Instinct de Chasse - Chapitre 2 : Poursuite dans la Ville

Lynn Rénier

La nuit s'achève bientôt. Voilà des heures qu'il attend, planqué dans ce petit appartement désert au dernier étage de l'immeuble en construction. Depuis, rien n'a bougé. Seuls les chauves-souris et les papillons nocturnes fendent l'air l'espace d'une seconde. Il commence à trouver le temps long, trop long. L'impatience le guette de plus en plus.

Il est presque tenté de rengainer son arme et de quitter son point d'observation. Et si la bête l'avait découvert ? Et si elle avait découvert où il se terre en l'attendant ? Ça fait beaucoup de "si"… Il ne peut pas se permettre de tout reprendre depuis le début. La traque a trop duré. Il soupire, exaspéré, quand soudain, son œil avisé décèle un mouvement suspect.

Son instinct de chasseur ne l'a pas trompé : ça a bougé. Là, juste au pied de l'immeuble d'en face. C'est elle, il en est certain. Mais pourquoi a-t-elle tant tardé à apparaître ? Elle n'est pas partie chasser. C'est suspect. Bien trop suspect. La faim doit la tenailler, et avec le jour qui va se lever d'ici deux heures, il lui faudra bientôt regagner son antre en attendant la tombée de la nuit prochaine. Alors, pourquoi a-t-elle tardé à sortir ? Pourquoi n'est-elle pas sortie plus tôt, pour aller se nourrir ?

Il n'aura pas de réponse à sa si longue attente. Du moment que la créature ne laisse pas de macchabé derrière elle, il se fiche bien de savoir le pourquoi du comment, au fond. Il lui faut seulement mettre fin à ses agissements avant qu'elle ne trouve un pauvre badaud à se mettre sous la dent. Car elle a faim, c'est indéniable. Et plus la faim la tenaille, plus elle prendra plaisir à tuer.

Elle se sait traquée, et a espéré échapper au chasseur en se terrant dans sa planque si longtemps. Mais la nuit a été longue et elle n'a pu tenir davantage. Elle a senti qu'elle serait incapable de rester le ventre vide une journée de plus et est ainsi entrée en chasse, pour dévorer tout ce qui se présenterait à elle en ces dernières heures de nuit.

Le chasseur le sait, il l'a suivi assez longtemps pour avoir fini par la connaître, elle et ses maudites habitudes meurtrières. Il a eu raison de patienter autant. Il a passé des jours à la pister, à la traquer. Alors, il ne pouvait lâcher sa piste maintenant. Il range ses armes aussitôt, éteint l'énième cigarette qu'il venait d'allumer, pour la suivre comme une ombre tandis qu'elle erre à la recherche de son prochain dîner.

La traquant silencieusement, de toit en toit, il la suit quelques minutes, sans qu'elle ne montre le moindre signe d'attaque imminente. Elle ne semble pas non plus l'avoir repéré. Une chance. Du haut des immeubles, le chasseur a une vue parfaite pour la filer sans qu'elle ne s'en aperçoive. Et ses capacités surhumaines l'aident à rester discret tout en sautant de toiture en toiture comme un félin.

Il aurait voulu l'abattre tout de suite, mais la bête ne file pas droit, et aime virer brusquement dans les ruelles. Elle cherche une proie, un clochard ou un fêtard trop alcoolisé. Bien plus facile à attraper, et à tuer. Encore un de ces montres opportunistes qui évitent de trop se fatiguer à chasser.

Soudain, il manque de la perdre entre les immeubles. Elle sait si bien se fondre dans les ombres et les ténèbres de la nuit. Plus encore qu'elle est affamée. Mais ce n'est pas sa première traque. Il sait comment ces créatures pensent. Il suffit d'avoir un coup d'avance sur elle. Toutefois, l'intelligence de celle-ci le fait se méfier. Il préfère rester sur ses gardes malgré tout et ne pas s'avancer en hypothèse.

 

Il saute sur le toit suivant, d'un bond trop impressionnant pour le commun des mortels. Malgré les apparences, il n'est pas tout à fait humain. Une ascendance hybride lui confère des capacités hors normes. Et ses qualités de chasseur en résultent pour partie. Une chance. Cette fois la bête n'a pas qu'un simple humain en face d'elle. Peut-être saura-t-il lui tenir tête plus longtemps que ses malheureux prédécesseurs ?

Il a des sens plus affutés, une vue excellente de jour comme de nuit, un instinct de chasseur sans égal, un flair développé qui ne le trompe jamais, une ouïe fine qui perçoit le moindre bruissement de mulot. Il n'a en rien volé son titre de meilleur chasseur de la Guilde. Ses confrères sont unanimes là-dessus. Lui, n'aime pas ce titre trop glorieux qu'on lui voue. Tout ce qui lui importe est de faire ce pour quoi la Guilde l'a engagé : chasser les créatures de la nuit qui perdent l'esprit et se laisse gagner par l'instant de la bête pour devenir de sanguinaires tueurs.

 

Voilà de longues minutes qu'il la suit. Et elle ne tente rien. C'est étrange. Elle zigzague entre les bâtiments sans chercher à croquer un passant nocturne, se fondant dans les ombres pour passer inaperçu dans ce monde empli d'humains. Le chasseur commence à se demander si elle ne l'entraîne pas dans un piège. Sa méfiance s'accroit.

Puis, tout à coup, elle plonge dans un escalier : le métro ! Il ne doit pas la perdre ! A l'aide d'un grappin, il se laisse glisser le long de l'immeuble et bondit au sol pour la suivre. La créature aime les souterrains et les endroits sombres. C'est bien sa vaine ! Rien de mieux pour tendre une embuscade au traqueur.

Prudemment, il descend les marches, son arbalète chargée devant lui. Les néons sont éteints. Mais l'obscurité ne le dérange pas. Presque au contraire. Comme tout prédateur, il y voit mieux la nuit qu'en plein jour. La pénombre, ce n'est pas ce qui l'effraie. Il craint davantage que la créature ait découvert sa présence et l'attende au tournant.

La station de métro est déserte. À cette heure-ci, la dernière rame est passée depuis longtemps et la première de la journée ne circulera pas avant deux ou trois bonnes heures. Cette fois, la chance est trop présente pour que ce ne soit réellement que ça.

Sur ses gardes, le chasseur s'avance. Entre les poteaux, personne. Pas un mouvement, pas un frémissement. La bête est pourtant là, il l'a vu entrer. Elle n'a pas pu déjà ressortir ? Ou elle s'est engagée sur les rails. Et rien que l'idée de l'y suivre le fait grincer des dents. Il a une sainte horreur des tunnels et autres souterrains…

 

Il inspecte méticuleusement les lieux. Si la créature est là, dissimulée, il ne doit pas la manquer. Et son instinct lui donne raison. Un grognement résonne dans son dos. Il a tout juste le temps de se retourner que la bête est sur lui. La flèche part et touche sa cible. Le monstre n'est pourtant que blessé, une plaie superficielle. Il est coriace le bougre ! Un carreau ne suffirait pas pour le mettre hors d'état de nuire ? C'est ennuyeux. Très ennuyeux…

La créature retire le carreau comme s'il s'agissait d'une brindille collée dans son poil. Elle laisse négligemment tomber la flèche de sa grosse patte griffue, un sourire carnassier plein de crocs adressé au chasseur. Elle s'amuse ! Cette satanée bête joue avec lui.

Le chasseur recharge. Son arbalète est une arme facile à manier pour qui sait s'en servir. Contrairement à une arbalète ordinaire, il ne met qu'un quart de seconde à la charger. Et lorsque l'occasion se présente, il peut même y glisser deux flèches.

Il n'a pourtant pas le temps de tirer une seconde fois. La créature charge à nouveau. Il évite les crocs meurtriers de peu. Un coup de griffes à peine esquivé lui vaut une entaille sur la pommette. Le pelage d'un brun sombre de la bête est un atout. Et le chasseur sait que ses capacités d'hybrides lui sont d'une grande aide pour ne pas finir en hors d'œuvre.

S'il pouvait, il tirerait sa lame de son fourreau pour parer les attaques de griffes du monstre. Celui-ci ne lui laisse malheureusement pas le temps de changer d'arme. Le chasseur se défend alors tant bien que mal, esquivant comme il le peut les assauts répétés de crocs.

Une ouverture s'offre à lui et sans réfléchir, il saisit aussitôt son sabre pour asséner un coup. C'est sa vie ou celle de la bête. La décision est vite prise. La lame s'enfonce dans l'épaule du monstre, qui pousse un rugissement à réveiller un mort. Un sang noir et collant sort de la plaie. Le chasseur s'écarte, une énorme patte griffue manquant de l'attraper.

Rageuse, la bête l'abandonne là et s'enfuie vers les rails. La traque n'est pas finie. Et il rengaine pour se lancer à sa poursuite, les traces de sang noir et poisseux le guidant sur la piste.

© Lynn RÉNIER
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