Instinct de Chasse - Chapitre 1 : Sur les Toits
Lynn Rénier
Cela fait plusieurs jours qu'il tient la planque, à l'affut. Et il fait preuve d'une patience incroyable. Tant que la créature ne se montrera pas, il n'en sortira pas. Il est en chasse, et quand il tient une proie, il n'a pas pour habitude de la lâcher pour qu'elle s'enfuie aussi facilement. Cette nuit ne fera pas exception.
Pourtant, il sent que quelque chose ne tourne pas rond. Cela ne fait que trop durer. Pourquoi la bête ne sort-t-elle pas de son trou ? Que se passe-t-il ? L'aurait-t-elle berné pour s'échapper de l'autre côté du bâtiment ? Y a-t-il une autre sortie au moins ? Il ne peut y croire. Il a fait attention à ce genre d'éventualité. Il a pensé à tout.
Sa patience est mise à rude épreuve. Bien plus longtemps que d'ordinaire. Cela ne lui était encore jamais arrivé, du moins pas à ce point. Agacé d'attendre ainsi, il glisse sa main dans ses épais cheveux noirs pour dégager les mèches qui lui tombent devant les yeux. Un profond soupire lui échappe. Il n'aime pas vraiment traquer mais, cette fois, il n'a pas eu d'autre choix. Il y a trop de vies en jeu pour épargner celle de la créature qu'il guette.
D'ordinaire, il aurait fait cela en douceur. Certaines de ses proies ne sont pas foncièrement méchantes. Elles ignorent seulement le mal qu'elles peuvent faire autour d'elles, dans ce monde qui n'est pas fait pour elles. Il veut leur rendre leur liberté, dans un milieu plus favorable qu'une ville urbaine bondée d'habitants, bondée d'humains.
Cependant, cette fois, c'est différent. Cette bête est mauvaise. Il l'a vu faire. Il l'a vu tuer par plaisir et non pour se défendre. Il l'a vu tuer par soif de sang. Alors, il ne doit pas douter. Il ne peut pas se le permettre, au nom des victimes que la maudite créature a déjà laissé derrière elle et celles qu'elle risque de faire à l'avenir.
Son arme à portée de main, il est prêt à s'en servir à peine la bête pointant son museau au détour de ces bâtiments. Les flèches ont été faites avec soin. Une pointe d'argent acérée qui ne rate jamais sa cible, un empennage taillé pour accélérer la vitesse de l'arme de jet une fois lancée par son arbalète.
Il est bon tireur, et a très souvent préféré utiliser les lames et les flèches que les balles. Plus silencieuses aussi. Sauf lorsque cela est vraiment nécessaire. Comme cette nuit certainement. Car pour abattre pareille créature, aussi féroce et assassine, une simple flèche ne saurait l'arrêter. Il le sait. Et il s'est muni d'un fusil au cas où les choses tourneraient mal et l'obligeraient à changer de tactique.
Il boit une nouvelle gorgée de café. Son thermos ne le quitte jamais lorsqu'il part en mission. Dans l'éventualité d'une longue traque, et de devoir se tenir embusqué pendant des heures. Il en boit trop, mais ça l'aide à rester éveillé.
Pour couper à son ennuie, il jette un coup d'œil en contrebas. Tout semble calme. La rue est quasiment déserte, un rare badaud parfois, une voiture ou deux filant vers le carrefour tout proche. Dans les immeubles, les lumières s'éteignent les unes après les autres. Bientôt tout le monde dormira profondément, ne se doutant même pas de ce qui peut bien rôder alentours.
Les hommes sont si crédules, pense le chasseur en écrasant sa énième cigarette dans le cendrier posé devant lui. Ils ne savent même pas quelles créatures vivent parmi eux, alors qu'ils croisent des monstres tous les jours sans le savoir…
Lui, voilà longtemps qu'il ne parvient plus à dormir sur ses deux oreilles. Il sait ce qui court dans les rues, danger en liberté. Et il ne peut plus se laisser gagner par le sommeil depuis. Car quoi qu'en disent les politiciens et les journaux, le danger rôde, et il ne vient pas des mafias organisées ou des délinquants en tous genres. Il vient des monstres qui se cachent en pleine ville. Quoi que, même au sein des mafias, les créatures siègent…
Le chasseur vérifie à nouveau ses flèches, la corde de son arbalète. Son sabre est posé tout prêt, pour ne pas le gêner mais pour l'avoir à portée de main si besoin. Et le fusil bien calé, la visée enclenchée, prêt à tirer.
Il sait qu'il a déjà vérifié une dizaine de fois depuis qu'il est là, posté en haut de cet immeuble. Mais sa nervosité et sa patience s'amusent à le faire douter. Que fait cette maudite bête ?! Elle ne l'aurait pas berné comme ses deux prédécesseurs avant lui tout de même ? Il savait à quoi s'attendre.
Régis et Tri-Aan étaient d'excellents traqueurs. Qu'ils se soient fait surprendre ne leur ressemble pas. À moins que le monstre ne soit plus malin que la Guilde ne veut bien le laisser croire. Après tout, cela fait déjà quatorze jours que les chasseurs la pourchassent.
La nuit dernière, la créature a trouvé refuge dans l'immeuble d'en face. Sans doute au sous-sol, ou dans un appartement inoccupé. Si elle n'a pas dévoré le propriétaire pour s'y installer…
Que tout soit si calme lui révèle bien que la bête est là. Elle attend, tapis dans l'ombre, qu'il se lasse et commette une erreur. Cependant, le sort de ses prédécesseurs l'a mis en garde avant même que la mission ne lui soit confiée. Il se méfie de la créature. Elle semble bien trop intelligente pour n'être qu'une simple bête malade. Elle sait ce qu'elle fait. Et qu'elle ne daigne pas sortir prouve qu'elle est au courant de sa présence.
C'est un jeu. Le jeu du chat et de la souris. Reste à savoir qui est le chat et qui est la souris. Pour le chasseur, il vaut mieux pour lui qu'il soit le chat. Il ne compte pas laisser la bête le surprendre. Pourtant, l'attente le fatigue.
© Lynn RÉNIER