Il était la première fois...

Jane Véronique

ZOÉ... Un nain... Il court... Une montagne de... Une lampe à huile ... Il court. Il court...

ZOÉ est haute comme trois petites poules empilées l'une sur l'autre.
Et ses couettes couleur d'orange, de sucre roux, d'épices en pain, s'ébouriffent en touffes drôles où les souris nichent par trois…
Sa robe est chocolat.
Et ses collants, poils de biscuit.
Ses bottes, menthe sucre poudré.
Elle sent l'après-midi, l'heure du goûter après l'école, le mercredi.
Elle aime respirer la feuille de framboise et se tacher de baies framboise dans le buisson de chenilles crues.
- Craaaac…
Ce craquement vient de là.
Quand dans un autre craquement encore plus près, juste à côté, un nain haut comme trois petites poules, empilées l'une sur l'autre, jaillit et rebondit.
Une balle dans un rebond.
- CRAAAAC !
Il se met à courir, à courir en tournoyant.
Oh ! Toupie folle s'affole étrangement.
ZOÉ en tombe sur le derrière, casse sa robe chocolat.
- Zut !
Le nain passe par là, et s'échappe par là et là, repasse par ici, revient sur ses pas.
Il court.
Il casse la lampe à huile à piéger les moucherons.
Il glisse sous la brouette, se cogne la tête.
Il court. Il court.
Il traverse le tas de paille dans un sens et dans l'autre, dans tous les sens, à l'endroit et à l'envers, et par devant et par derrière.
Sa barbe s'ébouriffe en touffes drôles où les souris nichent par trois.
Il court. Il court. Il court.
Le tas de paille reste tout plat où les souris nichent par trois.
Il roule boule en boule roule.
Il tourbillonne les bras en l'air.
Il virevolte et volte et vire.
Il tourne et retourne autour du seau en fer, et se cache et s'enfuit comme une tortue à carapace en seau en fer de fer blanc. Il glisse, patine, dans l'huile de lampe assaisonnée de moucherons, perd sa carapace dans la flaque d'huile de moucherons.
Il grimpe sur la montagne de patates aussi énorme qu'une montagne. Il escalade, escalade et escalade, mais la montagne de patates s'affaisse sous ses pas. Il grimpe et grimpe, dégringole, remonte alors, deux fois, trois fois et d'autres fois encore, éparpille toute la montagne en patates éparpillées et tombe sur le derrière, comme ZOÉ, contre elle, tout à côté…
- Tu n'arrives pas à t'échapper, on dirait bien. Sourit ZOÉ en croquant un morceau de robe.
Le nain s'essouffle, respire à toute allure de tout son ventre et se gonfle et dégonfle comme une gorge de grenouille.
ZOÉ lui tend une botte menthe sucre poudrée.
- Tu devrais boire, il suffit de rajouter et de l'eau ou des bulles, ou des bulles et de l'eau.
Le nain est triste, sa barbe blanche n'est plus si blanche et ses souris perdent la tête.
- Je ne suis qu'un nain de jardin, fixe, figé, immobile comme un piquet de clôture, un petit piquet, de petite clôture… immobile et… je ne sais pas m'échapper…
- Tu as cassé la lampe à huile à piéger les moucherons et éparpillé la montagne en patates éparpillées… mais personne ne t'a attrapé ! Personne, personne et personne !
- Alors je sais un peu m'échapper ? C'est la première fois!
- Tu sais un peu t'échapper, un peu, c'est déjà bien pour une première fois.
ZOÉ rit.
- La prochaine fois, je m'échapperai plus loin, tu viendras avec moi? 
Mais ZOÉ est une poupée et ses couettes couleur d'orange, de sucre roux, d'épices en pain, s'ébouriffent en touffes drôles où les souris nichent par trois…
Sa robe est chocolat.
Et ses collants, poils de biscuit.
Ses bottes, menthe sucre poudré.
Et elle ne sait pas s'échapper…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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