"Je suis aimée. Mais je n'aime plus."

La Roumègue

"En quelques semaines, j'y avais tué quelque chose de moi. Quelque chose de terrible que l'on nomme la bonté. [...] La douleur vous refaçonne toujours d'une curieuse manière." Grégoire Delacourt

J'entre dans cette salle qu'ils appellent l'école. Âgée, elle sent le renfermé, cette odeur qui s'incrute dans les placards avant d'embaumer la pièce toute entière. Sur les murs quelques rides, témoins d'une vie mouvementée. Un tableau à craie, un buffet, une table et des bancs, mobilier de base pour nos futures soirées. On ne soupçonne pas l'importance d'un tableau à craie. Je dis bonjour aux quelques personnes déjà là, les prénoms volent, je ne les retiens pas. Elle est là, debout, elle attend que tout le monde arrive pour commencer. Elle est pulpeuse, ses cheveux tout droit sortis d'un Walt Disney sont impeccables. Comment fait-elle pour apprivoiser cette mèche qui malgré la main qu'elle se passe dans les cheveux semble se tenir au garde à vous? La mienne déjà fatiguée du printemps stagne sur mon front. Ses grands yeux verts me sourient. Elle commence à nous expliquer ce que le village attend de nous pour les fêtes, la tournée des pastis, la bodega, le service du samedi soir, la messe, les parrain marraine, le thème à trouver... Promesses d'un été convivial et festif. En un éclat de rire elle met tout le monde à l'aise, j'ai l'impression de la connaître depuis toujours. Le premier apéro ne tarde pas à arriver. Il faut faire connaissance vite pour profiter encore plus. Les confessions pipi font leur entrée, derrière une voiture. L'été a l'air prometteur, l'optimisme est dans l'air, le groupe fonctionne, ces nouvelles rencontres sont intéressantes. C'est comme ça que tout a commencé, dans la salle des fêtes de Soort, à une soirée du basket. On avait croisé deux mecs habillés en prêtre et c'était loin d'être la chose la plus improbable qu'il nous serait donnée à voir. Je ne savais pas qu'un jour je transporterai un oiseau dans un coffre, que je participerai au vol d'un CD de J-J et Céline, que je traverserai un champ, que j'assisterai à un strip tease gratuit, que je serai l'auteur d'un attentat au fond de teint, que je rentrerai d'une soirée à 13h30 en marche rapide, que je te retrouverai entre Condom et Saint Sever.

De copines de soirées à copines de journées, le temps a fait son effet. Elle est loin derrière nous cette période où, entre la fin du lycée et le début des études supérieures, on se cherchait. Complètement naïves, insouciantes et frivoles les seules questions qu'on se posait étaient où? Quand? Avec qui? Il reste quoi comme alcool? Ah... Et aussi, tu t'habilles comment? C'est transparent ou pas? Tu crois que c'est un peu court? Ça me moule pas trop? Non mais on voit tous mes seins là! C'est pas un peu trop large? Si, j'ai l'air d'un sac! Tu mets quoi comme chaussures? Des tennis? Mais je pue des pieds moi là dedans! Oh tant pis je garde mes claquettes! Ça va personne va me marcher sur les pieds de toute façon! Tu prends un sac toi? Ouais t'as raison c'est relou d'avoir tout dans les poches! Je prends un deuxième porte monnaie pour faire la masse? Bon, je me lisse les cheveux et c'est bon! Tu prends du déo? Cool! Après avoir géré le ravalement de façade c'était parti pour les folles soirées à finir à pas d'heure, quand il n'y a plus que quelques cigarettes dans le paquet et de l'alcool chaud sans diluants.

On n'a pas été tout de suite des amies. Bien sur qu'on était là dans les moments importants, pour les anniversaires, les fêtes, les retrouvailles. Mais tu sais bien que ce ne sont pas ceux-là qui comptent le plus. Les plus importants ce sont ceux qu'on ne dit pas, ceux qu'on sent arriver parce qu'on voit bien que quelque chose ne va pas. Ces moments où une partie de nous subit et un morceau de notre monde s'écroule. Parce que la vie nous teste en permanence, il faut savoir s'armer et se se doter de ses meilleures armes pour passer outre. Personne n'a dit que c'était facile, ils ont juste dit que ça en valait la peine. Et on en a fait du chemin. D'étudiantes fleurs bleues, amoureuses au premier coup de rein, jusqu'à célibattantes, il n'y a pas eu qu'un pas. Les histoires de famille nous ont poussé à passer de l'adolescence inconsciente aux responsabilités de la vie adulte. De portées à bout de bras on est devenues porteuses. C'est difficile de donner autant qu'on reçoit, de s'inquiéter en plus de ses propres soucis et de continuer à sourire. On a fini nos études et découvert enfin cette vie d'adulte tant convoitée. Quelle connerie. Nos hauts et nos bas nous ont rapproché, nos joies et nos malheurs ont donné lieu à nos plus grandes confidences, autour d'un café ou d'un verre, tard dans la nuit.

Mais une chose ne nous a jamais fait défaut, c'est notre humour. Et en grandes boîtes à blagues, on a appris à prendre la vie avec légèreté. Le week-end en bouffée d'air frais, plus rien ne pouvait nous arrêter. On a vécu beaucoup de choses cette année... Certaines nous ont endurci, d'autres nous ont déçu mais la vie continue. Et puis "la roue tourne" finit toujours par tourner hein? Pourtant je ne la vois plus tourner ta "roue tourne". Je cherche les mots pour te rassurer mais tu ne m'entends pas. La beauté n'est pas synonyme d'une quelconque taille de poitrine ou d'une taille 38. La beauté n'est pas non plus synonyme de femme imberbe sans acné, elle n'a rien à voir avec une attitude ou une personnalité. La beauté elle est en chacun de nous, libre à nous de la découvrir chez les autres. Des fois un peu mystérieuse, il faut savoir l'apprivoiser, la trouver, s'en saisir et l'admirer. Mais avant d'aimer quelqu'un, il faut apprendre à s'aimer soi-même. La connasse, elle a pas écrit un truc pareil, aussi facile à dire et presque impossible à appliquer! Et si! Prends une feuille et note tes défauts et tes qualités, puis demande à 2, 3 personnes de le faire par rapport à toi. Compare. On se juge très mal. Faut arrêter le délire. Faut arrêter les standards. Ils sont basés sur quoi? Qui a décidé que c'était ça la norme? Et c'est quoi une norme? Pourquoi? Il n'en existe qu'une seule "norme", la TIENNE! Comment, toi, tu te sens bien? Avec 5 kg de moins? Alors perds les. Avec 5 kg de plus? Alors arrête de t'empêcher de les garder bien au chaud pour mieux passer l'hiver! Arrête de chercher les réponses dans les yeux des autres alors qu'elles sont en toi. Agis, fais face, bats toi, sors toi de là. Elle n'est jamais partie cette femme harmonieuse aux lèvres pulpeuses et aux yeux rieurs. Elle est toujours là, mais tu ne l'écoutes plus. Elle est tellement bridée qu'elle fait ressortir le pire en toi. Si seulement tu pouvais te voir comme je te vois, belle, avec tes formes féminines, tes yeux verts qui s'illuminent à chaque clin (cline) d'oeil et ton rire communicateur. T'étais une personne avant lui, avant cette maladie, et tu es toujours quelqu'un sans lui, avec cette maladie. Tu es aimée. Mais tu n'aimes plus. Laisse toi du temps pour retrouver la personne que tu es, malmenée, désorientée, mais toujours là, juste un peu sonnée.

"Si tu veux t'acheminer

Vers la paix définitive

Souris au destin qui te frappe

Et ne frappe personne"

Omar Khayyam.

Bébé chat.

  • C'est rondement mené avec ou sans les 5 kg en trop ou en moins. Très très belle écriture.

    · Il y a presque 9 ans ·
    479860267

    erge

    • Le temps d'une (courte) pause, merci à toi aussi!

      · Il y a presque 9 ans ·
      10639480 10203858897965837 494947740424906454 n

      La Roumègue

  • Superbe. J'ai peu de mots en fait. Ça m'a pris la main, et de la main le bras, et puis la poitrine, et c'est allé loin, profond. Jusqu'à la mémoire. Avec de l'ironie, mais sans cruauté, ce rire contenu qui ne vaut que parce qu'il a compris, en fin de compte. Merci beaucoup, beaucoup.

    · Il y a presque 9 ans ·
    Vie1

    thib

    • Wow, merci à toi, beaucoup.

      · Il y a presque 9 ans ·
      10639480 10203858897965837 494947740424906454 n

      La Roumègue

  • touchée. (aparté : j'ai beaucoup aimé ce livre... et cet état sur lequel s'arrête l'héroïne m'a rendue triste, vraiment.)

    · Il y a presque 9 ans ·
    248407193 78b215b423

    ellis

    • J'ai beaucoup aimé ce livre aussi, je l'ai trouvé juste. Même si mon optimisme légendaire s'imagine toujours une fin heureuse ;)

      · Il y a presque 9 ans ·
      10639480 10203858897965837 494947740424906454 n

      La Roumègue

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