Je suis laid

Patrice Saucier

Un peu d'ironie sur mes rondeurs

Chaque matin devant mon miroir, sur ma balance et dans la douche, je ressens bien ma "différence". Je la pèse, l'observe et la touche avec autant de dégoût que de rancoeur. Elle me rappelle constamment son indélogeable et exécrable présence. Des lipides sous une couche de chair blanchâtre atrophiée par les grains de beauté et trop de poils, beaucoup trop de poils. 

Avant le petit-déjeuner et le café, je me rase en silence, ne répondant pas aux avances de ma femme qui, l'oeil coquin, vient de me lancer un discret "salut sexy", la poitrine dénudée, l'oeil  fauve et la voix suave comme lorsque nous étions jeunes mariés et qu'elle n'en avait que pour ça le matin, sous la douche, dans le lit, sur la table de la cuisine. J'étais mince et plutôt "correct" à l'époque. Rien ne laissait présager que je serais affecté un jour par une silhouette difforme et décriée par toutes les adeptes de calendriers de pompiers. 

-Hé! Salut sexy! 

-Ha! Salut! ai-je répliqué la tête dans les nuages et dans la mousse à barbe.

Elle me trouve beau... La belle affaire ! 

J'ignore comment elle y parvient. Beau, moi ? Ma femme est certainement belle et désirable. De mon côté, disons que je m'arrange comme je peux.

Je sais que je prends de la valeur seulement à ses côtés parce que ma femme, je la trouve canon. 

-Mais toi aussi tu es beau, mon petit merle !

Elle me trouve beau... La belle affaire !

Pas moi. 

L'autre fois, nous étions chez Simons, un grand magasin de vêtements et d'accessoires. Une Galerie Lafayette en plus petit, en plus "british", en "un peu plus" abordable. Elle voulait m'acheter des slips un peu plus sexy que la norme, c'est-à-dire un peu plus voyant que mes slips blancs que je porte parce qu'ils sont confortables et surtout parce qu'ils n'attirent pas l'attention, ni sur moi, si sur le tas de graisse qui me ceinture de poitrail. À quoi bon porter des tenues sexy ? Sur moi, c'est caricatural. Comme sur tous les gros. Les femmes aiment ça parce que ça les fait marrer. Ça ne vaut pas la peine  que je les enfile pour l'émoustiller. Rien à faire, ça fera rire. Je fais toujours rire.

À la limite, si le désir est trop présent en elle, je me déguise avec ces "choses" jaune fluo en spandex et je l'éteins. Du moins, c'est mon feeling.

Elle pense alors à cet homme rencontré au hasard, à cet ami qui possède le don de la faire rire pour un rien. Ses jambes s'ouvrent plus rapidement. Ma main est attendue immédiatement sur son sexe. Je comprends que l'intrus patauge dans sa tête dans son petit Speedo. On gagne 15 minutes de plus et on souhaite ne pas arriver en retard au restaurant. 

Pour être accepté, il faudrait que je m'accepte d'abord !  Pour se faire, il faut reprendre le chemin du gym et tuer l'image du salopard dans la tête de ma femme et qui lui propose des plans d'évasion de la prison graisseuse que je suis. Assumons-nous, bordel ! Plions-nous aux exigences du calendrier des pompiers ou des Dieux du stade... 


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