Intérieur,femme en bleu fouillant dans une armoire. La robe de chambre bleue.

Valérie Saint Genis

Femme habillée sous la robe de chambre,cherchant un document caché par son mari, avant de s'enfuir de la maison.

Elle avait attendu longtemps, les pieds froids, les mains froides, le cœur froid. Elle avait attendu dans le noir, les yeux ouverts, tournée vers le mur dont elle se souvenait avec mépris, sans les distinguer, des motifs usés et des traces d’humidité. Elle avait patienté, maîtrisé sa respiration et ses tremblements et, quand elle avait su qu’il s’était enfin endormi, elle s’était levée, fantomatique mais déterminée. Le parquet avait à peine grincé, pas plus que durant ces longues nuits où le bois travaillait et vieillissait en gémissant.

La veille, elle avait laissé ses vêtements de ville dans le cabinet de toilette. Elle les avait dissimulés avec un petit bagage, accrochés au porte-manteau sous sa robe de chambre.

Sa décision était prise depuis des mois, elle devait fuir. Elle devait échapper à cette sourde monotonie qui l’engluait chaque jour davantage, ankylosant ses membres et l’entrainant inexorablement vers l’asphyxie, une morte lente et douloureuse. Il fallait qu’elle vive, qu’elle retrouve sa dignité, qu’elle retrouve sa fierté et parte le plus loin possible de cet homme.

Elle avait tant lu dans sa jeunesse. Elle avait fréquenté, jour après jour, les romanciers et les philosophes, elle avait senti, pensé, vécu avec eux mais elle avait renoncé à cette première passion parce qu’elle s’était cru aimée et désirée, et elle avait sacrifié ses utopies à un homme de chair et d’os.

Cet amour avait été si éphémère, si illusoire. Alors qu’elle franchissait les pas qui la menaient à l’autel, elle savait déjà qu’elle se jetait dans l’abime. Mais, à ce moment, alors qu’il était encore temps, elle n’avait pas osé dire non. Pas dans cette église de village simple et solennelle, pas devant ces familles souriantes et maladroitement engoncées dans leurs habits du dimanche. Elle n’avait pas pu dire non, personne ne disait non, aucune femme n’avait jamais dit non.

Elle ajusta ces vêtements avec dextérité, tira les lacets, serra les rubans, puis elle enfila sa fameuse  robe d’intérieur bleue, un peu usée, mais suffisamment ample, pour camoufler sa tenue de voyage.

S’il surgissait, malencontreusement réveillé, elle pourrait prétexter qu’elle ne trouvait pas le sommeil, hantée par quelques mauvais rêves, et qu’elle cherchait un livre pour apaiser ses tourments et se rendormir tranquillement.

Elle était maintenant devant la pauvre bibliothèque, vide de tous les ouvrages qu’elle avait aimés et que son époux avait condamnés, excellant dans toutes les formes de censure et d’avarice. Sa large robe de chambre voilait, en partie, les rayonnages et la finalité de ses recherches réelles.

Elle l’avait entr’aperçu une fois qui cachait papiers, lettres ou documents dans un vieux traité des bonnes manières. Les quelques documents qu’il n’avait pas encore eu le temps de transférer dans son coffre à la banque, il les laissait provisoirement, au vu et au su de tous, en évidence, à l’intérieur de différents gros livres si dénués d’intérêt qu’il avait acquis la certitude qu’il ne lui prendrait jamais l’idée de les feuilleter.

Il se méfiait d’elle comme elle se méfiait de lui. Il savait, plus ou moins inconsciemment, qu’elle souhaiterait, un jour, se défaire de son emprise et qu’elle chercherait argent et papiers compromettants dans son secrétaire. Dans des tiroirs, faussement secrets, il avait dissimulé des leurres, des appâts, autant de pièges qui devaient l’enchainer à jamais.

Mais, hier, en fin d’après-midi, perturbé par la visite inopportune d’un personnage troublant qui lui avait, apparemment, confié une mission, contre son gré, il avait manqué de vigilance et glissé sans prudence une petite liasse entre deux pages.

Une observatrice aussi livrée à l’ennui qu’elle  l’était, et donc aussi attentive à tous les détails les plus insignifiants de sa petite vie, ne pouvait pas ne pas remarquer que quelque chose avait été bougé et mal remis en place.

Elle ne pouvait pas partir sans avoir quelques preuves de ses malversations. Sa position de femme ne lui donnait aucun pouvoir, et elle ne recouvrerait sa liberté qu’avec une monnaie d’échange d’une valeur suffisante. Il fallait qu’elle découvre ce qu’il avait caché.

Pour mieux duper son mari, elle ne s’était pas coiffée. Quoiqu’il arrive, il fallait qu’il croie qu’elle sortait à peine du lit. Une apparence suffisamment négligée confirmerait ses dires et protégerait sa fuite.

Elle n’avait pas eu le temps de mener à bien ses recherches lorsqu’il surgit dans son dos. Elle ne bougea pas, elle ne se retourna pas, elle s’affaissa juste un peu sur elle-même. Elle se composa un visage ensommeillé, maquilla sa surprise et sa frayeur en fatigue, pencha imperceptiblement la tête dans un mélange de lassitude et d’humilité bien décidée à sauver sa peau.

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