Janvier sur l'asphalte
a-rebours
Le piétinement des foules a ressuscité
Sur l'asphalte éprouvée de Port-Royal.
Des milliers de pas sous le ciel de janvier
Ont dompté pour un temps les rigueurs hivernales.
Le boulevard est conquis, au moins pour quelques heures,
Le quartier peut-être promptement sera pris,
Et ne sera plus qu'un souffle et une clameur
De la tour Montparnasse à la place d'Italie.
La ville est changée de cette marée montante,
S'est vêtue des atours des jours qui s'enhardissent,
Et fardée du rimmel des heures extravagantes.
Même les avenues qu'Haussmann dressa jadis,
Pour que les barricades rentrassent sous la terre,
Et que Paris cessât de bousculer le monde,
Paraissent avoir reçu quelqu'once de faconde
Des ruelles qui furent leurs devancières.
Il fuse ci et là les slogans et vocables
Qui disent la colère et l'espérance jumelles.
Sur le boulevard qui s'étire interminable,
Chacun soupèse un peu le poids de ses semelles.
Chacun sourit un peu de cette réunion
Pourtant, les visages ont les traits des heures graves.
On se figure un peu comme les derniers margraves
Montant à la défense d'un ultime bastion.
Partout s'exhale la conscience du moment.
La multitude dont le coeur bat à senestre
Sait ponter en ce mois bien plus que des trimestres,
Et jouer sur cette mise un peu des coups suivants.
Car l'on devine l'ivresse de l'ennemi
Si venait à tomber la place de Croizat
A coup sûr l'échec préparerait d'autres glas,
Ce jour, peut être, lutte pour la décennie.
Alors on honore les revers du passé
Qui rappellent que les pavés ont eu leurs déroutes.
On conjecture, on subodore, en craint, on doute
Mais l'on escompte quand même se mécompter.
Un peu plus loin, on bat le rappel des victoires
Un beau printemps et Villepin défroqué.
Quatre-Vingt-Quinze, le calice de Juppé
Et jusqu'à Soixante-Huit sorti de son ciboire.
**
Mais moi qui suis là, au milieu de cette foule
Moi qui sais bien l'importance de cette houle
Dont je voulais être un petit brin de l'écume
Moi qui voulait tenir ma fraction dans l'ensemble
Moi qui sais bien à quels jours ces journées ressemblent
Et combien elles comptent dans l'Histoire commune,
Moi qui retrouve ici mes antiennes d'hier
Moi qui m'en réjouis comme d'une prière
Et comme un espoir sur l'avenir déversé
Moi qui voulait me fondre dans l'universel
Moi qui sait pour demain ce combat essentiel
Et qui veut croire encore qu'il y a lieu de lutter
Moi qui était venu pour figurer pleinement
Au creux des entrailles de cette multitude
Où je me flattais d'abdiquer ma solitude
Qui voulais de ce coeur n'être qu'un battement
Moi qui voulais sans réserve y trouver ma place
Je suis demeuré étranger dans cette masse.
C'est que sur les pavés
Toute cette journée
Sur l'asphalte de janvier
Sur cet asphalte, moi
Je ne pensais qu'à toi.
Édifiant et lyrique comme nos poètes d'antan.
· Il y a plus d'un an ·Hugo réincarné?
Christophe Hulé
Jusqu'aux derniers vers je me suis perdue moi aussi...preuve que d'ici ou d'ailleurs , la solitude et l'ennui combattent pour le meilleur ;0)
· Il y a plus d'un an ·flodeau