1- L'oisillon

metis

Et si un serial killer s’attaquait aux personnalités capitalistes : Total, Areva … alors que le mouvement des Gilets Jaunes gagne du terrain ? Radicalisation ultime ou complot pour les détruire.

Elle se sent bien. Un sentiment disparu depuis bien longtemps. Perdue au milieu de tous ces inconnus, elle ne s'est jamais autant sentie à sa place. Tout prend du sens. Sa vie en était tellement dénuée depuis ce terrible accident. Elle s'était alors suspendue dans les airs pendant des mois, puis, un beau jour, tout avait repris son cours. Mécaniquement, sans saveur, sans envie. Tout s'était réorganisé, millimétré, ne laissant aucune place au hasard, seule la routine la rassurait. Une routine qui la tuait à petit feu tout en la conservant en vie, longuement, tristement, lentement.

Aujourd'hui tout a changé, elle est utile. Utile à autre chose qu'à faire le sac et le gouter du matin, qu'à emballer des parfums ou servir la soupe à son mari bien aimé. Jours après jours, depuis le début du mouvement, elle détricote sa prison de banlieue barricadée de petites tâches quotidiennes. Fabrice est en colère, elle n'a pas fait les courses depuis des semaines. Ce qui l'ennuie surtout c'est qu'il ne cuisine que des pâtes et la viande lui manque. Pour elle, les problèmes sont ailleurs, les problèmes sont plus grands, plus loin, plus haut et elle fait partie de la solution. Qui l'aurait cru ?

Elle tente de réchauffer ses mains gelées sur le feu de fortune qu'elle a réussi à allumer avec Nadine et Muriel. Elle n'en est pas peu fière et le regard intéressé de Bernard l'a conforté dans son orgueil.

Les premiers travailleurs vont arriver, il va falloir se mettre au charbon, elle savoure ce moment collégial du partage de café. Elle n'en buvait pas avant, même pas pendant les pauses à l'usine, elle revendiquait une vie seine. C'est Fred qui lui a appris la semaine dernière que tous les produits de la « grande distrib » sont pollués, même les bios.

Sandrine est timide, c'est pour elle une vraie souffrance de s'avancer vers ces automobilistes à la mine renfrognée. Il y a de quoi, ils se lèvent de bonne heure, quittent leur famille, rejoignent leur poste de travail et trime toute la journée pour rentrer coucher leurs enfants et payer les factures. Le lendemain, rebelote ! Un cercle vicieux sans fin, ni réjouissance. Et que fait Sandrine dans ce cercle ? Elle y rajoute des obstacles tous les matins et tous les soirs depuis des semaines. Il y a de quoi être désagréable avec la première personne que l'on croise. Et cette première personne, c'est elle, la douce et discrète Sandrine. Celle qui se fait violence pour bien réciter le texte qu'on lui a appris. Elle est incapable d'improviser et encore moins de rétorquer à toutes les contestations pertinentes que même, mal réveillés, les travailleurs lui assènent. Elle lutte pour que sa voix soit assez forte et assez convaincante. Le message doit passer. Ces travailleurs, ces automobilistes, ces parents pressés pour que leurs enfants soient à l'heure à l'école ont le même ennemi qu'eux. C'est tout ce qui importe, c'est tout ce qu'il ne faut pas perdre de vue. Malgré les tentatives de récupération, malgré les casseurs, malgré la mauvaise presse, malgré les profiteurs, elle doit faire entendre le vrai message des Gilets Jaunes, le message du peuple qui fait vivre la France et que tout le monde piétine. Cela ne peut plus durer. Si une discrète ménagère comme elle arrive à le chuchoter au maximum de personnes peut-être que relayé par les grosses voix, par les belles voix, par les sages voix, la gronde deviendra tellement assourdissante qu'enfin le monde l'entendra.

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