Instinct de Chasse - Chapitre 3 : Bête Sanguinaire

Lynn Rénier

Le chemin de sang le mène à travers le réseau du métro, sous la ville. La bête est encore vive malgré sa blessure. Incroyable. Pas étonnant qu'elle ait tenu tête à deux des meilleurs chasseurs de la Guilde jusque-là.

Comme un fin limier, le traqueur la piste. Il prend son temps, ne veut manquer aucun signe. Peu à peu, les traces le guident vers une autre station. La créature cherche à rejoindre la rue. Son sang perle les escaliers.

Son arbalète toujours chargée, le chasseur gagne l'avenue. Quelques rares voitures, souvent des taxis, circulent à cette heure plus que matinale. Un ivrogne décuve sur un banc un peu plus loin, un chien errant traverse la rue, un lampadaire dont l'ampoule fatiguée clignote en grésillant. Du bruit dans une ruelle, une poubelle que l'on renverse, un chat qui feule puis s'enfuie. C'est là !

Il s'agit de l'arrière d'un restaurant. Le petit félin devait venir y chercher les restes dans les poubelles alignées contre le mur. Il n'a pas eu le temps de festoyer, la bête venant le déranger.

Le chasseur a la désagréable surprise de retrouver sa proie accompagnée d'un corps. À sa tenue, ce devait être un jeune serveur qui nettoyait la salle du restaurant et qui était venu vider les poubelles dans la rue sans doute. Une victime de plus…

La bête a volé sa vie pour un peu d'énergie. Les créatures de son espèce se nourrissent de la force vitale de leur victime. Et celle-ci, blessée, s'est empressée de trouver un amuse-gueule pour reprendre des forces. Elle est intelligente, et rusée. Elle sait parfaitement ce qu'elle fait. Et c'est bien ça le pire.

L'odeur du sang le prend aux tripes. Mais le chasseur ne se déconcentre pas de sa tâche. Il lève son arme, vise et tire. La flèche vient se ficher dans l'aine du monstre qui lâche le corps sans vie du serveur et s'enfuie à nouveau.

La traque reprend. Dans ces petites ruelles, le monstre peine à avancer. Sa masse l'empêche de filer comme il le voudrait. Une bonne chose pour le chasseur qui est sur sa piste. Malgré les barrières de grillages et les amoncellements de cartons en tout genre, il ne la quitte pas d'une semelle.

 

Les docks se dessinent peu à peu. Ses grues, ses conteneurs empilés, ses cargos chargés, ses dockers… Et la créature file droit devant. Pourtant, le traqueur n'aime pas l'idée. Les conteneurs sont toujours en mouvement, les employés sont là à toute heure de la journée. Il pressent un carnage de plus.

Il veut arrêter la bête, la faire dévier de sa trajectoire. Armant une nouvelle flèche, il vise la route de la créature. Le carreau vient taper contre le mur, se fichant entre deux parpaings, et le monstre vire à gauche brusquement.

Les ruelles que la bête emprunte sont parsemées de poubelles, cartons et autres immondices. Elle fait tout valdinguer sur son passage. Puis, elle s'engouffre dans une impasse. Et là, elle se sait piégée. Elle n'a plus la force de grimper le long du mur de l'immeuble. Tout ce qu'elle peut tenter, ainsi acculée, c'est attaquer. Le chasseur le sait aussi bien qu'elle.

Mais à peine la rejoint-il dans l'impasse qu'il remarque un hangar à moitié ouvert. Le monstre le repère aussi, et y pénètre en défonçant la porte. Il ne rend vraiment pas les choses faciles pour le chasseur. Entrer à son tour dans ce hangar avec une bête blessée et démente ne l'enchante pas du tout. Pourtant, il doit bien s'y engouffre pour la tuer. La Guilde le paie pour ça et il ne peut pas la laisser en liberté. Il y a déjà eu trop de morts par sa faute et son appétit.

 

Il se glisse à l'intérieur du hangar. La pénombre noie tout dans le noir. Il y a des caisses de cargaisons, des cartons, des échafauds garnis de marchandises emballées, des pots métalliques et des conserves aussi. À l'entrée, un petit chariot élévateur. Et un bazar sans nom un peu partout.

Le chasseur se cramponne un peu plus sur son arbalète, le doigt sur la gâchette. Un mouvement brusque et la flèche s'en va aussitôt. Il ne veut pas devenir le prochain repas du monstre.

Ce dernier tente de trouver une autre sortie. Ses griffes raclent le sol, ses grondements frustrés et menaçants résonnent dans le hangar, le bruit des marchandises qu'elle fait tomber sur son passage en grimpant sur les étagères de métal. Le traqueur à bien du mal à la localiser avec tout ce bruit assourdissant. Ça résonne et ses sens en sont quelque peu perturbés.

Son œil perçoit une ombre çà et là, de temps à autre. Cependant, il ne prend pas le risque de manquer sa cible. Cette fois, il veut être certain de l'atteindre pour l'abattre. La traque n'a que trop durer. Et la fatigue n'est pas loin. Ses heures passées à chasser sans fermer l'œil se font subitement sentir. Il est grand temps qu'il mette ce monstre hors d'état de nuire.

 

S'apercevant qu'elle ne peut s'enfuir, la bête râle. Ça résonne entre les quatre murs du hangar. La porte métallique vibre. Le chasseur se prépare à la voir revenir à la charge, sa flèche pointée devant lui.

Un bruit dans son dos le fait sursauter. Il se retourne pour voir s'effondrer sur lui l'une des étagères garnis de marchandises en tout genre. Le grincement infernal est douloureux pour ses oreilles plus sensibles que celles d'un être humain. Il grimace tout en s'écartant pour ne pas finir écrasé.

Un autre grondement sourd. La créature aurait voulu le voir coincé sous l'échafaud, sans doute. Il l'a surprise avant qu'elle ne puisse finir son repas avec ce malheureux serveur, alors la faim est encore là. Étant donné qu'il est le seul bout de viande dans ce hangar, il sait très bien qu'elle l'envisage.

Seulement, au contraire du jeune homme qui a eu le malheur de croiser la route du monstre, étant au mauvais endroit au mauvais moment, le chasseur lui est là pour la défier. Il n'est pas une proie facile. La bête le sent. Comme il sent qu'elle est bien plus maligne que la plupart des créatures enragées qu'il traque d'ordinaire.

Se remettant du fracas métallique des étagères qui s'effondrent, le chasseur lève les yeux pour voir une masse sombre posée sur les caisses de bois. La bête se ramasse comme un fauve pour lui sauter à la gorge. Aussitôt, il place son arbalète devant lui, pointé sur la créature.

Elle bondit, le carreau siffle. Une fois encore, par il ne sait quel coup du sort, la flèche manque le monstre. Ce dernier lui tombe dessus de tout son poids, l'écrasant au sol. Le chasseur a tout juste eu le temps de sortir son sabre pour tenir les crocs à bonne distance. Mais le poids de la bête l'étouffe.

Les griffes meurtrières s'enfoncent dans son épaule et il retient un cri douloureux, les dents serrées. Il doit se défaire de la prise du monstre ! Ou il y passera comme ses deux collègues avant lui. La bête n'attend que ça. Elle salive d'avance.

 

Soudain, un hurlement semblable au chant d'un loup se fait entendre, détournant ainsi l'attention de la bête. Le chasseur en profite pour s'échapper. Il se redresse, pour tenir tête à son adversaire monstrueux qui lui fait face à nouveau.

— Allez, viens, je t'attends, lui dit-il.

La bête lui répond d'un grognement sourd et revient sur lui.

D'un mouvement vif, le chasseur recharge son arbalète. Dans ce genre de situation, il préfère la savoir chargée. Il la glisse ensuite en bandoulière dans son dos, pour qu'elle le gêne le moins possible. Ses deux mains serrées autour de la poignée de son sabre, il attend alors que le monstre soit à portée de lame.

Ce dernier ne se fait pas attendre, et s'élance comme un fauve qui bondit sur sa proie. Le chasseur pare, assène un coup et reprend position. La bête observe son sang sombre couler sur son poil, grogne, montre les dents. Et elle s'apprête à bondir de nouveau. Mais un bruit furtif les stoppe net tous les deux.

Le traqueur scrute le hangar, à la recherche d'un mouvement suspect. Rien. Sans doute le vent. Pourtant, la créature semble agitée, elle ne cesse de flairer. Le chasseur frappe une caisse de son sabre pour attirer sa vigilance, elle répond en fixant ses yeux jaunes sur lui.

— Maintenant que j'ai toute ton attention, siffle le chasseur, on va peut-être pouvoir finir ce qu'on a commencé…

La bête n'a pas le temps de lui répondre. Une seconde créature surgit, venant planter des crocs longs comme des poignards dans l'épaule du monstre. Une bagarre s'engage aussitôt, à coups de grognements rauques et de coups de griffes.

Le chasseur en tombe des nus. Il ne s'attendait pas à ça. Voilà qu'une autre bête se joint à la fête. Il ne manquait plus que ça ! Comme si une seule ne suffisait déjà pas assez pour lui compliquer la tâche… Les grondements des deux créatures résonnent comme le tonnerre dans l'espace quasi clos du hangar. C'est impressionnant.

Les deux bêtes s'étripent, à coups de crocs et de griffes acérées. Le traqueur assiste à la scène, presque bouche bée. Il ne peut s'interposer, il n'en sortirait pas sain et sauf.

Puis, il remarque que la plus élancée des deux créatures parvient à prendre le dessus. L'homme y voit une opportunité de tirer sa flèche. Il rengaine son sabre sans le nettoyer du sang noir et poisseux, saisit son arbalète, prend le temps de viser.

Cependant, dans la mêlée, difficile de savoir qui est qui. D'ailleurs, comment savoir si le monstre et la créature fraichement arrivée ne sont pas aussi dangereux l'un que l'autre ? Pour l'heure, le chasseur tente de se concentrer sur sa cible première.

Dans un nuage de poils, la pointe siffle et vient se planter dans la cible qui va s'effondrer contre le mur. Mais à la grande stupéfaction du tireur, le monstre, indemne, parvient à s'enfuir, laissant son adversaire et la flèche derrière lui…

© Lynn RÉNIER
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