Je te vois en saigner

Patrice Saucier

Don’t mess with the instit. Surtout si elle paraît calme et sereine, malgré une mauvaise réponse ou un brouhaha d’enfer... C’est une règle d’or. La seule règle à respecter si vous souhaitez terminer votre année scolaire bien en vie et assuré de retrouver vos parents, votre chambre, votre piscine hors-terre et tous vos amis. Ah oui! Il y en a une autre... Vous avez intérêt à ne pas trop démontrer que la réforme scolaire a gâché tout ce que vous aviez de talent et d’ambitions. Un conseil : étudiez, lisez, instruisez-vous, cultivez-vous, sinon... Alors lisez ce qui suit et vite!

Bon nombre d’élèves ne peuvent plus revenir en arrière pour témoigner de ce qu’ils ont vécu. Leur calvaire, vous ne le connaîtrez jamais, puisque les cendres, ça ne parle pas... Ça repose et ça s’accumule dans les incinérateurs. Par contre, à travers les esprits qui eux, ne connaîtront jamais le repose éternel, nous pouvons en savoir un peu plus sur cette malédiction qui commence à s’abattre sur les écoles du Québec.

Depuis la rentrée scolaire, plusieurs disparitions d’élèves sont répertoriées. Or, personne ne s’inquiète, à commencer par les parents concernés. Ils travaillent désormais pour l’avancement du Québec, à creuser des trous pour le gaz de schiste ou trouver un moyen d’atteindre le centre de la Terre afin d’en retirer tous les bienfaits énergétiques.

Pour comprendre, transportons-nous dans la classe de mademoiselle C... quelque part dans la grande région de Montréal.

-Nous allons survoler les causes qui ont mené à la Seconde Guerre mondiale. D’abord, qu’est-ce que la Seconde Guerre mondiale ?

Une main se lève dans cet amas d’ignorance.

-Euh... C’est la deuxième guerre à être survenue dans le monde, madame?

-Malheureusement non, mon cher monsieur Pouliot. Je souhaite que mes élèves prennent ce cours au sérieux et cesse de répondre par des âneries à mes questions.

-Mais madame je...

Vous allez devoir vous rendre au bureau du directeur...

-...ne sais ce que c’est la guerre mond... QUOI?

-Chez le directeur!

Pas un sourcil qui bouge, pas un ride qui plisse, pas une émotion dans la voix de cette institutrice. Rien!

Pouliot se leva, frustré, ça va de soi. Il ouvrir la porte et, comme un matamore qui affronte son énième gladiateur, lança :

-Vous allez voir, je vais le dire à mes parents et vous pourrez dire adieu à vot’ job!

-Chez le directeur, Pouliot. Maintenant!

Et la porte se referma dans un fracas terrible. L’instit soupira un brin et reprit sa classe.

-Bon, nous allons pouvoir poursuivre. Alors écoutez-moi bien. La Deuxième Guerre mondiale a... Et le cours se poursuivit sans Pouliot et surtout sans anicroches.

Sachez, chers amis, que mademoiselle C... n’est pas la seule à être ainsi. D’autres instits sont postées un peu partout dans les écoles de la province dans le but d’enrayer, enfin, ce qui pourrait nuire à long terme à notre fierté, notre héritage, notre prospérité, notre réputation... C’est l’état d’urgence, aussi fort que celui de créer de la richesse et de ne plus dépendre du pétrole de l’Alberta et du saumon fumé de la Colombie Britannique.

Chez le directeur, plusieurs autres élèves attendaient dans la petite salle où était le bureau de la gentille secrétaire. Cette dernière semblait toute douce avec sa voix empreinte de douceur et de compassion. Telle une assistante dentaire au décolleté sexy, elle préparait mentalement ces jeunes écervelés à ce qui les attendaient, c’est-à-dire au pire... Quelques minutes plus tard, une voix à l’intercom invite les récalcitrants à  rentrer dans une grande salle.

-Vous avez entendu monsieur le directeur? Allez et bon courage. Après tout, l’année scolaire ne fait que commencer. Vous aurez tout le temps voulu pour vous reprendre... C’est moi qui vous le dit.

Elle se pencha un petit peu pour prendre un dossier. Tous purent voir la couleur de son soutien-gorge. Détail, certes, mais qui attendrit tellement! Une console XBox n’aurait pas fait mieux!!!

Après le dernier élève, elle ferma la porte à double tour et attendit.

Pendant une bonne heure, malgré les cris, les coups de poing dans la porte et dans les murs, la terreur et tout le reste, elle n’ouvrit pas.  Un calme sinistre envahit soudainement toute la pièce de la secrétaire. Un peu comme un brouillard épais sur le Golfe du St-Laurent et qui avale tous les sons, même ceux des cornes de brume.

Puis une sonnerie qui se fit retentir. Un genre de minuterie. Et voilà comment on débarrasse la province de 20 cancres irrécupérables : aspirés dans un large conduit rempli de pics et de lame, puis brûlés jusqu’à ce qu’ils deviennent de la cendre... Au même moment, le directeur termine une lettre qui sera envoyée aux parents de ces enfants sacrifiés pour le bien d’une patrie à venir ou non : « votre enfant a été sélectionné pour faire partie d’un programme de rééducation dans une mine d’or du Nunavut. Il travaille pour la grandeur du Québec, son avenir est assuré, vous n’avez plus à vous inquiéter».

Et vous, vous savez qu’est-ce que la Seconde Guerre mondiale? Non? Prenez un livre et filez!

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