Introspection
Marie Leroy
Le plus effrayant, pour elle, était de constater qu’elle ne regrettait rien.
Le sentiment étrange qui la surprenait parfois, la laissant pensive et immobile durant des heures, ne s’apparentait en rien à la nostalgie. Elle n’aurait su trouver les mots exacts pour le définir, mais elle éprouvait, lui semblait-il, un mélange de fascination et de curiosité.
Nul n’aurait pensé que les choses se termineraient ainsi. Même si les émois du commencement lui étaient devenus étrangers, même si l’amour avait laissé place à une sorte d’indifférence cordiale, elle avait persisté à croire qu’un lien indéfectible les unissait. Un lien forgé par les années passées ensemble, par le regard et l’approbation de leur entourage, par les projets qu’ils auraient pu avoir, comme beaucoup de personnes amoureuses depuis longtemps.
On avait été surpris et attristé d’apprendre leur séparation. Aux yeux de tous, ils étaient devenus rapidement indissociables, et leur avenir semblait avoir été tracé. Elle croyait percevoir, chez les autres, la certitude infaillible qu’ils seraient toujours ensemble ; la même conviction qu’ils nourrissaient probablement eux-mêmes… Ce fatalisme l’apaisait, quand, jeune femme soucieuse, elle éprouvait un besoin constant d’être rassurée ; mais, peu à peu, il s’était révélé insupportable.
Il était devenu terrifiant d’évoluer en sachant de quoi demain allait être fait, de voir leurs proches les regarder comme une seule et même personne, d’être avec son conjoint et de se dire qu’elle était à ses côtés pour toujours. Sa vie future lui apparaissait comme une suite d’infinies répétitions, de sorte qu’il lui était impossible d’apprécier le présent.
Inlassablement, les mêmes questions l’assaillaient : était-ce son rôle d’entretenir l’image que son couple renvoyait, – et une atroce trahison, de l’avoir brisée ? Est-ce mal de ne plus aimer quelqu’un ?
Aujourd’hui encore, malgré les mois écoulés, la crainte d’être jugée la poursuivait. Celle-ci s’insérait insidieusement dans ses rêves, dans les instants où elle ne pensait à rien, et envahissait tout son être avec ce refrain infernal. Il existait certainement en elle une légère complaisance pour la torture mentale ; une forme de masochisme qu’on pouvait aussi deviner dans son comportement passé.
La rupture amoureuse… quelque chose de si banal, de presque naturel ; un acte qu’elle s’était interdit de provoquer, jusqu’à ce qu’il devienne l’ultime issue à son calvaire intérieur.
Elle pouvait à présent observer d’un œil nouveau le binôme qu’ils avaient formé, et admettre qu’ils incarnaient alors un couple bien étrange. Elle avait aimé cet homme, nul n’aurait eu le droit d’affirmer le contraire. Mais ils étaient au fond si différents, que seule sa persévérance était responsable de la durée de leur histoire.
Le temps avait passé, et il lui arrivait encore, assise nonchalamment, une main encadrant son visage, de songer à cette époque si lointaine, comme provenant d’une autre vie, où l’amour avait semé en elle des croyances inébranlables, des raisonnements mathématiques ne laissant nulle place à la complexité des relations humaines… Maintenant, il n’en restait plus rien.
Elle se comparait parfois à une bâtisse dont les fondations se seraient écroulées. Si elle arrivait à retirer du plaisir de la vie, elle n’avait plus confiance en rien. Tout semblait si fragile… L’avenir n’était que questionnements, et appréhension. Il lui fallait accepter d’avancer dans l’inconnu. Accepter d’être exposée aux caprices de l’existence.
Mais, est-ce jamais possible, pour qui vivait naguère dans la quiétude, pleine de convictions…
Que deviennent les âmes que les certitudes ont désertées ?
Une question, un écrit fort intéressant.
· Il y a plus de 12 ans ·Patrice Merelle