In a sentimental mood
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In a sentimental mood
Julien et Laura se sont connus et aimés quelques années auparavant. Laura a mis fin à leur relation passionnelle et fantasque pour faire un mariage bourgeois. Julien ne lui a jamais pardonné d’avoir choisi les convenances contre l’amour. Il éprouve à l’égard de cette femme des sentiments violents et contradictoires. Il sait que Laura n’a jamais été heureuse dans son mariage, qu’elle méprise et trompe allègrement son époux. Il sait que Laura et lui sont passés à côté l’un de l’autre. Par peur ? Par orgueil ? Les erreurs de jeunesse peuvent-elles se rattraper ? Est-ce qu’en mûrissant, Julien et Laura sont capables de se parler et de s’apaiser ?
Le hasard leur offre une deuxième chance. Enfants gâtés de la république, ils se retrouvent dans une réunion ministérielle. Laura s’engage dans un jeu de séduction diabolique. Julien se laisse surprendre et troubler avant de reprendre la main dans ce jeu de l’amour et du pouvoir. Leurs retrouvailles sont à la fois l’occasion d’évoquer des souvenirs, de régler des comptes et, peut-être, d’espérer une nouvelle donne sentimentale. Aucun des deux ne veut abattre toutes ses cartes mais aucun ne veut perdre l’autre.
Julien a la conviction que Laura n’a jamais cessé de l’aimer. Il va jouer de toutes les fragilités et les névroses de Laura : « Tu te maries avec l’homme qui t’indiffère et tu baises celui que tu aimes. Tu te prives de la présence de celui que tu aimes pour la partager avec celui qui te laisse indifférente. Tu construis ta vie avec l’homme inconnu pour laisser sombrer l’être dont aucun secret ne t’échappe. Tu planifies tes journées/week-end/vacances/sorties avec une absence tandis que tu te prives de celui qui t’exalte. Tu te vois finir avec une personnalité plate alors tu refuses de commencer avec les reliefs de la mienne, de personnalité. Tu ne partages pas tes souvenirs/passions/rêveries avec le phallus qui t’a fait jouir, les récits qui t’ont bercée et les blagues qui t’ont fait rire. Dans ton appartement, tu contemples les livres qu’il ne lira jamais, les films qu’il déteste, la musique qui l’insupporte. Dans ton agenda, tu notes tes rendez-vous avec lui de mes initiales. Ton porte clé est toujours celui que je t’ai offert, ton pyjama est toujours celui que tu portais lors de nos nuits universitaires, ton stylo fétiche est celui que nous avons volé ensemble lors de notre stage à la préfectorale. »
Julien rappelle également à Laura qu’elle n’a pas passé sa nuit de noces avec son mari mais qu’elle est venue le rejoindre, dans sa tenue de mariée. Il est épuisé par la folie et les incohérences de Laura. Il veut la fuir mais elle s’accroche. Il veut la fuir mais elle l’obsède. Il l’entraîne dans un road movie pathétique et romantique dans les quartiers de Paris. A mesure que les mots et les rues défilent, les deux personnages deviennent de plus en plus fous. Les souvenirs exacerbent leur souffrance. Ils prennent conscience de tout ce qu’ils ont perdu. Ils savent la rareté de ce qu’ils ont connus, l’exultation des corps, le désir de prendre, d’être pris, de séduire, de combattre pour se retrouver ensuite complices dans l’épuisement des sens.
Le road movie parisien leur offre un temps suspendu, loin des contraintes familiales et des salons de la République. Ils parlent beaucoup, manient le verbe avec une redoutable dextérité. Mais que se disent-ils vraiment ? Rien d’essentiel. Ils ont le sens de l’improvisation, le verbe acéré et maitrisent l’art de la joute. Paradoxalement, ces mots percutés empêchent la communication. Julien propose alors à Laura une autre forme d’échange : « Ecrivons le roman de notre histoire. Deux narrateurs, deux voix. Nous rédigeons un chapitre chacun notre tour. Glamour, romantique, trash. »
« Glamour, romantique, trash. Comme nous. » répond Laura.
« Oui, comme nous. Ecrivons NOUS ».
Julien et Laura se lancent passionnément dans l’écriture de ce roman. Le rythme est haletant. Ils ne se rencontrent pas pendant la période de rédaction et s’envoient leurs textes par mail. Chaque chapitre vient répondre au précédent, les mots fusent, blessent, excitent. Ils sortent épuisés de ce travail, mais ils éprouvent également le bienfait cathartique de l’écriture. Ils trouvent un éditeur. Le roman est un succès et est très médiatisé.
Chapitre 1 : Réunion diplomatique, réunion de la trique.
Laura
L'art consiste à ne sortir d'abord qu'une partie du pied de la chaussure. Le courber légèrement, faire miroiter le nylon du collant, mais peut-être est-ce un bas. Ce que ces réunions peuvent être longues et ennuyeuses... Je déroule et enroule le pied en chantonnant intérieurement « In a sentimental mood », mélodie redécouverte récemment lors d'un diner chez un ami. Frotter le dessus du pied contre la chaussure, le cambrer. Garder les jambes croisées. Pour le moment. Heureusement, nous ne sommes pas dans cette salle où des têtes bien pensantes ont fait installer des tables munies de panneaux sur le devant. Je les appelle les panneaux de pudeur : ils empêchent les personnes assises en face de voir ce qui se passe sous la table. Je garde le rythme « In a sentimental mood » dans la tête. Très important le rythme, c'est lui qui va retenir son attention pendant que mon directeur – qui ne semble pas avoir compris où il était – fait sa minable présentation Powerpoint. Duke Ellington contre Powerpoint. Ellington one point. Two points.... many points.
Le regard est intelligent, la bouche forme un pli ironique. La chemise est belle et la cravate pourrait inspirer quelques détournements d'usage. Laisser le pied glisser presque jusqu'à abandonner la chaussure. Mais jamais tout à fait, pas jusqu'au bout. Ne jamais rester immobile mais procéder par des mouvements furtifs. Duke Ellington emporte définitivement le marché. La réunion se termine et vient l'heure des petits bavardages de fins de parties. Un verre peut-être, des prises de rendez-vous, des échanges de cartes professionnelles. Il est temps de fuir, enfiler prestement l'escarpin que j'ai mis tellement de temps à enlever.
Julien
Direction Matignon. Je reviens de Bruxelles et j’enchaîne avec une réunion sur l’intégration de la Turquie dans l’Europe. Faut une position officielle. Je croyais qu’on en avait une. En fait pas vraiment. Si ce n’est qu’on se réfugie officiellement derrière le génocide arménien pour les empêcher de jouer les démocrates occidentaux avec nous. Il y a bien une autre raison… Bon… le chauffeur me dit que la réunion est décalée, le Premier Ministre veut me voir. Il est avec son Ministre d’Ouverture, son Secrétaire d’État aux affaires européennes et son conseiller diplomatique. Politesses. Re Re Politesses. Quelques blabla d’introduction et on entre dans le vif du sujet. En gros, il me sort la conclusion de la réunion que l’on n’a même pas débutée.
- Vous comprenez, nous ne pouvons pas nous le permettre.
- Oui Monsieur le Premier Ministre.
- Très bien, passons à côté. On nous attend. Il y a un petit buffet fait de viennoiseries. Nous commencerons après.
Nous sortons du bureau, nous passons par l’antichambre, puis par une flopée de bureaux pour accéder à une première salle transformée en réfectoire de luxe. Là, une vingtaine de personnes. J’en connais déjà pas mal. Le Premier Ministre me sollicite pour un dernier échange, pas eu le temps de visualiser mes ennemis. Car à ce moment précis, je suis seul. Le Locataire de Matignon me le rappelle. On entre.
Une belle table de réunion en U.
Les noms sont affichés à chaque place. Je cherche la mienne. Je ne suis pas encore dans la salle même si mon corps tente de se frayer un chemin jusqu’à ma chaise.
HORREUR.
Elle est là. Pas possible. Pas possible de m’installer ailleurs. Pas possible de faire demi-tour. Pas possible de feindre un malaise.
Elle m’accueille avec son plus beau sourire. Elle se présente.
Mais je sais qui tu es… Laura.
Ma gorge est sèche avant même d’avoir débuté mon exposé. Je me pose à côté, celle dont j’étais raide amoureux à Sciences Po, qui m’a suivi à l’ENA, et qui m’a lâchement abandonné. Laura est en tailleur – un Balmain certainement. Je sais les reconnaitre. Elle est… Je suis mal.
Ma gorge se noue mais je remonte ma cravate. Nouée par un demi-Windsor. Je le préfère au Windsor. Certes, il est moins symétrique mais il est plus fin, un peu plus long et correspond plus à ma taille et à la morphologie de mon visage. Ma cravate ? Une Céline. Je ne porte que des Céline ou des Lanvin. Signe d’excellence, de classicisme et de goût. Laura est tout ce qui correspond à ces critères chez une femme.
- Monsieur de Contentin, nous vous donnons la parole.
J’en veux pas. Je ne peux pas parler. Laura me regarde. Elle me sourit. Est-ce pour me narguer ? Je prends ma respiration, j’éclaircis ma voix, une main à la base du nœud de ma cravate pour lui donner cette forme parfaite que les jésuites nous apprennent à faire.
- Merci Monsieur le Premier Ministre (Elle me regarde encore ? Non, ne la regarde pas… elle éloigne sa chaise… ses jambes). Je vous remercie pour votre brillant exposé toutefois, vous m’avez récemment demandé de plancher sur une position qui régalerait les intérêts français et européens en la matière… (Non non non, ne remonte pas ta jupe, ne me souris pas, arrête Laura) en la matière du tweed… euh… Rappelons les arguments donnés par les défenseurs d’une intégration de… (Oh ses genoux… Laura… il fait chaud… arrête… qu’elle est belle…plantureuse… oh il fait chaud... un verre vite… un autre…) de la Turquie. Nous ne pourrons pas tenir éternellement notre position. Je… (Je tiendrais n’importe quelles positions avec elle. Je la trouve trop sexy… putain… dix-neuf hommes dans cette pièce, une nana… il a fallu que ça tombe sur ELLE) Je… (J’en peux plus… ses formes, ses courbes, ses seins… il fait sacrément chaud ici quand même !! La clim ? Mais ils vont la foutre cette putain de clim !)… Je souhaite donc vous proposer d’utiliser à votre avantage un outil récent qui saura répondre… (Ils ne vont pas la mettre cette clim… j’en peux plus… je desserre un peu cette cravate qui m’étouffe…)… donc je disais… un outil qui saura répondre à nos… (Fais péter ce premier bouton de chemise)… à nos intérêts…
- Monsieur de Contentin, et si vous alliez à l’essentiel et plus rapidement s’il vous plait.
- (Gros naze, c’est pas toi qui te tape en gros plan les cuisses de ta conseillère !) Oui Monsieur le Ministre… je propose qu’en demandant, par des voies moins officielles… (Moi ici, il y a bien certaines voies que j’aimerais prendre… elle me glisse un mot… son numéro de portable… ça y est j’en peux plus… cette cravate m’étrangle… je tripote son nœud dans tous les sens… on va me demander ce qu’il m’arrive…) Demandons à la Cour Pénale Internationale de trancher sur la question arménienne. Elle est bien chargée de juger les crimes de guerre et crime contre l’humanité… (C’est d’avoir mis Laura à côté de moi qui est un crime…)… d’autant que les génocides sont imprescriptibles.
- Monsieur de Contentin, vous êtes malade ?
- Non Monsieur le Premier Ministre, j’ai juste un peu chaud…
- Foutez-vous de moi. Saisir la Cour Pénale Internationale contre la Turquie ?
- (Je sais que c’est mal barré… si je me fais rembarrer sur mon dossier… bye bye la belle Laura…) Faire en sorte que le Procureur Moreno-Ocampo le fasse. Au moins pour mobiliser l’ensemble de la communauté internationale, lancer un débat au plus haut niveau et établir une vérité officielle, une condamnation et une réparation… (Ouf… je l’ai dit sans respirer… j’ai chaud et je fais de l’apnée…)
- Laissez votre cravate tranquille voyons ! Que vous arrive-t-il ?
- Rien, j’ai juste un peu chaud… (Putain, faut que je l’enlève cette cravate… et Laura qui commence à enlever ses chaussures… à jouer avec ses chaussures… c’est inhumain…) Pour reprendre Monsieur le Premier Ministre, la Turquie est un allié des États-Unis, une place géo-stratégique unique en Asie Médiane et Moyen-Orient… (ARRÊTE ! LAURA ! Reste fort ! Ne la regarde pas ! Mais ce n’est pas possible !)… Avoir la Turquie au sein de l’Union, aussi proche des États-Unis… n’en fera pas un de nos soutiens… (J’en peux plus… je dois l’enlever sinon je vais exploser… desserre là encore un peu et bois un coup…) Sachant que les USA n’ont pas ratifié la CPI, que les Turques s’apprêtent à signer le Traité de Rome… On fait d’une pierre deux coups. (Ouf… ça au moins, c’est dit… reste plus qu’à faire semblant que tout va bien…) En plus, le Gouvernement turque n’aurait pas à affronter son opinion publique, elle ne le ferait que dans un second temps… pour montrer que la conscience collective du pays a pris elle-même la mesure de ce tragique épisode. L’Europe ne passerait pas non plus pour les anti-musulmans de base… en internationalisant le problème on s’évite tous les écueils d’un affrontement diplomatique EU-Turquie.
- Mmmh je comprends, je comprends. Vous pouvez vous rasseoir, renouer votre cravate et distendez votre marque virile d’affection que vous avez pour Madame Laura Stroobants… sauf si c’est pour l’un d’entre nous. Vous prendrez vos costumes moins taillés la prochaine fois.