Impressionnisme musical

Catherine Pessin

Impressionisme  musical  ♪

C’est l’été sur les berges du Rhône.

Glenn Gould joue l’intermezzo opus 117 n°2 de Brahms, en ouverture de mes élucubrations scripturales.

Notes légères, herbe douce et fraîche à l’ombre d’un jeune chêne.

Un cygne passe, glissando sur le fleuve, un chaland à contresens efface sa trace.

Une brise caresse mes jambes brûlantes, ma robe bleue ne les protégeant pas.

Aimez-vous Brahms ? La réponse vient du tissu de voile léger qui frissonne et respire sous mon assise.

Un gland vert, élégant sous son bibi monté d’une fine tige de bois recourbé, vient de tomber près de ma cuisse. Je le prends, l’examine entre mes doigts, le retourne puis le pose sur le tissu.

Grieg, concerto pour piano – 1er mouvement.

Envolée de notes sur le clavier. Les violons soupirent, les cymbales grondent.

Un couple d’hommes vient de s’installer derrière moi dans le silence, comme s’ils entendaient la musique emprisonnée dans mes oreilles. Ils lisent.

Haendel - Renée Fleming chante “Dank sei dir, Herr”.

Tempo lent, langoureux, les violons s’étirent, les cors sourdent au loin, le clavecin bien tempéré accompagne la voix qui s’élève.

Un rire d’homme venu de derrière fait me retourner.

Tableau épicurien  que la musique sublime.

L’homme est allongé à l’ombre d’un autre chêne. Sa femme, couchée sur lui, l’embrasse joyeusement. Leur jeune fils à leurs côté.

C’est l’été à Lyon et Mozart fait sautiller  un moineau sur l’herbe. Son quatuor pour piano égaye la pelouse d’un peu de fraîcheur.

Mon chapeau à larges bords ne suffit plus à me protéger du soleil ardent. Il m’a fait me déplacer deux fois déjà ! Maintenant je ne peux reculer davantage, ou alors je m’assieds entre les deux hommes ! seul coin d’ombre qui reste sans trop me déplacer.

Mozart jubile et m’aide à me relever, quelque peu ankylosée. Quelques pas dans l’allée me délient, le temps de défroisser ma robe chiffonnée et de sécher le tissu humide de terre.

L’eau m’attire.

Je repère une place sur le ponton- avant d’une péniche. Je m’introduis dans le bar et viens m’installer à une petite table ronde, décorée de mosaïque bleue, au bord du fleuve, près du bastingage rouge.

Le soleil chauffe mon dos.

Rachmaninov. Variation sur un thème de Paganini.

Emballée de piano, chevauchée de violons, cavalcade des cuivres triomphants. Le vent soulève les bords de mon chapeau.

Une suite de vélos file sur l’allée de béton à tribord.

Le courant scintillant défile à bâbord.

Le final est fracassant, lumineux.

Eric Satie. Gnossienne n°1.

Les jeunes adultes à mes côtés ne se soucient pas de la litanie de notes qui s’égrène dans mes oreilles. Sortir ce soir ou rester tranquille à la maison ? Le plan des filles ne colle pas avec celui des garçons. Question existentielle qui impose un temps de réflexion.

Satie se répète dans une suite simplement divine.

Un mégot vient de plonger dans le Rhône. Quelle tristesse !

Ravel. Les sœurs Labèque jouent le Menuet antique.

Apaisement.

Mon épaule gauche s’offre aux rayons.

Vingt doigts démêlent l’écheveau de croches sur deux claviers opposés. Instant suspendu. Les fils se tissent, s’entrecroisent et  laissent passer une mélodie baroque, déconcertante de modernité.

Mahler – le scherzo de la symphonie n°7 se bat avec la techno ravageuse du bar. Mélange étonnant, détonnant.

Affrontement des violons enragés face à la lancinante  rythmique électronique. Qui des deux résistera ?

Mahler signe une victoire à l’arrachée de son orchestre tout puissant.

La techno suffoque, expire, agonit. Son contre son, mes tympans font la différence. Je ne garde naturellement que l’émotion des sens.

Un petit bateau à moteur remonte le courant sans prétention.

Je bois une gorgée.

Plénitude.

Décidemment, la musique inspire mes lieux de vagabondage.

Et plus particulièrement la musique classique, à cette époque de ma vie. Peut-être parce qu’elle est le témoin de mes souvenirs d’enfant !

J’aime sa compagnie.

Elle me suit dans les endroits les plus improbables.

En pleine foule, elle m’apaise.

Dans les rues désertes, elle me rassure.

Dans les moments de solitude, elle me remplit de vie.

Elle console mes jours bleus.

Elle est devenue indispensable à mon équilibre.

Et si bien souvent, elle donne sa tonalité au jazz pour m’accomplir, c’est pour mieux battre la mesure de mes sens.  

C’est le prélude n°1 de Bach qui terminera la journée, sous mes doigts, au piano, fenêtre grande ouverte sur le ciel étoilé.

Do mi sol do mi sol do mi – Do mi sol do mi sol do mi.   

Do ré la ré fa la ré fa – Do ré la ré fa la ré fa …

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