Je suis d’accord pour devenir grand

narjiss-au-pays-du-fromage

J’ai dix ans, les yeux bleus et zéro en technologie.

Ce zéro est une pure injustice, pure méchanceté. Mes camarades de classe ont refusé de m’aider alors que Monsieur Tocard, si si c’est son nom, le prof de technologie le leur a demandé. Monsieur Tocard n’a rien voulu savoir. Je lui ai expliqué que les filles ne m’ont pas aidé et qu’elles ont décidé de faire l’exercice sans moi. Il m’a collé un zéro. De toute manière, les grands sont toujours comme ça. Ils ne se mettent jamais à notre place. Ils ont oublié qu’ils étaient, un jour, petits, timides et maladroits.

C’est mes parents qui m’ont mis ici pour être dans une bonne école, avoir un bon niveau. C'est dans un quartier chicq et moi, je viens de la banlieue d’à côté. Dans ma classe, il n’y a que des chipies et des idiots pourris gâtés. Ils ne m’aiment pas, je suis petit, un peu rond et je ne m’habille pas comme tout le monde.  Moi, je suis sérieux, je travaille beaucoup mais je ne comprends rien en technologie et mon binôme passe son temps à chercher des OVNIs sur internet.

Mes parents vont être tellement fâchés, tellement déçus. Dans le métro, je ne peux pas m’empêcher de pleurer en fixant mon sac à dos pour passer inaperçu. Mais, la dame noire à côté de moi me voit et me sourit. Elle est belle. On dirait une vieille chanteuse de jazz.  La dame noire en face me voit et me tend un mouchoir pour m’essuyer les yeux. Je refuse le mouchoir en la remerciant et j’essaye de me retenir de pleurer. Et puis, je me rappelle le zéro et j’éclate en sanglots. Alors, la dame noire d’en face essuie mes larmes et me caresse le bras, me dit des choses pour me consoler. Tous mes voisions me regardent gentiment. Il y avait une dame tellement gentille qu’elle s’est mise à pleurer avec moi et quand j’ai arrêté, elle a arrêté. Elle voulait même écrire à mes parents pour leur dire que j’ai fait ce que j’ai pu et que ce n’était pas de ma faute.

« Mais, moi, je n’ai jamais eu zéro », leur dis-je.

Le grand à côté me dit  «  moi aussi, j’ai eu zéro. Mais, j’ai quand même eu mon bac ».

La dame noire  d’en face me dit que mes parents seront fiers de moi parce que j’ai du cœur.

« Mais, c’est la seule note en technologie. Elle va me faire chuter la moyenne, leur dis-je.

Le grand à côté me dit « mais la moyenne ça veut rien dire. Et puis, tu sais, on m’a dit que c’est le seul zéro que tu auras dans toute ta vie ».

Tout le monde dit oui de la tête et sourit. Je les crois mais je n’arrive pas à arrêter de pleurer et la dame tellement gentille non plus. 

La vieille chanteuse de jazz me dit «  ne t’inquiète pas, tu vas réussir, tu as reçu une bonne éducation ».

Je les regarde à la dérobée, tous sincèrement touchés par mon malheur. Petit à petit, mes larmes sèchent. J’ai l’impression d’être dans une bulle claire et chaude même si c’est l’hiver et même si on est dans le métro. J’ai imaginé que la dame tellement gentille était ma maman, que les deux dames noires étaient mes grand-mères même si je suis breton et que le grand à côté était mon grand frère.

Je ne savais pas que les grands pouvaient être aussi attentionnés, aussi gentils et aussi sensibles à ma peine. Tous les jours, je les vois dans le métro, toujours fâchés, toujours pressés, les yeux rivés sur leur journal, les oreilles dans un casque, perdus dans leurs pensées, coupés du monde. Ils ne voient jamais rien, ils ne me voient jamais. C’est pour ça que je reste petit, je ne veux pas leur ressembler.

Mais ces grands-là, je ne sais pas ce qu’il leur arrive. Ils se sont mis brusquement à me regarder, puis à me voir, puis à me parler, puis à me consoler. Et chacun, quand c’était son tour pour descendre, me disait un mot, me pressait le bras ou passer sa main sur mes cheveux, tout sourire.

Ils avaient l’air heureux de se retrouver autour de moi, comme s’ils se connaissaient depuis toujours et qu’ils s’étaient perdus de vue. Ils avaient l’air heureux d’avoir réussi de me consoler. Ils se sont dit au revoir, les yeux brillants, transportés.

Moi, je n’ai jamais vu d’adultes aussi gentils. Et si c’est comme ça, je suis d’accord pour devenir grand.

  • Oh ! Toute cette peine pour un zéro c'est mignon !

    "les deux dames noires étaient mes grand-mères même si je suis breton"
    Attention je connais un breton métis !

    · Il y a environ 12 ans ·
    Skulltest

    apophis

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