JE ME SOUVIENS (2)

seb365

poursuite du voyage

Moins 30° aujourd'hui. Il ne fait pas froid : il fait terrifiant de temps. Le vent souffle de l'Ouest ; vent d'océan ; vent humide et glacial : sensations de contraste. Il a déjà parfumé de givre les fenêtres, les caniveaux et les mains des enfants d'une pellicule cotonneuse de givre blanc. Dans cette partie du monde, les saisons ont toujours divorcé aux premiers tourments de l'atmosphère. Il ne neige pas encore mais barbe grise va laisser place à barbe blanche. Je suis couvert jusqu'aux yeux ; bonnet, anorak, écharpe, gants, pantalon, collants, boots et voilà qu'un grand escogriffe se plante à côté de moi. Barbe noire de 10 pouces, blazer, chemise ouverte, jean, mocassin : « Il fait frêtte ce matin ? », « Oriur, und'tit peuquand m^brfff… », je ne peux pas articuler. Ma voix est emberlificotée dans mon écharpe : « Allez bonjour ! Bon courage quand même ! », « A vouus auuusrrrii !!! », sacré québécois face au froid ; ce n'est qu'un début.

Les précipitations ont pris tout le monde au dépourvu et dans la large septième avenue, on se bouscule dans quelques sillons formés par le passage des passants passablement irrités par le tour de passe-passe de la peinture blanche.

Je file comme un chasse-neige ; droit devant. La marche, épanouissant la pensée, je compare ce phénomène météorologique à un pissenlit géant dont ses fruits, groupés en boules duveteuses, auraient été dispersées par le vent. Les bourrasques d'Eole forment des envols d'essaims de moustiques immaculés ; une poussière d'ange. Ils tournent sur eux-mêmes en prenant de l'altitude puis se reposent, tout en planant, tels des albatros sur les ponts des bateaux errants.

Enchantement, spectacle virginal de cette poudre blanche ; l'hiver c'est l'été quand il neige.

Impossible de distinguer, de fixer sa vision sur un quelconque point de repère, la neige cingle mes yeux et je ne peux, que par intermittence, décoder les trajectoires de mes semblables, étoiles filantes personnifiées par leurs écharpes ballottées par le vent.

Je monte dans un bus. On m'interpelle. Mes mots planent dans l'air moite de ce moyen de transport où les haleines chaudes se mêlent aux vapeurs froides des courants d'air ; on dirait que les volutes qui s'en dégagent sont des hiéroglyphes ; en cette fin de journée, je sais lire l'ancien égyptien.

Congères et matelas de neige, je me jette dedans. Saut dans le vide, réception tranquille, sépulcre capitonné de carboglace. Il me dépasse, devient gouffre blanc, falaises aux alentours, vue sur le noir ; réverbère de la ville lumineuse ou il fait déjà nuit. Je reste allonger et je m'entortille dans cette couette virginale afin  que ma peau s'en souvienne. Je me souviens. Je m'en souviens…

  • c'est brr, superbe. Une écriture virginale, elle a la perfection de ces émotions absolus. Moi j'ai horreur de la neige, alors là je t'envie pas. Mais tes tableaux des hommes dans cette froidure sont parfaitement visualisables, et ça c'est génial.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

  • Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver. (G.Vigneault). Et vous le transcrivez bien.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    479860267

    erge

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