Imagine un peu, c’est un jour triste, oui très triste

lespizzasjoey

Imagine un peu, il fait beau mais c’est un jour triste oui, très triste. C’est même le soleil qui l’a rendu triste. Devant nous, devant le bar et quelques passants, il y a l’avenue Rivoli et puis l’Hotel de ville. A cette heure là, il y a beaucoup de monde qui traverse, beaucoup de voitures aussi. Beaucoup de conversations, et pas mal de conneries il faut le dire. En terrasse ça rigole, ça trinque, ça travaille. On a pris les dernières places au soleil, enfin ce qu’il reste du soleil. Il est 18h et quelques minutes, et dans quelques secondes tout va changer.

Imagine un peu, c’est un jour triste, oui très triste. Toi tu es assise, confortable, à la table d’une terrasse parisienne avec deux amies. Vous commandez rapidement, n’osez pas regarder les prix pour une fois. Tu soupires, un petit rayon de soleil caresse ton visage, tes cheveux se laissent aller à faire n’importe quoi. Mais c’est un jour triste quand même. Tu vois le plateau avec vos verres traverser l’intérieur du bar, puis arriver en terrasse. Ton smoothie fruits rouges, avec une paille rose et une fraise Tagada, il te fait de l’œil. Tu le vois se balader entre les tables, et puis s’arrêter. Brusquement s’arrêter. D’ailleurs tu n’y prêtes plus aucune attention, tu ne regardes plus la paille rose mais ce qu’il y a devant toi. Tu voudrais fermer les yeux, et mettre tes mains sur tes oreilles aussi, pour empêcher tout ça de résonner. Tu entends un cri, puis un autre, qui déchirent le ciel. Un cri, puis un autre, et un autre encore qui s’étouffent dans un silence de mort.

Imagine un peu, c’est un jour triste, oui très triste. Les smoothies finissent par arriver, après quelques minutes. A vrai dire, ils ont failli tomber du plateau, le serveur a regardé lui aussi. Mais ils sont là finalement, et personne n’y touche. Pas même la paille du bout des doigts, ni la fraise Tagada qui glisse lentement sur le rebord du verre et qui finit par se noyer dans la mousse. A ce moment là tu t’en fiches qu’il fasse beau, tellement c’est moche ce qu’il y a devant toi, tellement c’est moche oui, et triste, et silencieux. Pire que ça même. Comment on définit un bout d’horreur avec des mots ?

Imagine un peu, c’est un jour triste oui, très triste. Imagine un homme traverser la rue de Rivoli. Imagine une voiture rouler sur cette rue. Imagine aussi le soleil, tellement blanc ce jour là. Imagine le bruit qu’il y a autour, tout ce monde, toutes ces conversations, ces klaxons, ces rumeurs.

Et imagine ce silence, quand l’homme a traversé la rue, quand la voiture l’a heurté, sous nos yeux. Imagine ce silence un peu, ce silence triste et morbide qui s’est emparé de Paris l’espace de quelques minutes ou peut-être d’une heure.

Imagine ce silence qui hante mes silences, imagine-le revivre au moindre cri, au moindre éclat lumineux.

Dois-je l’oublier ? 

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