J'avais douze ans
Paul Robert De La Fauvellerie
Sur le chemin des écoliers, malgré le vent, le froid, je me promenais, solitaire. Je me fichais pas mal des conditions climatiques vu que j'écoutais en boucle une petite chansonnette bien agréable sur mon baladeur...
J'étais dans mon monde et je m'y sentais si bien. Du moins je le pensais. Seul cela importait en fait. Je fuyais l'abominable Monsieur Lejuge, professeur de musique de son état, qui adorait m'humilier devant la classe en me traitant de fainéant. Ce paltoquet sadique y trouvait son plaisir, que je ne partageais pas bien évidemment. Je n'en avais cure de ses leçons de flûte, je n'aimais guère cet instrument. Et je dois avouer que le bonhomme n'avait rien fait pour me le faire apprécier davantage.
La discipline n'était pas mon fort. Ceci me causerait de grosses misères, mais c'est une autre histoire...
Sur ma route, je rencontrais la grande Lucie, une fille de la classe supérieure. Je la connaissais de vue car nous nous croisions souvent, nous ne étions jamais arrêtés pour discuter. Et puis, j'étais très timide. Et là, elle vînt vers moi, souriante, avec ses yeux bleus et sa crinière blonde. J'étais surpris, impressionné. J'ôtais mes écouteurs et balbutiais un pitoyable "bonjour" tout en bégayant... Elle me demanda ce que je faisais en ce lieu. Je lui racontais donc mes mésaventures avec le piètre pédagogue musicien. Elle me répondit qu'elle ne l'aimait pas, elle non plus. Ça nous faisait un point commun : un ennemi... Nous aimions la musique pourtant, mais pas cet individu qui aurait fait se tourner Mozart du côté de la mélophobie. Elle se saisit soudainement de mes écouteurs et voulut entendre la même chose que moi. Elle était assez directe comme fille, à ouïe-dire il y en avait que ça heurtait. Pas moi ! J'étais trop heureux de rompre ma solitude, certes choisie mais qui me pesait par instants, en vérité. Elle adorait ma chansonnette, qu'elle ne connaissait pas auparavant visiblement. Et nous écoutâmes la même mélodie pendant quelques instants en nous souriant mutuellement. Elle dut partir, quitter ce chemin pour retourner chez son père. Je fis un petit bout de parcours avec elle, et nous nous quittâmes. Espérant la revoir, je me rendis le lendemain sur le chemin des écoliers. Je ne la revis pas ce jour-là, elle était morte dans un accident de voiture avec son papa qu'elle adorait tant.
Je la croise encore parfois dans mes rêves et elle me sourit au son d'un refrain que d'aucuns trouveraient mièvre aujourd'hui. Pas moi !
Ah, quelle histoire malheureuse pourtant si bien commencée...
· Il y a plus de 6 ans ·Louve