté le plus rapidement possible en toute impunité.

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