Je suis lâche et j'aime ça

Thierry Kagan

Evidemment, j'aurais pu ramasser ce clafoutis en bouillie et relever la veille qui gigotait au sol, le tarin dedans.


Evidemment... j'aurais pu consoler cet obèse perfusé au discount, complètement oublié sur le parking par ses parents, si contents de leur nouvelle télé payée en rognant sur la bouffe du morveux.


Evidemment, j'aurais pu aider à pousser la Tesla de ce trentenaire qui a manqué la recharge de son gros jouet mais pas celle des écrans qui vidangent les poires de ses deux mioches engoncés à l'arrière.


Et j'aurais pu aussi courir après ce canon sur pilotis en bustier sous calibré, pour lui rapporter son trousseau perdu, chaque clé gravée d'une mesure en pouces, en dollars ou en QI, sésames des piaules de ses sex-partners.


Evidemment, j'aurais pu... mais j'suis un bon président.

Et un bon président ne peut prendre le risque... de faire le chevalier blanc judéo chrétien de plus de 50 ans... en n'étant pas VU par le plus grand nombre.


Moi, je sais trouver... où il y a du monde... pour bien faire les choses.

Incognito, je repère l'opportunité et illico, j'encaisse la popularité.


Bien assis à côté de son smartphone qui chargeait sur une prise extérieure du Fouquet's et calé à faire sa manche - sans les mains ! -, ce miséreux m'a touché, mais pas au portefeuille.

Ce sont ses poches sous les yeux et les autres, pleines d'espoir, qui m'ont donné l'idée.


Il y avait foule de l'autre côté, devant le Vuitton. Alors, j'ai soulevé le bonhomme par les d'sous de bras et j'lui ai fait franchir son Rubicon de passage piéton, le long des Champs-Elysées, fissa, aller et retour, 2 minutes chrono.

Tour de force, pour moi, puisque en plus de ses 2 moignons, il lui manquait une jambe et c'est moi qui ai fait béquille.

In fine, que d'applaudissements, que d'accolades sincères rien que dans les regards !

Les avides du monogramme, en rang d'oignons qu'ils l'ont faite, la ola !

C'était beau : la queue s'est miraculeusement détournée du videur pour venir jusqu'au mendiant et elle a lâché tout ce qu'elle pouvait.

Surtout du sourire et du selfie avec le gueux en arrière plan, parce que le fric, il était en visa et le pauvre, il avait même pas de terminal.

Que c'est attendrissant, une queue qui se détourne...

Ça, c'est de l'action qui rapporte !

Tout le bénèf de la reconnaissance de TOUT ce peuple, à moi et à moi seul.


Vous me direz : mais tous, là, ils ne sont pas du tout français.

Et moi, je vous répondrai que ça se met au crédit des relations internationales.

C'est important aussi, de plaire aux barbares !


Voilà. Il était important pour moi que vous sachiez que vous avez un leader qui vous donne un cap. Pas comme tous ces chefs citoyens, plein d'humanité, gonflés d'énergie morale alors que ça saute aux yeux qu'ils ne baissent même pas la lunette.


C'est vrai, moi non plus.

Mais bon, j'suis président : je ne suis pas à une contradiction près.

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