Instinct de Chasse - Chapitre 16 : Croisements Génétiques

Lynn Rénier

On le fait traverser la cité sous le regard presque accusateur de ses habitants. Lugh est pris d'un profond malaise. Il n'aime pas l'idée de se trouver là, au beau milieu d'une ruche de vampires aussi importante que celle-ci. Lui qui est en partie humain, n'est à leurs yeux qu'un bout de viande gorgé de sang.

Très vite, ils arrivent sur une étrange place. De hautes marches descendent sur ce qui ressemble à une arène. Le chasseur traine un peu, cherchant à observer davantage les lieux. Mais les vampires qui l'accompagnent le bousculent pour le forcer à avancer.

Ils lui font descendre les estrades par les escaliers qui les jalonnent à intervalle régulier. Jusqu'à arriver en bas. Les pierres polies laissent place à un terrain sableux. Deux trappes au centre laissent supposer que l'on peut faire monter quelque chose du sous-sol. Un frisson parcourt l'échine de Lugh sans qu'il ne sache vraiment pourquoi…

On le pousse vers une porte et il y découvre une succession de cages. Certaines sont vides, d'autres enferment des créatures de toutes races. L'une d'elles attire particulièrement son attention. La bête qui s'y trouve n'est autre que celle qu'il traque depuis des jours !

— Eh, attendez ! Qu'est-ce que ça veut dire ?

Mais les vampires ne prennent pas la peine de lui répondre et l'entraînent plus avant dans le sous-sol de l'arène.

— Enfermez la métamorphe là, ordonne la suceuse de sang en désignant l'une des cages.

— Qu'est-ce que vous faites ? s'alarme aussitôt Lugh.

— Tu ne devrais pas te soucier de son sort, et te préoccuper davantage du tien.

Le colosse jette la change-forme derrière les barreaux. Celle-ci se réveille avec difficulté.

— Loréna ! l'appelle le chasseur.

— Lugh ? Où est-ce qu…

Coupant court, les suceurs de sang le poussent à avancer. Malgré sa blessure, l'homme cherche à se défaire de leur prise.

— Vous n'avez pas le droit de faire ça ! Laissez-la s'en aller !

— Elle tiendra compagnie à notre ami, lui répond sournoisement la vampire.

— Votre ami ? De quoi est-ce que vous parlez ? Ne me dites pas que…

— La créature que vous traquez est à nous, crache-t-elle.

Interdit, Lugh n'en croit pas ses oreilles.

— Quoi ?! Comment est-ce… ?

La suceuse de sang lui répond d'un ton exaspéré :

— Ah, vous autres humains, hésitez depuis des années à user de la science en ce domaine. Nous n'avons pas attendu pour mettre en pratique vos recherches. Et pas uniquement sur des moutons ou des rats. Si la génétique a un quelconque pouvoir, nous nous en sommes servis sur des êtres bien plus intéressants.

— Par les Dieux, qu'avez-vous fait ?...

— Cette créature est le fruit d'un croisement que vous n'auriez jamais imaginé. Nous l'avons pourvu du meilleur des différentes races dont elle est issue. Ce qui en fait le prédateur ultime. Et ses capacités de chasse nous sont d'une grande utilité.

— Qu'est-ce que ça sous-entend ?

— Étant donné le sort qui est bientôt le vôtre, je peux bien vous en dire davantage, sourit la vampire. Vous n'aurez pas le loisir d'aller ébruiter notre petit secret.

Lugh est saisi d'un mauvais pressentiment. Ce que s'apprête à lui révéler la suceuse de sang ne va pas lui plaire…

La créature est issue de trois êtres différents. Et quitte à bien faire les choses, ces trois êtres sont bien évidemment surnaturels. Du vampire, elle tient sa soif de sang. De la gargouille, elle tire sa force et sa robustesse. Et du garou lui vient son instinct de chasse sans égal. La ruche des Ailes d'Obscurité abrite un monstre créé pour chasser, traquer et tuer. La question est de savoir si les vampires contrôlent la créature ou non.

— Dans quel but avez-vous créé cette… chose ? ose le chasseur.

— Est-il sage de te révéler nos intentions ? se demande la vampire.

— Si je dois mourir ici, il ne sert à rien de garder le secret. Je ne pourrais pas le divulguer.

— Effectivement, vu comme ça, sourit-elle.

L'envie de lui dévoiler la vérité est trop grand pour qu'elle se taise. Lugh voit combien elle trépigne à l'idée de lui dire ce que la ruche prépare. C'est trop tentant de le narguer. Alors, elle se lance :

— Les banques de sang sont trop cadrées et contrôlées. Elles nous ont rendu dépendants des humains. Ce sont eux qui gèrent ces centres. Il est temps que cela change. Notre espèce est là depuis aussi longtemps que le sont les humains, mais nous sommes plus évolués. C'est à nous que revient le droit de gouverner ce monde. C'est à nous qu'appartient le pouvoir. Notre petite expérience ayant porté ses fruits, nous pouvons nous dispenser des banques de sang pour organiser notre propre collecte et notre propre banque sanguine. Cette créature que tu chasses est notre limier, notre rabatteur. Elle chasse les humains pour nous. Certes, il lui arrive parfois de se laisser gagner par l'instinct et la faim. Mais c'est elle qui capture des humains pour nous, dans le but de constituer une véritable banque de sang digne de ce nom. Une banque que nous gèrerons nous-mêmes, sans l'aide de ces misérables bouts de viande.

— Les vampires et leur égo… siffle Lugh. Je vous pensais plus évolués que ça.

— Fais attention à ce que tu dis, Traqueur !

— Je ne comprends pas le but de tout ceci. Capturer des humains… pour quoi faire ?

— Il ne sert à rien de les tuer pour les tuer. Ils nous sont bien plus utiles en vie. Plus longtemps ils restent en vie, plus longtemps ils nous nourrissent.

Le sourire qui étire peu à peu les lèvres de la vampire effraie le chasseur. Il a peur de comprendre…

— Nous avons mis quelques décennies à mettre le système au point, explique-t-elle, mais nous y sommes finalement parvenus.

— De quel système est-ce que tu parles ? s'alarme Lugh.

Elle lui adressa un regard réjoui.

— Ta curiosité est amusante. Je vais te montrer.

Elle l'entraîna alors au-delà des geôles de l'arène.

© Lynn RÉNIER
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