Il fut un temps

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Quelle était douce et fraiche la main de cette femme sur son front. Avec son voile et sa longue blouse blanche, elle était un ange.

Il apercevait son visage à travers la fièvre. Elle était belle comme sa mère et il l’appelait madame. Il avait de la chance, disait-elle, il était solide comme un roc, un vrai gars de la campagne, bientôt le souvenir de sa pneumonie ne serait qu’un mauvais souvenir.

Mais lui, il ne voulait pas guérir. Il voulait rester là, entre ces draps blancs et propres, dans la chaleur feutrée de cette chambre. Il ne voulait pas y retourner. Il préférait le feu qui lui rongeait la poitrine à cette boue faite de terre, de sang et d’urine qui lui collait à la peau, s’infiltrait dans ses pores, lui glaçait l’intérieur et lui bouffait la tête.

Il enviait ceux qu’on amputait. Il les entendait hurler, supplier, pleurer à côté de lui. Ils avaient son âge et allaient perdre un bras, une jambe. Ils ne feraient plus danser leur fiancée au bal du village, ne feraient plus de promenades à bicyclette dans la campagne verdoyante mais eux, ils n’auraient pas à y retourner. Sortis d’ici, avec leurs moignons, ils retrouveraient la douceur de leurs chez-eux. Leur mère les prendrait dans leur bras, les appellerait « mon petit », et alors, ils pourraient commencer d’essayer d’oublier.

Il ne voulait pas guérir mais il guérit.

L’ange avait raison. Un matin, elle attendait à ses côtés, sur le perron de cette grande maison transformée en hôpital, la carriole qui l’emmènerait à la gare.

« Allez, Petit Jean, (Petit Jean, c’était comme ça qu’ils l’appelaient au village), prenez-soin de vous ».
Au moment où le vieux cheval gris s’arrêta devant eux, il eut envie de l’embrasser, de se blottir contre elle. Il lui tendit une main froide et sèche.

« Petit Jean, tu viens jouer aux cartes avec nous ? ».

Petit Jean ne répondit pas. Il préférait continuer à rêvasser, pour oublier qu’il était revenu.

Depuis quelques jours, c’était plutôt calme, de part et d’autre. Moins de tirs, moins d’avions, moins de tout sauf de cette peur qui n’avait pas cédé une once de terrain. Les nouvelles n’arrivaient pas vite dans ce front reculé, les jours raccourcissaient, l’hiver serait bientôt là.

Un nouvel hiver. Pas question d’en vivre encore un. Il avait entendu que certains avaient trouvé la solution en se mutilant un pied, une main. Aurait-il le courage de se tirer une balle dans la jambe ? Il avait aussi entendu parler de conseil de guerre pour ceux pour qui ça tournait mal. Mais il était un chanceux, c’était ce que lui avait dit son ange à l’hôpital. Il vouait croire à sa bonne étoile. Il n’ya avait plus que ça qui le soutenait.

« Petit Jean, tu te décides pour cette partie de rami ? »

« Merci, les gars, mais il faut que je nettoie mon fusil ».

C’était ce qu’il allait faire. Mais avant, il commença une lettre pour sa mère.

« Le 3 novembre 1918,

Ma chère maman,

…………… »

  • Beaucoup d'émotions et de sensations passent en très peu de mots. L'évocation des horreurs de la guerre, à travers de prisme de la perception personnelle de Petit Jean, est finalement universelle... Un très beau texte.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Evelyne lagarde clio 6 redim

    violetta

  • bravo, beau texte, et souvenons nous encore de ces hommes mutilés ou morts pour notre liberté!

    · Il y a environ 13 ans ·
    Dsc06413 54

    mnette

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