"Instantanés"/"Etat des couleurs"

Rose Marie Calmet

Poèmes de Catherine Leblanc ( Anthologie "Voix de femmes et autres mystères.." dirigée par Lucie Eon, collection Nuevo Poésie, éditions du Petit Pavé) 1999

"L'air descend comme un châle sur les épaules. Le gris sur les toits éteint ses lampes. Des jumelles rousses traversent la place, bleue sous les feuillages. Sans heurts, glisse et les dépasse un vélo rouge. Et ce jour qui sombre au fond des couleurs n'en reviendra pas."


"L'enfant s'arrête, s'accroupit et regarde par terre avec une extrême attention. Une plume est tombée. Il tend la main, il la ramasse très délicatement, blanche entre deux doigts tremblants. Se relève, souffle sur la plume qui s'ébouriffe dans un cercle lumineux. Il ouvre les doigts, elle plane, lentement descend. Aussitôt il l'oublie et part. La plume blanche tombe dans l'ombre et devient bleue."

[...]

"Il quitte l'école maternelle, c'est le dernier jour. La cour garde encore une trace de marelle. Je m'appuie un instant contre la grille. Tant d'instants sont les derniers sans qu'on le sache! L'enfant lâche son cartable et fait un pas de danse dans l'odeur écroulée des roses."


"Elle part à l'école, le cartable trop lourd, la robe bleue sur les jambes brunes. Ma fille apprend à lire! Un pas que rien ne retarde. L'envol de la robe au tournant. Le trottoir blanc. S'en va toute seule et la terre est très grande."


"Dans le velours passent des ombres furtives. Que je veille sous l'abat-jour et que j'écrive. Il suffit d'une table, mélopée de bois, il suffit d'une lampe. A la fenêtre l'ambre et la rumeur. L'instant prend le goût de muscat. La nuit suffit."


"A profusion s'offrent le frémissement et le déchirement de l'ombre. Des murmures, des froissements remuent contre le mur. Des craquements se déplacent entre les massifs. Un long chuintement parcourt les silhouettes obscures. Une tâche de lait, sans doute un chat sous la haie. Tout un peuple habite la nuit. Que voient-ils que nous ne voyons plus?"


Instantanés.


"[...]L'enfant silencieux s'appuie contre le radiateur, son bol entre les mains. La porcelaine éclaire les doigts et monte vers le visage. Il neige un instant sur les joues, les sourcils. Les yeux restent baissés, gardant tapi leur éclat. Je constate que la lumière de l'hiver est d'une douceur extrême, exactement accordée au peu de clarté dont je dispose."


"Tout revient! Tout repart! Les feuilles neuves ruissellent dans la fonte des lumières."

"C'est le premier jour! Tant de jours sont les premiers sans qu'on le sache! J'avance dans le léger de l'air, dans le vert pépiement des oiseaux. Le soleil touche le visage, les bras découverts, mais rien ne brûle, immédiatement arrive un courant de fraîcheur et son parfum pénètre, soulève, étourdit, pas encore le lilas, le seringat, l'oranger, un arôme sans nom, la jeunesse pure de l'herbe."

"Transparente l'ébriété d'un papillon sur une pensée radieuse, sur le nuage blanc et vibratile de la spirée. Transparent le sang rouge du camélia fait l'ascension plus haute que nos têtes.[...]"

"De tremblantes héllébores dansent encore.[...]"

"J'avance dans le léger des mots, je respire. C'est toujours le premier jour. Vivre est véniel et nous sommes pardonnés. Les sons prennent leur envol, plumes, bulles d'air, vocalises. Leurs substances volatiles se vaporisent. La voix traverse la langue, seule avec l'eau."


Etat des couleurs.



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