Il eut Zion.

Blurp De L'espace

Et si tout n'était qu'un rêve?

Il eut Zion

 

Déroulement de l'histoire

Episode 1 : Départ de la famille Derbès dans un petit village de la côte bretonne. Job, chef d'une société de fabrication d'allumettes, se rappelle au fur et à mesure du voyage d'anecdotes et de souvenirs avec sa femme, Cathie et sa chère fille Zoé.

En parallèle, des scientifiques font de drôles d'expériences. Ils élaborent un programme, ZION. Curieusement la famille Derbès et ces expériences sont étroitement liées.

Lancement du programme, disparition de Job dans un relais routier. Une caméra tourne.

Episode 2 : Découverte du but de ce programme scientifique, ZION. Terme désignant un monde idéal chez les hippies. Job est perdu, quelque part. On découvre une sombre vérité sur les identités des deux femmes de sa vie. Une caméra tourne.

Episode 3 : Machine arrière. La vraie vie de Job, pas celle simulée par ZION, racontée jusqu'à son entrée de l'autre côté. Une caméra tourne.

Episode 4 : On suit l'évolution de Job, ainsi que celle des scientifiques. En parallèle, un metteur en scène déballe un nouveau projet pour une œuvre cinématographique. Une caméra tourne.

Episode 5 : Toute l'humanité peu à peu se révolte contre le programme ZION, alias l'Arche de Noé de la planète, quand celle-ci s'éteindra. Une autre dimension, onirique, où l'homme pourrait continuer d'exister. Les scientifiques cherchent à prouver que l'homme s'adapte à tout, même à l'imaginaire. Job est toujours coincé dans cet autre monde. Le cinéaste commence à organiser un tournage. Une caméra tourne.

Episode 6 : Job, le directeur du laboratoire s'occupant du programme ZION et le cinéaste se sont croisés plusieurs fois dans leur vie. Ils sont liés. Ils découvrent qu'au final c'est eux trois qui vivent dans une autre dimension et qui sont cobayes d'une expérience. Une caméra tourne.

Episode 7 : Tout se mélange, tout se confond puis tout se stabilise. Les trois personnages font une mise au point sur leur vie, persuadés qu'ils ne sortiront jamais de l'enfer où ils sont plongés. Trois contre le monde entier. Tourbillon de souvenirs, de vies, et d'explications sur cette vie invraisemblable qu'ils mènent et qui peut-être est bien réelle. Une caméra tourne.

Episode 8 : Vingt ans plus tard. Une conférence. Des journalistes, des flashs. Et les trois personnages racontant leur épopée et reprenant une vie normale. Une caméra tourne.

Episode 9 : Récit de ce qu'il s'est passé durant ces vingt années. Folie. Réalité. Mensonge. Mauvaise Blague. Une caméra tourne.

Episode 10 : La caméra s'arrête de tourner. Un père la range dans son armoire. Va vers sa petite fille et lui dit qu'il a tout filmé. La petite fille s'enquiert de dire que ce sera le plus beau des films. Son père lui répond qu'elle a la plus belle des maisons de poupées, que c'est donc normal que ce soit le plus beau des films. Il lui demande de lui raconter l'histoire qu'elle faisait avec ses poupées pendant qu'il la filmait. La petite fille, c'est Zoé.

Il eut ZION.

Scriiit. La fermeture éclair d'une petite fille s'ouvrit.

Phop. Un capot de voiture claqua.

Clac. L'étui à rouge à lèvres d'une femme se ferma.

« La vieille jeep est sellée et est prête à galoper, je vous prie de monter à bord mes princesses, décollage dans moins d'une minute ... TOP CHRONO ! »

Vroumb. Un bruit assourdissant suivi d'une odeur âcre s'éleva et la voiture-monture-jeep de la famille Derbès démarra...

… au quart de tour l'écran d'un ordinateur s'allume.
Avec frénésie, un attroupement de jeunes gens en blouse et gants se crée autour. Le bruit régulier et saccadé de stylos à bille grattant des bloc-notes emplit peu à peu la pièce .Et puis, plus rien. Le Silence. Bip. Le voyant rouge d'une caméra s'allume dans un coin.

« L'histoire peut commencer. Action ! »

Il faisait nuit .Les Derbès roulaient depuis plus d'une heure, empruntant de petites routes sinueuses disposant pour tout éclairage des phares de la vieille jeep de Job. Le doux ronronnement du moteur accompagné en sourdine de Thriller berçait les deux femmes de sa vie.

Il est près de minuit et le Mal menace dans l'ombre

Sous le clair de lune tu vois un regard qui te glace le cœur

Tu essayes de crier mais la terreur s'empare du son avant que tu ne l'exprimes

Tu commences à être gelé pendant que l'horreur te regarde droit dans les yeux

Tu es paralysé.

Zoé, recroquevillée sur la banquette arrière, serrait avec conviction, tout contre son cœur quelque chose qui ressemblait étrangement à un tube à essai. Du moins c'est ce que vous dirait n'importe quelle personne normalement constituée. Néanmoins, ce que la petite fille des Derbès tenait entre ses fins et blancs doigts était tout autre. Tellement autre. Et plongée dans un profond sommeil, on pouvait facilement constater qu'au fur et à mesure que son souffle se faisait plus long et plus chaud, l'éprouvette se fardait légèrement d'une teinte bleue-violette.

Job repoussa avec douceur et précaution la tête de Cathie qui venait de se poser sur son épaule. Tout en réajustant son coupe-vent il se prit à penser à ce qu'il ferait si sa femme n'existait pas. Ne trouvant pas de réponse satisfaisante, il chassa cette idée d'un vif retroussement de nez et se concentra sur sa conduite. Il préférait éviter quelque incident, de type accident, qui menacerait de faire tomber à l'eau leur voyage.

A vrai dire les Derbès ne partaient pas souvent en vacances... Ce n'était pas faute de moyens, mais faute de temps.

Job était, en effet, à la tête d'une société de fabrication d'allumettes qui engloutissait tout son temps libre. Il avait, cette année, mis en vente des allumettes réutilisables plus de dix fois et avait personnellement tenu à en faire la promotion. Promotion qui avait rapporté ses fruits et qui propulsa les chiffres de ventes chaque jour un peu plus haut. L'acharnement de Job pour sa société doubla voire tripla durant les mois qui suivirent la mise en vente de ses fabuleuses allumettes.
Il manqua à sa femme et à sa fille. Un manque qui chaque jour grossissait. Grossissait, à n'en plus finir. De ce fait un gouffre prit forme entre Job et sa petite famille, un tel gouffre, qu'au vu de la situation, on pouvait aisément affirmer que rien ne pourrait plus jamais l'effacer.

Du moins c'était ce que les voisins du quartier disaient.

Zoé fut couverte de cadeaux. Hélas, il est bien connu que nul jouet, aussi extraordinaire soit-il et aussi cher qu'il puisse coûter, remplace jamais l'absence d'un père, que ce soit une poupée qui parle ou un incroyable costume de fée... Job ne le comprit que trop tard en rentrant un soir, chez lui, plus tôt qu'à l'accoutumée et en ne trouvant plus sa fille à guetter son arrivée, assise près du porche. Cathie, quant à elle, emplie de haine envers ce mari qui n'était pas présent, était partie un beau matin chez sa mère avec Zoé, en laissant comme toute excuse, un mot, ce mot :

La prochaine fois, au lieu de m'acheter des cosmétiques et des chaussures de luxe, pense à investir dans un lit une place, car ce ne sont ni mes Louboutin, ni ma poudre Chanel qui réchaufferont, le soir venu, la place inlassablement vide du côté gauche de notre lit (ce qui sous-entend qu'à la base il n'y a pas que moi seule qui est censée y dormir, mais toi aussi!)

P.s : Prépare-toi bien à faire connaissance avec les joies du pressing et des boîtes de conserves, chéri.

A la suite de ces péripéties déconcertantes -qui l'emplirent de perplexité-, Job prit deux semaines d'arrêt de travail pour surmenage, fit faire un contrôle technique à sa jeep et décida d'emmener ses petites princesses dans une petite maison, qui se trouvait elle-même dans un petit village, sur la côte bretonne. La seule annonce de ce voyage eut un réel impact sur la vie des Derbès.

Zoé s'habilla en fée et joua à la poupée devant ses copines de l'école primaire plus souvent. En déclarant à qui voulait bien l'entendre qu'elle avait, à ce jour, le plus fort des meilleurs papas du monde.

Cathie mit ses Louboutin aussi souvent que possible et se laissa vaniteusement complimenter sur son nouveau rouge à lèvres dès que l'occasion s'en présentait, criant sur tous les toits que nulle part, pas même au fin fond de l'Himalaya, il n'existait d'homme plus parfait et accompli que ne l'était son mari. Au vu de la situation, on pouvait aisément affirmer que rien ni personne ne pourrait altérer le bonheur de cette famille.

Du moins c'était ce que les voisins du quartier disaient.

Job tenant d'une main le volant, sortit de l'autre une cigarette mentholée et une allumette. Il fuma. Et pendant qu'une volute de fumée s'échappait de l'entrebâillement de ses lèvres, il pria pour que son bonheur ne soit pas aussi éphémère que la flamme de l'allumette et aussi rapidement consumé qu'une cigarette calcinée par cette même flamme...

...c'est un des techniciens de laboratoire qui mit le feu aux poudres. L'étui à essai perforé de puces électroniques venait de tomber sur le plan que les scientifiques en blouse et gants observaient. C'était lui, ce technicien, qui d'un éternuement provoqua cette catastrophe. Tout s'était passé très vite, trop vite. Et tout maintenant se passait trop lentement.

Les regards dépassés des scientifiques qui lâchèrent unanimement leur bloc-notes pour se ruer sur l'ordinateur central.

Les yeux du technicien qui pensait d'ores et déjà à son potentiel licenciement et à comment il allait l'annoncer à sa femme.

Le soubresaut qu'eut le corps d'un homme couvert d'électrodes, allongé sur un lit.

Le sentiment d'années de travail qui allaient partir en fumée.

Cette incrédulité, cette incompréhension dans l'expression des visages des secrétaires de bureau qui au-dessus de la salle d'expérimentation ne comprenaient rien à l'agitation et au bruit qui se passait plus bas.

Et puis d'un coup, soudainement, une voix : « Tous à vos postes, lancement du programme ZION. »

Bip. La caméra tournait toujours.

Le jour se levait. Job avait garé la voiture sur le bas-côté d'une route englobée de part et d'autre d'infinis champs de blés. Il ouvrit sa thermos et en versa la boisson brûlante dans un gobelet en plastique. Le plastique chauffa, brûla les mains de Job, qui lâcha sa thermos ainsi que son précieux gobelet. A la suite de ce geste, il perçut la chute de son café de la même façon que l'on perçoit la mort du héros dans une série B du plus mauvais genre. Une musique alarmante et attristante qui vous fait faussement espérer que le café revienne dans les mains de son possesseur, associée à l'instauration du suspens en passant la scène au plus lent des ralentis.

Voilà comment Job vécut la chute de son cher et accidenté café.

Après coup, ses chaussures baignant dans une mare noire foncée, il regretta amèrement de ne pas aimer le café bien dilué. Il leva les yeux au ciel, secoua ses chaussures noires laquées, admira l'étrange envolée d'une quinzaine de corbeaux et se remémora tout ce qui dans sa vie s'était apparenté à la caféine. Il se passait souvent de drôles de choses dans la tête de Job. Il lui arrivait de se rappeler de choses qu'ils n'avaient jamais vécues et avait souvent conscience de vivre des choses dont il ne se souviendrait jamais. Pour le coup, une indigestion de Coca Cola et le premier café offert à Cathie lui revinrent à l'esprit. Sa mère, à ses vingt ans, lui avait administré pour guérir un mal de ventre une bassine pleine de Coca Cola qu'il se devait d'engloutir en cinq minutes pour des résultats concluants. Au final, il manqua de se noyer et vomit toute la semaine qui suivit ce douteux traitement. Ce qui lui valut de sérieuses remontrances de la part de sa chère maman, qui lui reprocha de ne pas avoir bu assez vite. Deux mois plus tard, il offrit un cappuccino à une charmante jeune femme qui avait oublié son porte-monnaie et qui en guise de remerciement accepta un dîner le samedi suivant. Cette jeune femme, c'était Cathie, que Job présenta à sa famille deux ans plus tard, non comme une charmante jeune femme rencontrée au café du centre-ville mais comme sa future femme, la sienne, à lui tout seul, et pour toujours.

Zoé ouvrit les yeux, laissant un instant les faibles rayons du soleil matinal traverser ses petits yeux ronds. Job la regarda avec amour, fier que sa fille ait les mêmes yeux que lui. Vert anis avec une pointe gris métallique ... Yeux qui leur valaient l'admiration de tous ceux qui avaient l'honneur de les admirer.

Job se félicita d'avoir fait tomber son café, car il lui permit de se rappeler que sans le café, il n'aurait jamais rencontré Cathie, avec qui il n'aurait jamais eu Zoé et à qui il n'aurait jamais pu vanter le mérite d'avoir ses yeux .Job se dit que finalement, peu importe le bonheur, tant qu'il reste les souvenirs et les personnes qui l'ont créé...

Il ne resta au technicien qu'un bref et désagréable souvenir de l'hécatombe de la recherche scientifique dont il avait été le criminel. Son renvoi fut immédiat.
La salle d'expérimentation fut, pour une soirée, transformée en salle de conférence. Les nombreuses machines du laboratoire avaient été déplacées dans une autre salle, une cinquantaine de chaises ainsi qu'une estrade de bois avaient remplacé ces monstres de la science. Tout ce qu'il restait du laboratoire expérimental c'était le plan, le tube à essai électronique, la caméra et l'homme toujours couvert d'électrodes qui paraissait dormir d'un sommeil de plomb depuis plus de dix ans.

Nous sommes vendredi. Nous sommes le soir. Nous sommes assis sur des chaises grises dans une salle immense aux murs blancs. Nous sommes une cinquantaine d'humains. Nous sommes prêts à entendre de grandes choses. Des choses qui pourraient changer la vie. Nous nous sommes préparés à entendre des choses hallucinantes. Nous ne savons pas encore que ce que nous sommes sur le point de savoir va faire naître en nous. Nous sommes sereins, mais cela ne durera pas. Nous sommes une cinquantaine d'humains, cinquante cœurs, âmes et corps sur le point de voir le monde sous un tout autre angle.

Un grand homme fit son apparition, grimpa sur l'estrade, habilla son nez d'une paire de lunettes à monture vert foncé et munie de verres jaune clair. Un tonnerre d'applaudissements s'éleva quand cet homme massif sortit de son attaché-case une grande feuille blanche, où quatre lettres noires et écrites en gras étaient imprimées : ZION.

« Tic tac, tic tac, tic tac, tic tac.

Tic...tac...tic...tac...tic...tac...

Tic, tac fit la tactique qui en quelques secondes réveillera le monde entier ! » clama la voix off d'une publicité radio faisant la promotion de nouveaux réveils censés réveiller toute une maisonnée. Zoé, hilare, répétait à tout va que personne n'achèterait ces réveils qui :

«  Dans une famille nombreuse, feraient plus de bougons qu'autre chose, sachant que si la mère veut se réveiller à 6h et le fils à 7h, le fils serait forcé de se réveiller en même temps que la mère, et que si la famille est nombreuse, et que les membres de la famille sont plus de huit, et que si ... »

Job augmenta le son de la radio en simulant que sa chanson préférée passait.

«  Et que par ailleurs si leurs âges diffèrent de plus de 3 ans, et qu'au final... »

Cathie, qui s'était réveillée, enchérit en rajoutant que c'était la chanson qui lui rappelait le plus son adolescence.

« En contrepartie avec l'électronique et la technologie d'aujourd'hui, les résultats ne sont jamais optimaux et plus de 47% des entreprises qui fabriquent les piles de réveils sont... »

Cathie et Job se mirent à chanter à tue-tête en frappant dans leurs mains. Zoé avait dix ans et en savait dix fois plus que ses propres parents. Elle en savait tellement plus. Tellement plus qu'eux.

Il était midi quand Cathie fit remarquer à Job qu'ils n'avançaient pas, que le voyage était long et ennuyeux, que Zoé allait fatiguer et qu'elle avait l'impression que les routes avaient été étirées. Job lui répondit qu'il n'avait pas le pouvoir de faire rétrécir ces routes étirées et que Zoé inondait la voiture de son énergie et de sa vivacité. Durant tout le temps que dura ce prompt dialogue, la fillette jouait avec sa drôle d'éprouvette, la tâtant et la retournant dans tous les sens. Par moment, rapprochant ses lèvres de l'ouverture de l'objet… elle semblait raconter une histoire, une histoire qui par moment lui laissait en coin un sourire. Un sourire qu'aucune petite fille n'a. Un sourire qu'aucun adulte n'aurait. Un sourire invraisemblable, quelque chose d'indescriptible qui faisait luire dans ses yeux une étincelle malsaine.

« Malsain, dites-vous, chère madame ? Sachez que par ce seul et unique mot vous portez atteinte au travail de centaines de personnes, un travail d'une dizaine d'années. Juger que notre programme est malsain, ce serait comme affirmer qu'il est inconcevable de vouloir protéger et d'exiger un futur pour son propre enfant.

Contre-nature, dites-vous, monsieur ? Je m'insurge de cet infâme propos ! Nous autres humains, nous nous efforçons à garder saines et sauves des espèces en voie de disparition et quand bien un jour nous-mêmes serions en voie d'extinction, vous me dites, clairement, qu'il serait contre-nature d'essayer de nous sauver ?

Charmants enfants, que vous êtes… En premier lieu, j'aimerais vous informer que nos cobayes signèrent il y a de cela 11 années, 200 jours et 8 heures exactement, un pacte attestant de leur accord pour ces expériences… que vous qualifiez, aujourd'hui de malsaines et contre-nature.

Et voilà encore la preuve que l'espèce humaine est éternellement insatisfaite et changeante !

Quand notre projet fut annoncé à la presse, combien étiez-vous excités, en révolution intérieure avec vous-mêmes, sans avoir vraiment lu ou écouté ce dont le programme traitait réellement… combien ô anciens jeunes que vous étiez et nouveaux vieux que vous êtes devenus, ne vous revient-il pas en mémoire ce titre : ‘' La vie est une bulle de savon, si elle éclate, soufflons à nouveau !''

Cette phrase, c'était votre slogan ! Oui, mesdames, oui, messieurs, votre devise ! Tout à fait !

Puis, le temps a passé. Vous nous avez oubliés. Néanmoins, quand de mes mains, il y a une heure, je déroulai l'affiche, vos mains, instinctivement et mécaniquement, acclamèrent la science, l'avenir, la réussite, la nôtre !

Chers femmes, chers hommes, nous sommes votre arche de Noé, votre élixir de jouvence, ayez confiance. Ce soir, c'est tout ce que je vous demande.»

La jeep poursuivait sa longue épopée des routes étirées. En conducteur, encore et toujours, Job, mastiquant un bâton de vanille. Cathie en avait toujours sur elle, où qu'elle soit. Elle manifestait un vif intérêt à l'égard de la vanille, à laquelle elle appropriait des vertus apaisantes et relaxantes. Toute sa chance et tout son bonheur s'apparentait à la vanille. Son bac, elle l'avait eu à l'aide d'une gousse de vanille coincée dans son chignon, qui d'après elle, avait stimulé sa matière grise d'une façon faramineuse ! Le culte de la vanille.

«  Trèves de bavardages, mesdames, messieurs, car à présent c'est sous vos yeux ébahis qu'arrive à grand pas, l'instant crucial, l'élément perturbateur qui fera virer à la folie, le bon sens de tout un chacun. Notre kit de magie pour débutants est en vente dans les rayons jouets de toutes les grandes surfaces au prix déroutant de 29,99 euros. Offre valable sous certaines clauses. »

Job appuya sur le bouton off de la station radio de la vieille jeep, le son grésillait et lui faisait penser à une bataille déchaînée de mouches agonisantes au fond d'un gobelet de soda.

Zoé, quant à elle, jouait avec la carte routière, agitant au-dessus de celle-ci son mystérieux tube à essai. En le tenant entre son pouce et son index, elle lui faisait effectuer des mouvements de va et vient, un peu comme ceux d'une chaise à bascule. Le même rythme lent et envoûtant qui endort et plonge dans l'univers onirique, en quelques minutes, le nourrisson qu'une mère berce.

Un laps de temps très court passa. Zoé de son index un panneau routier montra. Ce panneau indiquait un chemin. Une nouvelle route à prendre, un nouveau destin. Et ce dessein tragique que prit la famille Derbès porte à ce jour le nom de paresse. Paresse de continuer à voguer sur ces routes sinueuses et préférer la facilité d'une route hasardeuse. Route, appelée autoroute. Une lettre, trois chiffres. A666.

« Bonne fin de soirée à tous ». Le grand homme aux lunettes à montures vertes et à verres jaune clair, retira ces dernières, procédant à une prompte révérence. Et on put dès lors, quand il leva son regard, distinctement apercevoir ses prunelles. Vert anis avec une pointe de gris métallique.

Le paysage défilait, Zoé concentrée, l'admirait. C'était tellement plus rapide, tellement plus simple, tellement mieux d'emprunter une voie rapide.

Il régnait désormais un calme et un silence reposant dans la voiture-monture-jeep des Derbès. Tout était en osmose, tout s'arrangeait. Ils allaient arriver plus rapidement, Cathie arrêterait de se lamenter, Zoé se tairait. Un départ en vacances parfait.

Mais voilà que soudain une symphonie d'estomacs affamés se fit entendre. Pareille à un rugissement de bête sauvage.

Zoé de son index un panneau routier montra. Ce panneau indiquait un chemin. Une nouvelle route à prendre, un nouveau destin. ‘'Ainsi la paresse est mère, elle a un fils, le vol, et une fille, la faim'' dit un jour un grand moraliste français. Et tout se joue dans cette phrase-là, voyez-vous. La paresse d'une mère à préparer des sandwichs, le vol d'une vie, d'une histoire, et l'estomac criard d'une fille qui a faim. Tout est là.

Le panneau annonçait un relais routier. La famille s'y arrêta. Zoé à son éprouvette, une histoire raconta. Job demanda aux deux femmes de sa vie de patienter bien sagement dans la vieille jeep, en attendant qu'il ramène quelques victuailles du self-service. Un baiser envoyé à sa femme bien-aimée, un clin d'œil décoché à sa fille chérie. Et puis une pensée, celle de ne pas oublier de prendre du café bien dilué et une glace à la vanille.

Le soleil brillait bien haut dans le ciel, éblouissant tout ce qu'il dominait. Cathie sortit de son sac à main une paire de lunettes de soleil qu'elle posa délicatement sur le bout du nez de Zoé. De petites lunettes rondes à montures vert foncé et à verres jaune clair.

«  Vous pouvez tout enclencher, nous sommes prêts, 1…2…3, le compte à rebours est lancé ! »

Bip. La caméra s'était arrêtée.

« Tic tac, tic tac, tic tac, tic tac.

Tic...tac...tic...tac...tic...tac...

Tic, tac fit la tactique qui en quelques secondes réveillera le monde entier ! » La radio, Cathie l'avait rallumée pour patienter. Il était près de minuit, et Zoé sur ses genoux, elles attendaient au relais routier que quelqu'un vienne les chercher. Elles attendaient un père, un mari, qui peut-être jamais ne reviendrait.

Et au loin un écho : «  Ne pas oublier le café dilué, ne pas oublier la glace à la vanille. Ne pas oublier. »

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