J'ai les mains...
Sandra Von Keller
J'ai les mains sales jusqu'au coude.
J'ai les mains rouges, de colère,
tâchées de sang et de sentiments amers.
J'ai les mains d'artiste, tâchées d'encre noire.
De peinture et d'espoir.
J'ai les mains de pianiste, qui caressent les rectangles d'ivoire.
J'ai les mains de l'enfance. Maculées de couleurs.
Remplies de souvenirs et de doux leurres.
Tachées de confiture et de sirop d'érable.
Les doigts sucrés et insatiables.
J'ai les mains de l'avenir. Je peux lire entre les lignes.
Y'a tout un empire à construire. De quoi être digne.
J'ai les mains pleine de terre.
À l'affût d'un tombeau ou d'une boite à mystères.
J'ai les mains d'argent. La maladresse et la fragilité d'Edward.
Et puis les mains libres de Paul Eluard.
J'ai les mains usées. Abîmées. Recouvertes de griffures.
Marquées par le temps et les blessures.
Mais j'ai aussi les mains en béton armé.
Des phalanges en ciment désireuses de lutter.
J'ai les mains voraces et à l'affût.
Qui s'agrippent aux poignets de mystérieux inconnus.
Qui poussent des corps, serrent et pressent des tailles frêles, griffent des dos corrompus.
J'ai les mains dans les poches. Qui abritent bien des secrets.
Des histoires et des lourds chagrins pimentés de regrets.
J'ai les mains joueuses. Qui font des courbettes sur les murs.
Qui donnent vie aux ombres chinoises et à mes sépultures.
J'ai les mains baladeuses.
Les doigts qui se promènent sur des peaux et des paumes ravageuses.
Qui cherchent le contact d'un corps électrique.
En quête de sensations authentiques.
J'ai les mains froides, qui tentent d'échapper à leur roideur.
Qui aimeraient tant se faire réchauffer par de beaux maraudeurs.
Et cesser de trembler sous les draps en quête de chaleur.
J'ai les mains frémissantes lorsque la tienne m'effleure.
Mais voilà bien longtemps qu'elle a disparue.
Qu'elle ne me touche plus.
Alors disons que j'ai les mains frémissantes de ces minutes heureuses.
Elles qui s'offraient tant de nuits tumultueuses.
Où pour mon plus grand bonheur, elles n'étaient pas encore rompues.
J'avais pourtant les mains généreuses, qui offraient sans compter.
Mais les mains maudites, qui empoisonnaient tout ce qu'elles touchaient.
Et surtout qui brisaient tout ce qu'elles aimaient.
Oui, moi, j'ai les mains solitaires, qui ne se demandent pas.
Elles ne se donnent pas non plus.
On ne leur prête pas serment.
Elles sont bien trop pâles.
Elles ne sentent pas le soleil.
Elles sentent les tourments.
Ce sont des mains de cadavre.
Les mains du deuil et du Néant.
Qui ferment des cercueils et des paupières de mourants.
Ah non ces mains là, on en veut pas.
Elles sont bien trop prisonnières.
Comme crispées dans des anneaux de métal.
Ah non ces mains là, on ne les libère pas.
Elles sont bien trop vides et livides.
Où tout s'échappe et rien ne s'agrippe.
Qu'elles restent dans leurs tanières.
De toute façon, elles ne me prendront jamais par les tripes.
Elle a peut être les mains salvatrices qui consolent les sévices.
Et calment les vieux râles. Mais un jour. Oui un jour...
Elle seront tâchées de fleurs brunes et de veines apparentes.
À tout jamais. Et pour toujours. Elles qui étaient si vivantes.
Elles dormiront. Entremêlées. Croisées sur un noir crucifix.
Alors peu importe qu'elles meurent aujourd'hui ou demain.
Puisqu'elles ne sont pas de celles qu'on trouvent au petit matin.
magnifique et puissant...tu n'as pas perdu ta plume depuis l'époque de Digital-d0lly ! Quel plaisir de te retrouver sur cette plateforme et de voir l'évolution après quasiment dix ans et l'époque Skyblog ! :D
· Il y a plus de 6 ans ·fee-melusine
Magnifique. Vous avez des mains d'artiste ! :) CDC
· Il y a plus de 10 ans ·mlleash
Oh, merci infiniment !
· Il y a plus de 10 ans ·Sandra Von Keller