Instinct de Chasse - Chapitre 10 : Le Monstre
Lynn Rénier
La créature qui leur fait face dans la lueur des lampadaires est impressionnante. Lugh ne l'a observé que de loin. Et la seule fois où il s'est retrouvé face à elle, l'obscurité ne lui a pas permis de voir à quoi elle ressemble vraiment. Alors, de se retrouver à sa hauteur, il prend conscience de l'ampleur du monstre. À ses côtés, Loréna lui jette un regard : elle pense comme lui.
La bête qu'ils traquent ne ressemble à rien de ce qu'ils connaissent. Comme ils s'y attendaient, ce n'est pas un garou, ni un vampire. Elle n'a rien d'un troll, encore moins d'un gobelin. La créature qui se dresse devant eux ne correspond à rien de connu. Le chasseur se demande même si elle n'est pas un mélange de tout cela tant il devine chez elle des caractéristiques de chaque espèce sans qu'elle ne le soit totalement.
Son corps massif tient de la gargouille, trapu et musculeux. Sa peau de cuir épais est dure comme la pierre et aussi noire que les ténèbres dans lesquelles elle aime se fondre. Sa grosse tête à la large mâchoire garnie de centaines de crocs croisés ressemble à celle d'un chien démoniaque. Ses petits yeux perçants ont cette couleur écarlate malaisante. Sa langue tel un long ruban rose s'agite d'excitation. Sa soif de sang, qu'ils pensaient tous deux être celle d'un vampire ou d'une goule, est réelle.
La bête se tient sur ses quatre pattes autant que dressée comme un bipède. C'est déroutant. Ses membres musclés se terminent de griffes longues et meurtrières. En la voyant ainsi dans la lumière, Lugh comprend pourquoi ses prédécesseurs ont eu tant de mal à la traquer. Cette créature est une véritable machine à tuer, avec tous les atouts possibles d'un parfait prédateur. Son corps massif ne lui enlève en rien sa rapidité et sa souplesse. Son poids n'est pas un handicap, il décuple sa puissance.
Tandis qu'ils se relèvent, la bête renâcle. La flèche que la bête a pris dans le cou a attisé sa colère mais elle hésite à attaquer. La coyote gronde en retour, le museau retroussé dévoilant ses crocs. Tous trois se jaugent, méfiants. Chacun a conscience des capacités et de la force de l'autre.
Lugh décèle une certaine intelligence dans les petits yeux du monstre. Même si son appétit a pris le dessus, la créature reste extrêmement vive et consciente de ce qu'elle fait. Ce qui explique aussi son aptitude à prévoir les attaques de ceux qui la traquent. Cela ne fait que la rendre plus dangereuse encore. La prudence est de mise.
La coyote observe le monstre, stupéfaite. Elle ne s'attendait pas à traquer ce genre de créature :
— Un hybride ? interroge-t-elle.
— Je ne pense pas. Il y a trop de mélange pour que ça en soit un.
— Est-ce que ça peut être une créature qui a perdu la raison ?
— Elle me semble trop intelligente pour avoir simplement perdu la raison. Son appétit la guide, certes. Mais son comportement n'est pas totalement irréfléchi ou incohérent. Elle chasse. Peu importe ce qu'elle traque.
— Alors qu'est-ce que c'est ?
— Aucune idée.
C'est alors qu'un moteur résonne.
Une moto vrombissante est en approche. La coyote retrouve immédiatement visage humain. Le chasseur et elle échangent un rapide regard. Leur attention se braque sur la rue en contrebas, guettant l'arrivée du véhicule avec appréhension. Si un humain aperçoit la créature…
Les fars se devinent progressivement à mesure que la moto remonte l'avenue. Leur intensité est si forte qu'elle les aveugle tous une seconde. La bête se recule dans l'ombre, se ramassant sur elle-même. Va-t-elle bondir sur le motard ? Lugh arme à nouveau son arbalète et se tient prêt à la repousser si besoin.
La moto, une grosse Harley-Davidson qui pétarade, passe devant eux avec un vrombissement presque assourdissant. Lugh, scrutant la créature qui demeure cachée, a juste le temps de dissimuler son arme quand le motard passe à leur hauteur. L'homme sur sa moto ne leur adresse même pas un regard et passe son chemin dans un bruit de moteur.
Un soupir de soulagement échappe à Loréna. Le motard est passé si vite qu'il n'a pas eu le temps de se rendre compte du saccage de la boucherie, ni de la présence de la bête. Cette dernière, dissimulée dans l'ombre, n'a pas attaqué non plus. Une chance.
Mais, le motard éloigné, ils s'aperçoivent rapidement que la bête a filé. Jouissant de cette distraction, elle en a profité pour s'enfuir dans une petite ruelle voisine.
— Ah, non ! peste Lugh. Pas encore ! Cette fois, ça suffit ! Hors de question de la laisser s'échapper !
Il se lance à sa poursuite, Loréna derrière lui.
© Lynn RÉNIER