Instinct de Chasse - Chapitre 14 : Au Coeur de la Ruche

Lynn Rénier

La change-forme reprend conscience avec une affreuse migraine. Elle met quelques minutes à remettre de l'ordre dans ses souvenirs. Son corps balancé de gauche à droite dans un lent roulis lui donnerait presque le mal de mer. À la nuance près qu'il n'y a pas d'eau dans le souterrain sombre et malodorant où elle se trouve.

Une douleur dans le creux de son estomac lui fait comprendre qu'on l'a juchée sur une épaule. Son porteur est bâti comme un géant. Elle voudrait lui échapper mais n'y parvient pas. Encore sonnée par le sédatif, elle ne peut que lever les yeux pour observer ce qui l'entoure. Les vampires ont entravés ses poignets, son museau et ses chevilles. Ils lui ont retiré le sabre et l'arbalète. Curieusement, elle a conservé sa forme animale. Qu'y avait-il dans cette fléchette ?

Derrière son porteur et elle, Lugh est transporté de la même façon par un autre vampire. Son état n'inquiétant pas les suceurs de sang, ces derniers n'ont pas pris la peine de lui lier les poignets. À leurs yeux, il est inoffensif. S'ils savaient, songe la métamorphe.

Pour sa part, elle s'inquiète sur l'état de son compagnon. Elle s'en veut de n'avoir pu le mettre à l'abri et de n'avoir pu soigner ses blessures. Il va se vider de son sang et elle a le désagréable sentiment qu'elle n'a rien fait pour empêcher cela.

Où les vampires les emmènent-ils ? Que comptent-ils faire d'eux s'ils ne les ont pas déjà tués ? Bientôt, une faible lueur verte lui parvient et le souterrain s'éclaire à mesure que la nuée de vampires avance.

Son flair ne l'a pas trompé, cette odeur désagréable n'est pas seulement due aux suceurs de sang autour d'elle : ils arpentent le boyau sec d'un égout. Et les lanternes de lumière verte qui jalonnent le couloir ajoutent à cette ambiance sordide.

Puis, une clameur lui parvient. Comme un bourdonnement. À croire qu'ils sont entrés dans une ruche en effervescence. Ils franchissent une lourde porte de métal qui grince en s'ouvrant à leur approche. Et c'est alors que la métamorphe découvre une immense cité bâtie sous la ville. Une cité pleine de vampires.

En d'autres circonstances, elle aurait trouvé cette vue magnifique. On peinerait à croire qu'on se trouve dans les égouts tant les habitations sont propres et soignées, les ruelles belles et assainies. L'eau qui circule dans les canaux est claire et cette odeur pestilentielle n'est plus. Qui aurait cru que pareille endroit existe. Loréna ne l'aurait jamais soupçonné.

 

Les vampires sont connus pour aimer le luxe, le faste et l'élégance. Le plus souvent, ils habitent les villas et autre demeures aisées au haut standing de rigueur. Chaque nuée se soumet à l'autorité d'une reine, qui loge dans ces endroits d'une incroyable richesse architecturale et y accueille une grande partie de son clan.

Mais cette cité va au-delà d'une seule nuée de vampires. La ruche, car on peut parler de ruche vu l'ampleur de la ville, est trop importante pour n'être soumise qu'à une unique souveraine. Ou cette reine assoie-t-elle un pouvoir important pour gouverner et contrôler autant de sujets.

La change-forme s'inquiète de ce grand nombre de suceurs de sang. Jamais auparavant, elle n'en avait vu autant. De ce qu'elle en sait, une nuée se compose en moyenne d'une cinquantaine de membres. Une petite centaine pour les plus importantes, guère plus. Mais là, les vampires doivent être plus de trois-cents au bas mot.

Une telle concentration de suceurs de sang dans une seule ville est sans précédent. Et il y a de quoi s'inquiéter. Car la présence d'autant de vampires signifie qu'il faut d'avantage de nourriture pour apaiser leur insatiable soif. Les humains qui vivent au-dessus sont alors en danger. Ce n'est pas la population de la ville en surface qui assouvira les besoins en sang de cette ruche. Impossible. Ils sont bien trop nombreux.

Le traité stipule que les créatures de la nuit ne doivent en aucune façon attenter à la vie d'un humain. Les nuées de vampires se sont pliées à la règle, se procurant ce dont elles avaient besoin dans les banques de sang. Ce sont d'ailleurs elles qui les gèrent. Parfois, une incartade est signalée sur un humain sans attache que personne ne réclame, un vagabond ou un fugueur. Mais le fait est si rare qu'il n'est pas puni.

Seulement, au vue du nombre de sangsues présents, les banques de sang de la ville ne suffissent assurément pas. Comment la Ligue n'a pas eu connaissance d'une telle cité ? Les vampires tiendraient-ils le secret ? C'est impensable ! Ou ils préparent quelque chose. Et ce n'est pas au goût de la métamorphe.

 

Le groupe traverse la cité, attirant l'attention de ses habitants. Loréna fait mine de ne pas remarquer le regard plein de dégoût qu'ils posent sur elle. La rivalité entre métamorphes et suceurs de sang est vieille comme le monde. Et elle leur retournerait presque cet air d'aversion. Mais pour l'heure, son esprit est accaparé par tout autre chose.

Ils la mènent à un bâtiment imposant. Sans doute le plus grand de la ville. Il ressemble presque à l'une de ces tours que les humains construisent, toute de verre et d'acier. À l'intérieur, c'est d'une modernité et d'une propreté déconcertantes. On pourrait manger sur le carrelage tant c'est propre et lustré.

Les voyant se diriger vers un ascenseur, Loréna s'agite. Elle n'aime pas ces cages de métal. On ne lui laisse pourtant pas le choix. Ils descendent quelques étages, ce qui la surprend. Peut-il y avoir un sous-sol à cette structure déjà vertigineuse ?

À l'ouverture des portes, un long couloir sombre se présente à eux. Les vampires s'y engagent sans appréhension. Ce n'est pas le cas de la change-forme. Des lanternes semblables à celles du boyau des égouts s'allument au fur et à mesure qu'ils avancent. Entre chacune d'elle, une porte apparaît.

Au bout de quelques mètres, les vampires ouvrent l'une d'elle. Une petite pièce se devine dans l'ombre et ils y jettent la métamorphe et le chasseur.

— Rassurez-vous, lui susurre la sangsue, vous n'aurez pas longtemps à attendre.

Rageuse, Loréna trouve la force de défaire ses liens pour se jeter sur elle. Mais la vampire est plus rapide et referme la porte avant qu'elle ne l'atteigne.

Tu ne perds rien pour attende, sangsue ! gronde la coyote en frappant la porte du poing.

Pour toute réponse, le rire de la suceuse de sang résonne dans le couloir.


© Lynn RÉNIER
Signaler ce texte