Instinct de Chasse - Chapitre 9 : Sur la Piste
Lynn Rénier
Loréna suit une légère effluve à travers la ville endormie. Cette odeur âcre, presque pestilentielle, ne peut pas tromper. C'est celle de la bête. La piste les mène de l'autre côté de la cité. Le terrain de chasse de la créature s'étend jusqu'à la banlieue proche. Les deux associés en déduisent rapidement qu'elle pourrait faire de gros dégâts dans la population s'ils ne l'arrêtent pas très vite.
Un quartier résidentiel se dessine devant eux. Lugh fronce du nez. Il n'aime pas l'idée de savoir le monstre en liberté au milieu des résidences. Ce n'est pas comme en pleine ville. Les habitants pourraient croiser la bête à tout moment, en déambulant dans les rues ou jusque dans leur jardin. Et si elle s'introduisait dans l'une de ces jolies maisons aux toitures tuilées ? Ça serait un véritable carnage…
Au détour d'une rue, ils tombent sur le cadavre d'un chien. Le pauvre animal n'a pas eu de chance. La bête en a fait son amuse-gueule. Le chasseur se baisse pour jeter un œil. Le sang est encore chaud, le monstre a abandonné son goûter il y a peu. Sans doute les a-t-elle senti approcher et s'est enfui sans avoir terminé son repas.
L'homme fait signe à la métamorphe que leur proie n'est pas loin. Ils se rapprochent, la piste les guidant vers une avenue commerçante. Les enseignes des petites boutiques éclairent le trottoir aux couleurs des néons. La vitrine du boucher a été brisée. Nul doute quant à l'auteur du saccage à l'intérieur. La faim pousse la bête à se nourrir de tout ce qui lui passe sous les crocs. Il devient de plus en plus urgent de la stopper.
Depuis le bord du trottoir, Loréna observe la scène une seconde, songeuse. Elle cherche à comprendre le comportement de la créature. Ses méthodes de chasse ne sont pas logiques. Elle ne semble pas avoir d'habitude particulière.
— On dirait un prédateur opportuniste, hypothétise-t-elle. Tout ce qui peut la nourrir semble lui convenir, peu importe comment elle l'obtient ou ce que c'est, tant que ça se mange… Sa technique de chasse change constamment, je ne comprends pas… N'a-t-elle pas d'habitude ?
— C'est ce que je pensais à l'avoir observé ces derniers jours. Me serais-je trompé ?
Les yeux de son partenaire s'emplissent de doutes.
— Nous savoir sur ses traces a sans doute modifié sa routine, le rassure la métamorphe.
— Sans doute.
Elle veut ajouter autre chose mais un bruit sourd dans la charcuterie l'en empêche.
Tous deux se figent, alertes. Un grincement de métal tordu, un son mat : ce léger boucan est révélateur. La bête est toujours à l'intérieur. Restants prudents, Loréna et Lugh n'entrent pas dans la boucherie. Ce serait prendre trop de risque. L'endroit exigüe ne se prête pas à s'y retrouver avec un monstre affamé.
Une masse noire se devine au milieu des jambons. La bête est tellement grosse qu'elle peine à se déplacer sans tout renverser sur son passage. Le bruit de ses mâchoires résonne : elle est en train d'avaler toute la carne de la boutique. N'ayant pas déceler la présence du chasseur et de la métamorphe, elle se remplit la pense goulument.
Lugh arme son arbalète, tend la corde mais hésite. Il sait que sa flèche ne tuera pas la bête. Elle ne fera que la blesser et la mettre en colère. Et si elle charge à travers la devanture explosée, ils se retrouveront face à une créature furieuse. Il préfèrerait éviter cette situation. Mais comment la faire sortir de la chambre froide sans qu'il ne se mette en danger ou ne mette en danger sa partenaire ?
Soudain, la créature se redresse. Le son de mastication a cessé. Elle les a sentis. Un grondement résonne. Loréna se change aussitôt, son pelage de coyote tout hérissé. Lugh se prépare lui aussi, la pointe de sa flèche visant la forme sombre dans la boucherie.
— Allez, sors de là, suggère-t-il tout bas.
Le monstre braque ses yeux sur eux. La métamorphe se ramasse comme un fauve prêt à bondir, la corde de l'arbalète se tend davantage.
Envoyant tout valser dans la boutique, la bête se rut alors sur eux. Ses griffes raclent le sol et son poids mesure le rythme de ses pas. Avant qu'elle n'atteigne la vitrine brisée, la flèche siffle pour venir se ficher dans son cou. Cela ne l'arrête pas mais la gêne. Un grognement frustré lui échappe. Elle charge tout de même ceux qui la traquent et s'élance à travers la devanture.
— Baisse-toi ! prévient Lugh.
Il a tout juste le temps de se jeter sur Loréna pour la renverser au sol. La bête passe au-dessus d'eux sans les toucher pour atterrir au milieu de la rue.
© Lynn RÉNIER