Il fut mon Père
scarlett-montag
Au commencement était ce funeste jour d'avril 98. Le 19 précisement. J'avais 11 ans et je ne mesurais rien à la perte qui m'était infligée. Ce jour-là, mon monde aurait dû basculer, comme le fut le monde de beaucoup de personnes. J'ai pleuré bien sur, mais n'étaient ce pas des larmes de circonstances? je ne comprenais pas. J'aurais dû peut-être, comme l'a fait ma mère, me lever en pleine nuit pour pleurer, tout doucement. Je ne l'ai pas fait. J'aurais dû me sentir plus concernée, ce n'était pas le cas. J'avais 11 ans. C'était ma seule excuse. Visionner une cassette vidéo consistait un loisir assez excitant pour m'en remettre. Peut-on juger une enfant pour ça? J'ai essayé, en vain.
La vérité? c'est que je le craignais plus qu'autre chose. J'ai de bons souvenirs,comme les journées à la plage, Noel et la piscine gonflable, des choses qui me touchen tencore maintenant, comme mon bras cassé en CE1, ses larmes comme s'il allait me perdre, les glaces qu'ils fabriquaient dans sa "Fabrique à Frissons", les nuits frites-sandwich au Bar à Choix, les balades à travers l'île... tout ce qu'il a pu sacrifier pour le bien de sa famille.
Mais c'est vrai que pour être franche, j'ai surtout le souvenir de la figure paternelle que l'on craint. Je le regrette, et pourtant quoi de plus normal? Il était et reste la personne que je crains le plus. Une peur traumatique qui se manifeste quelquefois par des rêves dans lesquels il apparaît et où je me réveille en sueur, effrayée et, j'en ai honte, soulagée. Parce que j'étais une enfant, qui faisait des bêtises, que son père gronde. Aussi simple que ça. Et j'avais toujours cette impression malsaine de me faire gronder, mais je pense qu'à 11 ans ça ne pouvait être que routinier. C'était un nerveux, pas du genre zen, et l'ironie a fait qu'aujourd'hui j'ai hérité de ce trait de caractère. Je ne savais pas une chose: j'avais herité beaucoup de lui, tant physiquement que psychologiquement. On me le répète souvent: je suis "lui". J'en suis fière maintenant.
Au fur et à mesure que je grandissais et que je m'affirmais, j'ai appris à mieux le connaitre, le plus souvent par le biais de récits drôles et anecdotiques, mais aussi douloureux.Les plus drôles relèvent de souvenirs familiaux, Papa découvrant que mon frère fumait en cachette, et celui-ci à motié pris, étant surpris, s'empressait de cacher le mégot encore fumant dans la poche de sa chemise. Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.
Malheureusement, je découvrais presque en même temps des secrets de famille que je ne soupçonnais pas: ma famille paternelle absente au mariage de mes parents "mixtes", cet héritage que mon père ne vit jamais, tout cela entrainant le fait que mon père, probablement déçu, amer, et triste, a émis le souhait, voire le besoin, de se faire enterrer dans le tombeau familial...maternel. Chez nous la coutume veut qu'à l'heure de la mort, la femme suive son mari dans son caveau. Ce ne fut pas le cas pour mes parents, mon père "attend" ma mère avec sa famille... à elle, ce qui est très revelateur des rancunes qu'il garde vis-à-vis de sa propre famille.
Alors voila comment je découvre, au fur et à mesure, l'histoire de ce père qui a peut-être vécu dans la douleur, sans qu'aucun de ses enfants ne le devine, et je pense que que c'est là qu'a residé son plus grand sacrifice, et sa plus grande force également. Cette capacité qu'il a eu à cacher ses blessures, aux yeux du monde, de sa famille, pour nous épargner.
Mes sentiments aujourd'hui apparaissent presque clairement: presque car il subsiste malgré tout des zones d'ombre. Je ne saurai jamais quel homme mon père a vraiment été et je ne pourrai jamais vraiment le décrire le plus précisément à autrui, mais je continue à recueillir des bribes de témoignages, ici et là. Ne serait-ce que pour laisser une trace à ses petits-enfants.
C'est maintenant que je réalise et c'est ainsi que je ressens les choses également. Je garde les bons souvenirs, les meilleurs moments d'une vie de famille.
Et je m'imagine ce père avec ses qualités, ses défauts, les rêves qu'il avait pour lui, sa femme et ses enfants.
Je rattrape en quelque sorte les trois lignes que j'ai écrites ce 19 avril 1998, en y mettant les sentiments, les points de vue, la tendresse d'une jeune fille de 24 ans.
"Peu importe qui mon père a été. L'important c'est le souvenir que je garde de lui". Un jour je le retrouverai et je lui dirai "pardonne moi, ce jour-là, je ne savais pas ce que je perdais".
oui, c'est l'histoire de mon père. merci beaucoup :)
· Il y a presque 14 ans ·scarlett-montag
C'est autobiographique ? Très beau en tout cas..
· Il y a presque 14 ans ·sushi