J'ai entendu quelqu'un toquer contre ma porte. Ce n'était que mon coeur battant contre ma poitrine qui s'est ouverte pour le laisser passer.

-Tu sais ce que j'aime énormément chez ma mère ?

-Non ?

-C'est sa douceur. Sa tendresse. Et qu'elle fût spontanéité ou sacrifice, je ne peux

que la vénérer parce que tout ce qu'elle a fait par elle, elle l'a fait pour moi.

Et tout ce qu'elle a fait contre elle, elle l'a fait pour moi aussi.

-Voilà l'amour dévot d'un fils passionné.

-Mais, sais-tu encore ce que j'aime énormément chez ma mère ?

-Dis-le moi.

-C'est l'artiste en elle. C'est une artiste qui n'existe pas encore, une artiste dont,

peut-être, elle est enceinte depuis toujours sans jamais avoir pu la mettre

au monde mais, cette artiste-là, je le sais, existe et j'espère existera un jour.

Je la vois, moi. Je la vois à travers ses yeux qui ne la voient pas, je la vois

à travers chacun de ses gestes, de ses regards, de ses intonations de voix, de ses

paroles, et même à chacun de ses silences, moi, je la vois. Ma mère a

l'imagination d'une artiste, mais elle n'a jamais pu l'exprimer parce que cette

imagination a toujours été brusquement stoppée par la réalité.

Ma mère a la sensibilité d'une artiste mais cette sensibilité n'a jamais pu

se montrer en opposition à la cruauté de cette réalité.

Ma mère a l'intelligence d'une artiste mais elle n'a jamais pu briller

engloutie dans l'obscurantisme de la réalité.

-Imagination contre réalité ; sensibilité contre cruauté, et enfin intelligence contre

obscurantisme...

Il me semble... que ta mère est ce que tu aimes le plus au monde, n'est-ce pas ?

-C'est la vérité. Je ne serais rien sans elle. Je ne parle pas de mon corps qui

n'aurait pas pu exister sans son corps mais, je parle de mon âme.

Mon âme sans l'âme de ma mère n'aurait été qu'une existence perdue

au milieu de ce monde qui, en construisant le présent, ne fait toujours

qu'un peu plus compromettre l'avenir. L'amour que j'ai pour ma mère n'est pas

tant sentiment que raison, en réalité.

-Ce n'est pourtant pas avec la raison que l'on aime. Si tu n'aimes pas ta mère

avec ton coeur et avec tes entrailles alors, tu n'aimes pas vraiment ta mère.

-Tu as peut-être raison. Parce que, dans le fond, il existe bel et bien en ce monde

quelque chose que j'aime plus encore que ma mère.

-Quelque chose ? Et cette chose, quelle est telle ?

-Ma mère. Mais ma mère telle que je ne l'ai jamais connue et pourtant,

telle que je la sais, telle que je la ressens et la comprends jusqu'au plus profond

de mon coeur et de ma conscience. En réalité, celle que j'aime le plus au monde

est cette femme qui appartient au passé, et peut-être j'espère à l'avenir, celle 

que j'aime estl'essentielle femme libre et entière que ma mère a été

avant que je n'apparaisse.

(13/05/2012)