Instinct de Chasse - Chapitre 12 : Entre les Griffes

Lynn Rénier

La bête a sorti Lugh des décombres de l'armoire et lui a planté ses griffes dans les côtes en l'empoignant. Elle le tient par la taille, dans son énorme patte meurtrière, comme on tient une poupée. Elle l'observe en se délectant d'avoir enfin attrapé celui qui la traque. Elle s'en lèche même les babines de sa longue langue rose au bout pointu.

La douleur l'ayant sorti de l'inconscience dans laquelle sa rencontre avec le meuble l'avait plongé, le chasseur se débat pour se libérer. Les bras libres de la prise du monstre, il tente désespérément de desserrer la patte griffue qui l'emprisonne ou cherche à s'en extraire, sans succès. Il serre les dents pour ne pas hurler de douleur, mais Loréna n'est pas dupe : une extrême souffrance se lit sur son visage.

La prise du monstre se resserre et Lugh ne peut retenir un cri. La douleur dans sa cage thoracique devient insoutenable. Une véritable torture. Et un craquement atroce se fait entendre. Au moins l'une de ses côtes vient de se briser et si la créature continue de refermer ses griffes sur lui, l'os pourrait bien perforer ses poumons.

Sous la pression, il manque déjà d'air et peine à respirer. Sa vue commence à se troubler et Lugh sait que sous peu il perdra connaissance. Il cherche d'autant plus à s'extraire de la poigne du monstre. Mais plus il force pour lui échapper, plus les doigts griffus se referment sur lui. Une plainte lui échappe : cette maudite bête va le broyer et rien ne semble pouvoir l'en empêcher. Est-ce ainsi qu'elle a tué Régis et Tri-Aan ? Par les Dieux, il ne veut pas finir ainsi !

 

En voyant que le chasseur est en train de perdre connaissance, la coyote gronde. Elle ne laissera pas cette abomination tuer son partenaire.

Lâches-le, maudite bête ! rugit-elle.

Elle lui saute à la gorge, toutes griffes dehors et enfonce ses crocs aussi loin qu'elle le peut dans la peau du monstre. Ce dernier lâche sa proie sous la surprise et Lugh tombe sur le sol avec rudesse. Il se réceptionne tant bien que mal sur les mains, mais ses forces le fuyant, il finit par s'effondrer. Le gémissement qu'il pousse rassure un tant soit peu Loréna : il est sonné mais toujours vivant.

Elle ne lâche pas prise et serre d'avantage les mâchoires. La bête râle et cherche à se débarrasser d'elle. Elle manque même de lui labourer le flan de ses griffes. Pour ne pas être blessée, la coyote se voit forcée de lâcher. D'un bond, elle s'éloigne du monstre et se poste devant Lugh en grondant et montrant les crocs, pour le protéger au cas où la bête revienne à la charge.

Curieusement, pourtant, la créature déclare forfait et préfère prendre la fuite en s'enfonçant un peu plus dans le dédale de la boutique. Alors, reprenant forme humaine, Loréna peut se pencher sur l'état de son partenaire et s'enquérir de ses blessures.

Le chasseur peine à garder conscience. Sombrer dans le coma serait tellement plus simple que d'affronter la douleur lancinante qui parcourt son corps. Son instinct de survie lui souffle néanmoins de rester éveiller.

Sa respiration saccadée est sifflante et les plaies sur ses côtes sont poisseuses. Une entaille sur son front lui vaut un fin filet de sang le long de la joue.

— Lugh, lui dit la change-forme, reste avec moi.

Il n'a pas perdu beaucoup de sang mais la prise du monstre a mis son corps à rude épreuve. Si le bruit sec qu'elle a entendu confirme la cassure d'une côte, il lui faut des soins d'urgence. À défaut de pouvoir faire mieux pour l'heure, elle lui retire sa chemise pour en bander les plaies.

— Elle… elle allait… me broyer, tousse-t-il.

— Je sais. Je ne lui ai pas laissé le temps de le faire.

— M… merci.

— Tu as besoin de soins, il faut te mettre à l'abri. Elle pourrait revenir.

— … pas le temps, siffle-t-il en saisissant la poignée de son sabre.

— N'y pense même pas ! Tu n'es pas en état de mener un autre combat contre elle. À moins d'être suicidaire.

— Elle va faire d'autres… victimes. Il faut…

— Il faut l'arrêter, je sais. Mais pour l'heure, ton état me préoccupe plus que le sort d'un pauvre malheureux qui croiserait la route de ce monstre. Et le soleil va se lever sous peu. La créature ira se terrer quelque part en attendant la nuit. Nous avons une journée avant de la traquer de nouveau.

— Il nous faut… la débusquer pendant qu'elle… est en sommeil et profiter de…

Sa respiration saccadée le fait hacher ses paroles.

— Non, gronde Loréna. Cet abomination attendra un jour de plus avant que nous l'abattions. Je ne te laisse pas le loisir de discuter. Tu vas prendre cette journée pour te remettre et nous irons la trouver à la nuit tombée.

— Elle risque de…

— Elle ne sera pas sortie d'ici avec la lumière du jour. Nous l'y retrouverons. Et cette fois, nous l'aurons, je te le promets. Pour l'heure, laisses-moi m'occuper de toi. S'il te plaît.

Lugh l'observe une seconde. Elle ignore s'il la voit tant son regard semble absent. Quoi qu'il en soit, il ne la lâche pas des yeux. Sa respiration légèrement sifflante s'apaise.

— Je te suis, dit-il enfin.

Elle glisse l'arbalète du chasseur en bandoulière dans son dos et le sabre à sa ceinture. Puis, elle passe un bras sous ses épaules pour le soutenir.

— Je ne saurais pas te porter toute seule, il va falloir m'aider un peu.

Il force alors sur ses jambes, ne voulant pas être un poids trop lourd pour la change-forme. Cette maigre aide ne durera pas, ils le savent très bien l'un comme l'autre.

Prenant soin de ne pas lui faire plus mal qu'il ne souffre déjà, Loréna le guide doucement vers la sortie.


© Lynn RÉNIER
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