J

leeman

Je t'aime.

19 octobre 1989,

Mon vieil ami. Tu es le seul à rester intact à chacune des fois ou je viens t'écrire. Tu ne vieillis pas, tu es hors du temps, tu es éternel. Je t'envie, j'aimerais ne plus vieillir, en vérité, j'aimerais mourir. Il est atroce de dire de telles choses, ma famille me soutient, elle grandit, évolue, mais à certains moments comme celui-ci, mon âme et mon cœur pleurent. Ils ont besoin de s'exprimer, c'est alors que je viens à toi. Ce qui est beau te concernant, mon vieil ami, c'est que tu es là quand j'en ai besoin, et certes, je suis entouré d'amis, mais c'est tellement différent ; écrire et parler n'est pas la même chose, il y a des mots que je ne pourrai pas dire, et c'est la raison pour laquelle je viens t'écrire, car je sais que j'aurais la possibilité de tout te dire, avouer tout ce qu'il y a depuis les profondeurs de ma personne.
C'est impossible en face à face, seul ma femme connait mon véritable passé, et je fondrais en larme d'avance s'il fallait tout raconter à des amis. Alors, oui, ce sont des amis, mais mon seul véritable ami c'est toi. Le temps passe, comme tu le vois. Les jours deviennent de plus en plus longs, mais je n'ai pas peur, non. Il y a des passages ou je ne sais quoi raconter, ou j'ai besoin de me libérer. Devrais-je plus souvent t'écrire, mon vieil ami ? Je ne sais pas, je n'aurai jamais de réponse de ta part... Mais je présume que oui, car je pense que me dévoiler plus souvent peut m'être bénéfique, peut m'aider à continuer de vivre. Sais-tu de quoi je parle ? De la cause qui me peine tant ?
Elle est toujours la même, c'est cette femme. Cela fait 14 ans, déjà. Tout passe trop vite, mais pas la plume sur ton papier, j'essaie de t'écrire un minimum bien, je souhaite soigner mon texte, et te rendre la lecture agréable. Je me perds dans les mots, vieil ami. Je me perds dans les larmes qui recouvrent mes yeux, il y en a de trop qui coulent, qui m'étouffent la vue. C'est indolore, mais ça fait du bien, c'est une intense libération.
Il n'y a plus rien qui puisse transcender ma personne, le vide et le silence me hantent ; et pour autant, c'est une tristesse cachée, au fin fond de moi, qui ne sort que rarement, et la preuve en est, regarde la fréquence de mes écrits... J'ai assez honte, j'espère ne pas te faire honte. Il est 17h55, le soleil est derrière un immeuble, très loin devant, j'ai cessé d'espérer pouvoir le rattraper. En vérité, il n'y a rien de plus beau que le soleil, quand on y pense, il est source de nôtre présence sur terre, sans lui nous mourrions comme de simples faibles et puérils insignifiances. Mais, même si je suis encore là, et lui aussi, je ne sens plus cette vie, j'ai l'impression d'être amorphe, même lorsque l'on me comble de bonheur. Oui c'est atroce, et mes mots sont atroces, je me hais pour ce que je dis là.
Mais je regrette tellement qu'elle soit partie... Je ne suis plus rien sans elle, je n'ai plus rien été les années qui ont suivies, et je ne suis toujours rien. J'attends de la rejoindre, je n'ai pas peur de la mort, c'est une amie que j'accueillerai volontiers, chaleureusement ; mais ne t'inquiète pas mon vieil ami, je t'écrirai encore une fois avant de te quitter. Grâce à toi, je peux me remémorer tous ces bons moments avec elle ; dans ma vie quotidienne je me dois de l'oublier, sinon je flancherais infiniment, et je ne pourrais jamais tenir. Or, je dois tenir, et c'est grâce à mon entourage, mon travail, et ma famille que j'arrive à contrôler ma pensée, sinon je serais incessamment malheureux.
J'ai perdu mon soleil. Pour en retrouver un autre. N'est-ce pas là étrange ? J'ai remplacé la première femme de ma vie, j'ai remplacé mon passé et ai fait en sorte de l'oublier, c'est immonde, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que je me hais, j'espère de tout mon cœur ne plus me morfondre, et je ne peux comprendre mes idéaux réellement déplorables. Je m'ennuie, mon vieil ami, je ne sais pas si je dors, ou si je suis éveillé, mais tout est cauchemar, dans ces moments-là.

Si tu savais, comme elle me manque.

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