Instinct de Chasse - Chapitre 4 : Mauvaise Cible

Lynn Rénier

Sa flèche déjà partie, il s'aperçoit trop tard qu'il s'est fourvoyé. Il visait pourtant le monstre. Mais ce n'est pas la bête sanguinaire qui est touchée. Elle, est parvenue à s'enfuir. Il enrage. Il y était presque !

Doucement, il approche de la créature blessée recroquevillée contre le mur qu'il l'a envoyé percuter avec son puissant tir d'arbalète. Et ce n'est pas la maudite bête qu'il pourchasse depuis des jours qui se tient devant lui à cet instant. Elle n'a rien d'humain non plus, certes. Mais il ne lit dans ce regard brun ambré aucune cruauté, aucune méchanceté. Simplement de la peur et de la douleur. Et de la colère.

Le pelage d'un joli brun sable semble si doux sous les doigts. Ce museau long et ses oreilles dressées sur le haut de son crâne sont sans équivoque. Cette allure fine et élancée, il pourrait l'assimiler à cet animal dont on entend le chant parfois dans les plaines. Les muscles sous la peau sont pleins de force, il le voit bien. Cette créature transpire souplesse et puissance.

C'est une jeune change-forme qui se tient, prostrée, devant lui et son arbalète chargée. Et plus exactement dans ce cas présent : une jeune métamorphe qui sait prendre l'apparence d'un coyote. Parfois sous forme hybride mi-humaine mi-animale, comme ce soir-là. Car elle a une allure humaine et une apparence bestiale à la fois. Dans un langage plus courant, elle pourrait être appelée une coyote-garou. Même si elle ne fait pas partie de ceux que la lune transforme, mais plutôt de ceux qui se changent quand ils le souhaitent.

Le carreau qu'il voit fiché dans son flan le fait se mordre la lèvre. Et il se demande presque pourquoi il a tiré. Il était pourtant certain de toucher le monstre…

Ne vérifiez-vous pas avant de tirer ! Lui crache-t-elle de cette voix déformée par la transformation et par la douleur que lui cause le carreau dans sa chair.

Elle serre ses crocs de douleur, tenant sa blessure de sa large patte griffue.

— J'étais en chasse, se défend-t-il. Tu n'avais rien à faire là. Je traquais cette maudite bête depuis des jours ! Et la voilà envolée ! Tu n'avais pas à te trouver sur mon chemin, ni à intervenir comme tu l'as fait. Tu n'avais rien à faire là, répète-t-il, encore moins entre elle et moi.

J'étais en chasse tout autant que vous ! Pourquoi un Traqueur s'en prend-t-il aux membres de la Ligue ?! Pourquoi m'avoir tiré dessus ?

Il n'est pas surpris. Pas tout à fait. Il sait que bien des clans de métamorphes ont signé le traité. À cause des bêtes qui s'amusent à décimer les êtres humains pour se nourrir, la plupart d'entre eux ont été injustement accusés, injustement condamnés. Et ce depuis des lunes. Le traité a été signé pour les protéger, eux et d'autres créatures de ce monde que les hommes doivent ignorer pour leur propre bien.

— J'ignorais que la Ligue avait envoyé quelqu'un.

Il approche, baissant son arme. Mais elle tente de s'éloigner, se recroquevillant davantage en montrant les crocs.

— Je m'excuse, lui dit-il. Je ne voulais pas te blesser.

Les humains devaient apprendre à réfléchir avant d'agir !

Il ne la corrige pas. Inutile de lui préciser qu'il n'est humain qu'à moitié.

Il devine les larmes dans ses yeux. La peur ou la douleur, il ne sait pas très bien. Mais il veut rattraper son erreur.

— Laisses-moi t'aider.

Non ! Ne me touchez pas, vous en avez assez fait.

— C'est bien pour cela que je veux t'aider. Allons, laisses-toi faire.

La métamorphe le scrute de ses yeux couleur de feu. Il a l'impression qu'elle lit en lui. Il a entendu dire que les êtres mi-humain mi-bête savent lire dans le regard. Elle l'étudie une minute, avant de le laisser approcher. Un léger signe de tête en guise d'approbation.

Elle est tremblante, le regard hagard. Il sent la peur transpirer d'elle malgré cette fausse confiance qu'elle affiche devant lui. Sous son poil, il voit presque la sueur perler. Elle lutte contre la douleur, les mâchoires serrées. Sa respiration est rapide, haletante. Il sait qu'elle est éreintée.

À peine fait-il un pas vers elle qu'il la voit soudain changer et abandonner cette apparence canine. Elle a perdu connaissance, et se retrouve dans le plus simple appareil, livrée à lui comme une proie trop facile. Sans doute ses forces l'ont-elles quitté, la blessure trop grave pour qu'elle ne parvienne à lutter. Gêné, il lui glisse son manteau sur les épaules pour couvrir sa nudité. Elle lui semble si fragile tout à coup…

 

Il l'observe une minute, presque fasciné. Il est si rare de voir un métamorphe se transformer devant soi. C'est quelque chose que ces êtres préfèrent faire à l'abri des regards. Certains disent que c'est trop personnel, trop intime pour le faire devant de non-changes-formes. Et le chasseur comprend pourquoi. C'est un instant si particulier, de mise à nue de l'être qui se change, de vulnérabilité aussi.

Sa fascination passée, il se reprend. Il réalise qu'il ne peut la laisser là, à la merci du monstre qui pourrait revenir ou de n'importe quelle autre créature mauvaise. Encore moins à la merci des humains. Si elle a été envoyée par la Ligue, il doit lui venir en aide. D'autant que c'est par sa faute qu'elle est blessée.

Par soucis, le chasseur examine la blessure un instant. Elle n'est pas grave, il le voit au premier coup d'œil. Le voilà soulagé. Mais la plaie doit être douloureuse. L'adrénaline de la métamorphe redescendu suite à sa chasse, la surprise et à la souffrance causée par la flèche, elle s'est aussitôt évanouie. Il connait bien cet effet-là.

D'un geste sûr, il casse la tige de la flèche au plus court. Déchirant un morceau de sa chemise, il lui fait une compresse de fortune. La plaie saigne beaucoup, mais ça suffira à la stopper le temps qu'il la transporte ailleurs. Il regardera plus tard pour retirer la pointe de métal, à l'abri et au calme.

Doucement, il muche la métamorphe dans son manteau long, pour la prendre dans ses bras et la porter en lieu sûr.

© Lynn RÉNIER
Signaler ce texte