J'ai pas pleuré
Jo
- Bonjour Madame
- Asseyez-vous, je vous en prie. L’on m’a fait parvenir les résultats de vos analyses. Je ne vais pas vous mentir, ils ne sont pas bons. C’est un cancer. Mais courage cela se soigne. Nous avons toute une procédure à voir ensemble.
Blême, les larmes montent sans sortir, coincées je ne sais où? Je disparais, je m’envole plus rien n’existe. Le mot est jeté, je vais crever! Le médecin poursuit sa dialectique sans doute apprise au cours de médecine. Ce genre de cours inutiles dont personne n’en à rien à foutre mais dont la présence est obligatoire. L’optimisme est de rigueur, il en appelle aux dieux des statistiques, du courage, de la méthode Coué. J’écoute les mots mais je ne les entends pas. Il déblatère sans broncher. Je fixe ses yeux d’un bleu profond, sa bouche fine me condamne. C’est de ma vie dont il parle ou plutôt de ma mort. Le cancer m’est étranger mais désormais il est mien. Tout va se projeter avec lui, pour lui et par lui.
Soucieux de ma réaction, le médecin me demande comment ça va, si j’encaisse? Je réponds un oui qui ne convainc personne mais il poursuit, me parle du traitement futur. Parlons-en du futur quand la mort s’approche. Ca devient rare le temps, alors on le cajole, on contemple chaque seconde avec humilité. Chronos devient menaçant c’est désormais mon ennemi. Il nous échappe ce salaud. Et les sains qui te méprisent. Pauvres fous.
- Madame vous m’écoutez ? Il faut être sérieuse car le traitement va être lourd et pénible, il y a les cachets à ne pas oublier, la chimio etc.
- Oui excusez-moi je vous écoute.
Il me demande d’être sérieuse! Il m’annonce mon cancer et il croit que je rigole? Et il reprend sa monotonie tel un robot. Midi approche, il doit avoir faim. Mais non il faut suivre la procédure des cancéreux jusqu’au bout. Il a juste oublié l’astérisque en bas de page qui propose de prendre un air compatissant. Ca doit être écrit trop petit sans doute!
Et ces larmes qui ne sortent pas, les autres patients doivent pleurer. Pleure! Pleure! Sinon tu vas passer pour une folle. Des oignons voilà ce qu’il me faudrait mais introuvable ici, il aurait dû m’annoncer cela à la cantine de l’hôpital. Bon concentre toi sinon c’est encore la réprimande! Mais impossible de suivre son discours. Prends l’air concerné, fixe le ou non baisse les yeux. C’est bien de baisser les yeux, ça nous donne l’air coupable. Les médecins aiment, même si c’est politiquement incorrect.
- Bon voilà, je crois que je vous ai tout expliqué. Mais vous n’avez presque pas dit un mot, vous êtes sûr que vous avez tout saisis?
Et voilà il m’a prit pour une niaise, je suis sûr que c’est parce que je n’ai pas pleuré. Incapable jusqu’au bout vieille bique, tu ne sais pas être à la hauteur même ici, même maintenant c’est désespérant. Il me fixe du regard, attends une réponse, je sens les gouttes de sueur couler le long de mon front et acculée je réponds :
- Désolé de ne pas pleurer.
Et là... c’est la consternation. Dans sa procédure, le patient ne doit pas répondre cela, il est désarçonné. Pas de répliques. Il devient blême à son tour. La situation devient le bal des fantômes. Alors face à cet instant insoutenable je fuis! Je cours dans les couloirs pour disparaître. Je rentre chez moi et m’effondre sur le lit. Je pense alors à ma situation pour le moins délicate et somnole quelques instants. Le silence est tranché net par la sonnerie du téléphone. Dois-je répondre après une journée pareille. Bon je me lance :
- Allo !
- Salut c’est Philippe
- Salut mon fils, ça va bien ?
- Et toi alors? Le médecin m’a appelé, il m’a dit que lors de ta dernière consultation tu n’allais pas bien?
- Il m’a annoncé que j’avais un cancer et je n’ai même pas pleuré!
- Quoi? Mais quel cancer?
- Je suis désolé.
- Mais tu sais ça se soigne.
Et le voilà lancé tel un médecin du dimanche. La musique est bien rôdée va falloir s’y habituer. Chaque fois que tu vas annoncer la nouvelle la médecine n’aura de secret pour personne chacun sera un oncologue en puissance. Te fais pas d’illusions ma cocote, y en aura pas un pour sauver l’autre. Ta peine tu la prends, tu la bouffes et tu t’étouffes.
- On en reparlera de toute façon. Sinon, me dit-il tu peux me prêter ta voiture pour le week end? Je dois partir à la mer avec des potes.
- Mais tu sais j’ai fait ce que j’ai pu, mais impossible de pleurer.
- Et pour la voiture alors? C’est bon?
Les gens n'aiment pas qu'on leur refuse nos larmes ...
· Il y a plus de 13 ans ·Très beau texte, bravo !
minou-stex
"Ta peine tu la prends, tu la bouffes et tu t’étouffes"...Alors là...Respect mon ami, pour ça et le reste, respect.
· Il y a plus de 13 ans ·auguste-lombre
Très poignant. une vraie claque !
· Il y a plus de 13 ans ·feather