Instinct de Chasse - Chapitre 13 : Maudite Sangsue

Lynn Rénier

La lumière du jour qui leur parvient rassura la métamorphe. Le plus dur reste pourtant à faire. Ils sont loin de l'appartement qu'occupe Lugh, et Loréna n'est pas certaine qu'il puisse tenir jusque-là. Il oscille entre conscience et inconscience et tient à peine sur ses jambes. Elle espère trouver la force d'atteindre la planque du chasseur avant que celui-ci ne sombre dans le coma.

Alors qu'ils atteignent la porte d'entrée de la boutique, les rideaux de la devanture se ferment brusquement. Plongée dans le noir, la brocante s'emplit de bruits subtils que la change-forme identifie sans mal : des vampires. Les voilà cernés par des vampires. Il ne manquait plus que ça !

Sa vision nullement perturbée par la pénombre lui permet d'en compter cinq, peut-être six. Est-ce le sang de Lugh qui les a attirés malgré le danger du jour qui se lève ? Ce n'est pas impossible au vu du regard de certains suceurs de sang autour d'eux. Mais très vite, elle sent qu'il ne s'agit pas uniquement de cela.

Une créature, à la longue chevelure claire et aux yeux écarlates, se détache du groupe pour se poster devant eux. Sa silhouette très féminine et son port altier traduisent son rang parmi les siens. Elle n'est pas une reine mais s'en approche certainement. La vampire est aussi belle que les légendes humaines décrivent ces êtres. Guère étonnant que les humains aient toujours préférés ces suceurs de sang aux métamorphes.

Sa peau est aussi blanche que du marbre, ses cheveux sont d'un blond nordique, son corps sculpté rendrait n'importe quelle femme envieuse, son sourire est diablement envoutant malgré ces crocs longs et effilés qui pointent sur ses lèvres maquillées de rouge. Et c'est sans parler de ce pantalon de cuir noir et ce corset d'un bleu roi qui moulent ses formes généreuses et pécheresses… Elle en charmerait plus d'un, si son regard n'était pas vermillon et trahissait sa vraie nature.

 

Loréna et elle se jaugent. La vampire affiche un air fier tandis que la change-forme demeure méfiante.

— Joli spectacle que vous nous avez offert, minaude la suceuse de sang. Dommage qu'il vous faille déjà partir.

— Laisses-nous passer. Il a besoin de soins.

— Oh, de ça je suis informée. Mais je ne puis vous laisser vous en allez.

Serait-ce du sarcasme que Loréna décèle dans sa voix ?

— Et pourquoi cela ?

— Cette créature que vous traquez nous est chère, nous ne vous laisserons pas la tuer.

— Pardon ?

La change-forme n'en croit pas ses oreilles.

— Je n'ai pas le loisir de vous expliquer, élude la vampire d'un revers de main.

Elle se tourne alors vers ses semblables et darde un doigt à l'ongle long vernis de noir sur Loréna et Lugh.

— Emparez-vous d'eux !

Les vampires se saisissent aussitôt des deux alliés et les séparent. La métamorphe n'a même pas le temps de les contrer tant ils sont rapides. Leur réputation n'est pas menteuse.

Inquiète, elle jette un regard à son partenaire. Il a sombré dans l'inconscient. Et si les vampires ne le maintenaient pas, il se serait effondré sur le sol.

— Non, attendez ! s'écrit Loréna. Vous n'avez pas le droit !

— Change-Forme, sachez que nous avons tous les droits ici. Vous êtes sur le territoire des Ailes d'Obscurité !

— Je vous en prie, il va mourir…

— Dans tous les cas, il le sera, rit la vampire.

Ce rire, cruel, résonne avec fracas aux oreilles de Loréna. Et une colère immense la gagne.

Sans réfléchir, elle se défait des suceurs de sang et se transforme. Faisant jouer ses pattes griffues et faisant claquer ses mâchoires, elle garde les vampires à distance. D'un bond, elle rejoint le chasseur et les deux créatures qui le tenaient se changent en chauve-souris à son approche. Les jambes de Lugh se dérobent sous son poids et la change-forme a tout juste le temps de le rattraper.

S'assurant que son partenaire peut tenir encore un peu dans son état, elle cherche à sortir de ce guet-à-pant. C'est sans compter sur la ténacité des vampires.

— Arrêtez-la ! vocifère la suceuse de sang. Elle ne doit pas sortir d'ici !

Loréna est alors assaillie par une nuée de chauves-souris. Elle ne parvient pas à s'en défaire. Tenant Lugh serré contre elle pour le protéger, elle se recroqueville peu à peu sur elle en espérant leur échapper.

Mais cette cohue finit par l'agacer et elle se redresse en arborant crocs et griffes, le museau retroussé. Son grondement résonne dans la boutique et les vampires gardent sagement leur distance.

— Ne vous laissez pas impressionner ! leur hurle la vampire.

— Un coup de croc pourrait tuer l'un d'entre nous, se plaint un de ses sous-fifres.

— Si vous la laissez s'échapper, ses crocs ne seront rien à côté de ce que je vous réserve ! Attrapez-la !

La menace fait son effet et Loréna ne préfère pas connaître le sort réservé à ceux qui pourrait décevoir la suceuse de sang.

Les vampires se jettent sur elle en une nuée d'ailes membraneuses. Elle peine à les repousser. L'un d'eux fait une rencontre malheureuse avec ses crocs et s'effondre en hurlant à la mort. La morsure est semblable à une brûlure sur son bras et le feu s'étend peu à peu, dévorant sa chair comme si elle n'était que du papier.

Devant ce spectacle presque macabre, ses acolytes se sont figés, attendant de savoir ce qu'il va advenir de lui. La propagation s'arrête avant son épaule, son bras réduit en cendres. Le vampire cherche son membre disparu sans résultat et finit par se recroqueviller dans l'ombre en gémissant.

Une étincelle brille dans les yeux fauves de Loréna. Son espèce et la leur se repoussent depuis les origines, et elle compte bien user de cet état de fait à son avantage. Encore faut-il qu'elle en ait le temps. Une simple morsure ne semble pas définitive si elle ne peut mordre au cou. Perdre un bras a sans doute traumatisé ce suceur de sang mais il s'en remettra. Perdre une tête est… radicalement différent.

Cependant, pour pouvoir frapper au cou ses adversaires, la coyote doit viser juste. Dans cette cohue, voilà qui est compliqué. Et avant tout, elle doit protéger Lugh des vampires. Si par malheur il tombait entre leurs mains, leur appétit risquerait de lui coûter la vie. Pour ces créatures, l'appel du sang peut-être trop fort et les blessures suintantes du chasseur sont une invitation très tentante.

Une nouvelle salve arrive et Loréna sent bien qu'elle ne tiendra pas les suceurs de sang à distance très longtemps. Même s'ils craignent ses crocs et ses griffes par peur qu'il leur arrive ce que leur congénère a subi, ils ne prendront pas le risque de désobéir à l'ordre de la vampire.

Je suis désolée, Lugh, lui dit-elle.

Ce dernier pose ses yeux sur elle dans un moment de conscience. La fièvre perle sur son front et son organisme tout entier lutte contre la douleur de ses blessures. Un sourire rêveur se dessine sur ses lèvres et la change-forme impute cela à son état.

— Ais confiance, souffle-t-il en caressant son museau de pelage clair du bout des doigts.

Confiance ? Confiance en quoi ? En qui ? Elle n'a pas le temps de le lui demander. Déjà, il sombre de nouveau dans le coma.

Lugh, non, restes éveillé. Je t'en prie…

Un soupir lui échappe. Elle est tenue par la peur. La peur irraisonnée de le perdre. Qu'est-ce qui lui prend ? Voilà à peine vingt-quatre heures qu'ils se connaissent et déjà elle s'inquiète pour lui. Ça ne lui ressemble pas.

Serrant le chasseur inconscient contre elle, elle pare les assauts répétés des vampires en cherchant à atteindre la sortie. Mais lorsque sa patte se pose enfin sur la poignée de la porte et qu'un fin rayon de soleil filtre dans l'entrebâillement, elle sent la panique gagner les suceurs de sang. Aussitôt, ils se jettent sur elle en une masse noire.

Leurs mains griffues lui saisissent les chevilles et ils la trainent au fond de la pièce. La poignée lui échappe et la lumière s'éteint tandis que la porte se referme. Son seul espoir de leur échappe s'éloigne à mesure qu'ils l'entraînent dans la pénombre de la boutique. Ses griffes raclent le parquet alors qu'elle cherche à se retenir à quelque chose. C'est peine perdue face à la force cumulée des vampires.

Elle s'apprête à faire volte-face pour les affronter à nouveau quand une douloureuse sensation de piqure dans sa cuisse le fait couiner. Une flèche hypodermique dépasse de ses poils. Elle se tourne vers la vampire armée d'un court fusil.

Maudite sangsue ! siffle la coyote.

En retour, la suceuse de sang affiche un sourire inquiétant.

Loréna lutte contre le sommeil. Et alors que sa vue se trouble, elle distingue les vampires se rassembler autour d'elle. Un ricanement résonne et son étreinte se resserre instinctivement autour de Lugh. Jusqu'à ce que l'obscurité l'engloutisse.


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© Lynn RÉNIER
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