Incognito

o-negatif

Deux personnages patientent, assis côte à côte, dans la salle d'attente d'un tribunal. Le premier est couvert de sang encore frais. Le second porte un masque genre Zorro, ou une cagoule d'enfant, n'importe quel accessoire un peu ridicule. Ils se regardent en coin un moment, puis le personnage masqué engage la discussion :

Tu risques combien, toi ?

3 ans fermes. J’ai décuplé ma famille à la hache.

Tu veux dire « décimé » ?

Non, non : « décuplé ». Il y avait plus de membres à la fin qu’au début.

Je vois.

Et toi ?

Perpette, si tout se passe bien.

Respect. T’as mis le feu à une crèche parentale ? T’as giflé un flic ?

Non, je suis pirate informatique.

Ah… Ca explique le masque.

Je suis un Incognito. C’est la branche locale des Anonymous. Mais on est beaucoup plus virulents.

Genre ?

Genre, on commande online  des pizzas qu’on fait livrer au ministère de la santé.

Costauds, les mecs…

C’est la cause qui veut ça. Il faut que le gouvernement comprenne qu’on est pas là pour enfiler des perles.

Moi c’est pareil. Je disais toujours à ma femme : si tu continues à me gonfler, ça va mal finir.

Voilà. Il faut être ferme, aller jusqu’au bout. Par exemple, j’ai trois comptes Deezer et j’ai téléchargé gratuitement la saison 4 de Navarro.

Vous en avez dans le slip, rien à dire.

Reste discret sur le coup de Navarro. C’est pas dans mon dossier.

Dis-moi… T’es pas obligé de répondre mais… T’as déjà braqué une banque en ligne ? J’sais pas... un hold-up numérique, tu vois ce que je veux dire ?

Pourquoi s’en prendre aux banques quand on peut  créer vingt comptes Facebook bidons et pourrir le mur d’un parti au pouvoir en postant des statuts revendicatifs ?

Moi je suis plutôt hache.

Et moi, un cyber-boucher.

Ca tache moins, au bout du compte. Tu comptes plaider coupable ?

Légitime défense. Ca fait des années qu’on m’agresse avec des newsletter, des factures électroniques, des invitations à des ventes privées. J’ai pété les plombs, quoi.

Ma femme, elle cramait toujours les œufs aux plat.

On est des victimes du système. De toute façon, je m'en fous, un cheval de Troie est en route pour le tribunal. On va tout faire péter.

Vous avez programmé un virus dévastateur ?

Non, on a construit un vrai cheval avec des palettes, et tout. Remy et André sont planqués à l'intérieur, prêts à mourir pour la cause. Tu gardes ça pour toi, évidemment.

Vous êtes impitoyables.

Rien n'arrête les Incognitos.

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