Interview pour le journal « Lo Peolh Revengut »
Jack Lalli
Interview que j'ai donné pour le journal « Lo Peolh Revengut » (numéro de février - mars 2023), en hommage à ces 20 années d'amitiés avec Jean-Marc EUSEBI, dessinateur d'humour, disparu le 5 décembre 2006...
(en niçois dans le journal et en français pour mon intervention: https://www.lo-peolh-revengut.com)
Peux-tu nous évoquer ta rencontre avec l'artiste Jean-Marc Eusébi en ce début d'année 1985 ?
En centre ville de Nice, je vois des affiches qui étaient posées dans les vitrines des commerces. Elles étaient signées Jean-Marc Eusébi. Elles avaient un super graphisme, c'était pour annoncer des soirées « Rock & Ciné » au cinéma « Le Balzac » ( qui était situé au 60 avenue Jean Médecin). Il est dans un style BD rock absolument parlant… Un groupe sur scène jouait, puis un film était projeté.
Et, dans un autre style, il fait des affiches pour la salle du Cedac de Cimiez, annonçant des concerts de jazz, blues... Il avait ce talent d'être éclectique dans la manière de concevoir les compositions colorées, et de s'adapter à des thèmes différents. C'est ce qui m'a complètement emballé, et d'avoir envie de connaître l'artiste en vrai.
Un soir, je vais au Balzac pour une soirée où il fait des dédicaces sur ses affiches. Je vois l'artiste qui dessine rapido-presto, avec son feutre noir. Il est entouré par de nombreuses personnes. Il disait des vannes, discutait et riait avec tout le monde. Arrive mon tour, et j'ai compris que nous étions du même monde, entre la musique rock, l'humour, la satire... Grand admirateur des dessinateurs comme Reiser, Vuillemin.... Et, ce grand esprit de la gaudriole que nous avons, comme pour le journal d'Hara-Kiri du Prof' Choron, Charlie Hebdo, l'Écho des Savanes, Pilote…
• Tu évoques Eusébi comme le seul dessinateur trash à Nice à cette époque. Pourquoi ?
C'était une de ses facettes, personne de faisait dans ce genre bien gras et caustique. Il n'avait pas de limite pour le « mauvais goût ». Avec sa première BD « Cons d'hommes » (1986) c'est du lourd avec des histoires de nases, de dégénérés, ou des personnes simples mais confrontées à des situations absurdes. Pour les soirées au Balzac, il récidivait avec des dédicaces déjantées. Il aimait le contact, s'inspirer des situations que ses lectrices et lecteurs lui racontaient. Dans sa seconde BD « Caresse d'écorcheur » (1988) il perpétue ses gags dans des planches cultes, si je puis dire.
• Peux-tu nous parler de ton fanzine « Le Petit Rockeur Niçois Illustré » ?
Comment est-il crée et avec qui ?
J'ai commencé mes premiers pas, dans ce domaine, comme lui d'ailleurs, en lisant la presse parallèle comme les fanzines, revues faîtes par des amateurs de BD, de rock... J'ai écris pour certains. Le lien a souvent été établi.... Et, je lui avais parlé du désir de monter un fanzine niçois à Jean-Marc. Avec un ami du quartier de la Madeleine, Bernard Rossini, et des amateurs de musique électrique, des amies et amis de la mairie de Nice (je suis topographe de profession), ils me donnaient des dessins et des articles (Benedicte, Jean Paul…). Plus, une très belle plume, dont en nissart, le regretté Henri Landi (il donnait en mairie des cours de nissart avec Dédé Truqui). Aussi, avec un grand passionné de rock 50/60 comme Derry Sciarra (alias Vince Rogers), Michel dit « Fifi Gaga » graphiste et chanteur... Et, un jeune talent dont je présentais un bel avenir pour lui : Pierre Alary Jeune lycéen de la Madeleine, déjà il est très bon dessinateur de BD. Plus tard, il se fera connaître nationalement, avec ses livres comme « Sinbad, Silas Corey, Conan le Cimmérien, Belladonna »…
Et, donc bien sûr, Jean Marc Eusébi qui me fait des couvertures du PRNI, plus ses dessins de BD. L'aventure a duré de 1988 à 1990.
• Octobre 1992, un coup de téléphone d'un gavuòt à un autre. Peux-tu revenir sur cet épisode qui va être le déclencheur de la création d'un journal de contre-information national « Barre à mine » ?
Jean Marc m'annonce l'idée qu'il veut faire un journal satirique, et ce en presse nationale. Il sera composé de dessins, et des articles qui décrivent ton quartier, ta ville, ton village et tout ce que tu vis, tes galères, un dossier par thème de société : le travail, le chômage, la misère, la sécurité, le sexe, la famille, le foot, l'alcool, les drogues, les sectes…
(C'était aussi une sorte de défi en disant, nous niçois, on peut faire un journal national d'humour…).
Je lui dis ok ! On investit de l'argent pour monter et lancer ce journal… Trouver une équipe carrée. Ce sera le cas, dès le début de l'année 1993. Jean-Marc Thérond, il s'est investi beaucoup pour le journal, dont aussi avec ses économies. Il y avait l'excellent Marc Cuadrado (ex talent de Nice-Matin (cf « Les Ficanas » et pour « Le Standard »…), Croizier, Faujour, Martin, Nico, Sygar, Bidasse, Barros, Belom, Coucho, Lasserpe, et nos rédacteurs chics : Marie Zotto, Louis Pastorelli, Jean-Marc Therond, Phillipe 2, Gilles le Morvan, Bruno Messina, PMK, Francis Hodbert, Romain Lorent, Carlotti, Luc Tabet...
Nous fondons l'association « Comité Défaite » (nous étions lucides aussi !) qui a pour objet la promotion de l'humour satirique et par la presse écrite en particulier (Journal Officiel du 21 juillet 1993). Barre à Mine « Bimenstruel de contre-information » est né !
• Le premier numéro de « Barre à mine » sort en 1993. Peux-tu revenir sur les difficultés d'être à la tête d'un journal satirique à l'échelle nationale et notamment avec un procès pour une certaine une je crois ?
Déjà, tu es en première ligne, et responsable pénalement du contenu. N'importe qui, dont surtout des associations diverses, peuvent déposer plainte pour outrages, contenus diffamatoires sur des articles ou des dessins qui les offensent… (Imaginez que des dizaines et dizaines d'hurluberlus t'attaquent en même temps, sur un dessin, un article… et ce dans des régions différentes !).
Nous avons eu 3 procès et nous les avons gagné (j ai été relaxé et j'ai été amnistié en appel)...
J'avais dit oui amicalement, pour être directeur (la première année, pas plus !), et Jean Marc était le rédacteur en chef. Entre les menaces par lettres, des appels anonymes au téléphone...Il faut être blindé. Mais j'avoue que l'on a bien rigoler.
(NB : si vous trouvez des numéros de BAM, en vente à des vides greniers, internet, etc. si à prix corrects, n'hésitez pas !).
• Comment s'achève l'aventure « Barre à mine » après la parution de 10 numéros ?
On a fait 12 numéros de BAM de septembre 1993 à décembre 1995. On s'est arrêté de nous même. Un choix évident, la raison l'a emporté.
J'ai eu 20 années de bonheur, de rire, et d'admiration avec Jean-Marc. Une solide amitié. Quand j'ai écris mon livre « Rockastoria », je voulais décrire également ces moments uniques, et lui rendre hommage. Nous avions un projet de faire un livre ensemble sur le rock. Comme il me donnait souvent des dessins, j'en ai utilisé certains...
Je penses à lui chaque jour, à cet enfant de Belvédère, niçois d'adoption, dessinateur exceptionnel, concepteur de comédie musicale… et aussi ymagier (pour les carnavals de Nice de 2001 à 2006), il laisse un ancrage culturel nissart unique, que Nice doit s'enorgueillir plus que jamais !
Voir pour plus d'informations :
www.jacklalli.com (à « hôtel de luxe ») / www.rockstory.info
et « hommage à Jean-Marc Eusébi » le groupe sur fb que j'ai crée.
J'ai adoré cet interview et cet hommage.
· Il y a plus d'un an ·La satire et l'humour sont un engagement, et certains l'ont payé cher.
Merci de nous faire partager ces informations et ces regrets exprimés avec pudeur en vrai professionnel de l'écriture.
Christophe Hulé