Je ne suis pas une erreur

lorine

Cette nouvelle fait partie de la série de "La petite fille aux yeux dorés".

   Pendant longtemps, je n'ai pas voulu avoir d'enfant. J'étais attachée à ma vie tel qu'elle était. Je m'occupais des enfants de mes sœurs quand ces dernières en avaient besoin et gardait celui de ma voisine quand mon travail me le permettait. J'avais un mari aimant qui – au départ – était bien content de mon choix. Je crois que mes premières années de mariage ont été les plus belles de ma vie.

   Au village, nous étions vus comme un couple d'originaux et je n'étais pas vraiment respectée. J'avais été mariée tard comparé aux autres demoiselles de Clairetour. Elles avaient déjà enfanté une ou deux fois quand mon époux, Erwan, me passa la bague au doigt.

   J'étais attachée à ma liberté et je dérangeais beaucoup. Même les nobles et les bourgeoises de la ville me connaissaient. On m'associait à une vie frivole, épicurienne. J'étais une pécheresse. Mais peu m'importait. J'étais heureuse comme ça, dans mon monde, et ça me suffisait.

   Et puis, je ne sais pas ce qu'il lui a pris, s'il a cédé à l'opinion général ou s'il a évolué, mais mon aimé m'a demandé un enfant. J'ai longtemps refusé mais – pour lui – j'ai finalement accepté.

   Malheureusement, ça n'est jamais venu. Selon le guérisseur du village, je ne pouvais pas donner la vie. J'ai appris cette nouvelle quand l'envie de procréer commençait à naitre en moi.

   Je n'ai pas encore la force d'en parler en détail, ni de l'écrire, mais pour faire simple, mon monde s'est écroulé. Mon époux, mon cher Erwan, m'a quitté pour se mettre avec une poule pondeuse et moi, je suis restée seule. Il ne me restait que mon métier de tisseuse.

   Le regard des gens a changé. Certains me regardaient avec pitié. Mais la plupart n'affichaient que du mépris en parlant de moi. J'étais une erreur dans un monde de princesse et de chevaliers entourés d'enfants. J'étais une erreur.

   Et puis un jour, elle est arrivée dans ma vie. Cette petite fille aux yeux dorés que je sentais si fragile mais en même si sombre, cruelle et animale. Je ne savais pas dans quoi je me lançais en la recueillant, cette froide nuit d'hiver. Je savais juste que ça ne serait jamais facile, mais qu'elle avait besoin de moi. Aujourd'hui, je sais que si je l'ai recueilli, ce n'était pas pour elle, mais pour moi. Je voulais prouver au monde dans lequel j'évoluais que je n'était pas une erreur, que – moi aussi – je pouvais faire comme les autres femmes.

    Mais aujourd'hui, ma vision des choses à bien changée.

   Non, je ne suis pas une erreur, je ne l'ai jamais été. Je suis juste différente. J'ai des envies différentes, des aspirations différentes et cette gamine vampire – que tous voudraient massacrés – fait partie de ma vie. Je l'aime malgré le danger qui brille dans ses pupilles et je l'aimerais toujours. Et si un jour sa part d'ombre prend le dessus et décide trop rapidement de mon sort, je sais que je ne regretterai pas ce choix. Elle m'a fait comprendre tant de choses qui seraient trop longues de décrire ici, dans ce petit carnet.

    Je l'aime, cette gamine venant d'un autre monde, sans doute beaucoup plus vieille que moi. C'est ma gamine.


***


   Rena referma le journal intime d'Audria. Pour la première fois depuis bien longtemps, ses yeux se mirent à laisser filer quelques minces filets de larmes. Rena avait rarement suscité autant d'affection depuis l'époque ou elle vivait avec sa famille et ça la touchait.

   Malheureusement, plus le temps passait, plus elle se rendait compte que la mentalité des humains la dégoutait. Elle aussi... se sentait beaucoup trop à part parmi ses proies. Ces dernières étaient si faibles et portant parfois plus cruels qu'elle.


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