JESSIE . Chapitre 45

Jp Scriblerus

Résumé des chapitres précédents : Charles Villepou ravagé par le remords d'avoir couché avec Jessie l'ex de son fils Sébastien envisage de s'en ouvrir au confesseur de la famille.

Chapitre 45

La confession de Charles Villepou

   Vous avez entendu la femme vous allez entendre l'homme, l'époux, dit Charles Villepou au Père Patrice, ne nous redisons pas le différend avec ma femme, vous l'avez cerné. Vous reste t-il du temps mon père car il m'en faut.

   -  Dieu, modestie mise à part, a un agenda très souple. Vous disposez du temps qui vous sera nécessaire. Et tout d'abord je vous propose crêpes et bolée de cidre.

    Charles Villepou et le Père Patrice prirent place, chacun de part et d'autre de la table qui occupait la grande pièce du presbytère, qui faisait office à la fois de cuisine, de salle à manger et de salle de réunion.

   Le père Patrice apporta les crêpes et les pots de confiture, et versa le cidre.

   -   Allons-y je viens de les faire réchauffer.

  -  ça va être très long mon père, très long, j'aurais dû vous proposer un autre moment qu'un soir.

  - Je vous ai déjà répondu, Dieu n'a pas d'heure.

  - Père, commença Charles Villepou, à part tuer, je crois que j'ai commis tous les péchés possibles ou impossibles, imaginables et inimaginables au regard de l'image que les uns ou les autres peuvent avoir de moi.

  -  Si vous n'avez pas tué c'est déjà ça, voici au moins un bon péché dont votre conscience n'aura pas à souffrir.

  -  Du moins pour l'instant. Enfin pour l'instant !

  -  Ne vous y obligez quand même pas à tuer !

 - Je suis Ruy Blas, je descends, je descends, et jamais ne m'arrête, et l'abîme est profond. Je suis Lorenzaccio, j'ai été honnête, j'ai cru à la vertu, à la grandeur humaine, j'étais bon... Je suis Dominique Strauss-Kahn puissance mille, vous ne pouvez vous imaginer, vous ne pouvez vous imaginer...

     Charles Villepou parlait au prêtre les yeux dans les yeux, le visage pâle, défait, il n'aimait pas ce côté confession d'autant qu'il avait le sentiment d'avoir devant lui plus un homme qu'un prêtre, ce prêtre qui le regardait et l'écoutait avec une attention concentrée.

   S'il était prêtre, il était homme aussi. Charles reconnaissait le prêtre mais n'appréciait pas l'homme, et ne l'appréciant pas il lui semblait se confier à un homme incertain et pas fiable nécessairement.

   Il poursuivit :

   -  Je suis possédé oui possédé par le démon du vice, du sexe, de la luxure, de la fornication. Je suis devenu une bête de sexe.

    Il avala une bolée de cidre que le prêtre lui remplit à nouveau. Il ne parlait plus au Père Patrice, il se vidait, se parlait à lui-même dans la lumière blafarde de la pièce qu'une seule ampoule poussièreuse éclairait de cette lumière jaune et désuète chère à la plume de l'auteur de polar.

    Charles Villepou commença à s'ébranler sur la route de cette confession qui était comme un grand soliloque.

    " La tentation du péché de chair est partout aujourd'hui. Si on ne le cherche pas, il finit par venir à vous, les revues, le cinéma, le web, l'anonymat, la profusion des nouvelles technologies qui suscitent et favorisent nos errances, banalisant, autorisant le sexe, la relation adultère, mettant le plaisir à la portée de tous et pour une consommation immédiate, ni vu ni connu, le sexe ange exterminateur omniprésent, obsédant, défonçant.

   Je sais tout ça, l'avènement de l'adultère, l'explosion des vies dissolues, le pacs, le concubinage, les lois de la république qui concourent à l'effondrement des repères moraux. Alors soi-même, curieux, intrigué, tenté, l'on commence par regarder furtivement, puis timidement, puis de manière plus affirmée, plus hardie, l'on y prend goût, pourquoi pas nous, qui le saura, l'on y touche, l'on y revient et l'on finit par tomber, par s'y vautrer, mais encore l'on bafoue femme, enfants, on s'en délecte, l'on normalise, et dans le même temps comme Dieu nous gêne dès lors qu'il a toujours été nôtre de par l'éducation qui nous a été délivrée.

   On le récuse, on l'évacue, qu'il ne nous empêche pas de vivre celui-là, l'on ne le prie plus, il n'a même jamais existé. Dieu n'existe pas donc tout est permis, vieille antienne. Ou je sais que Dieu existe, et je sais qu'il va me punir, mais tant pis je tente ma chance.

     Et puis s'il n'existait pas j'aurais eu l'air malin de me priver, de ne point goûter aux fruits du jardin des péchés d'autant que l'échéance va finir par approcher, oui goûter quand il est temps encore d'apprécier, je m'en suis tant délibérément privé à l'époque de mes vingt ans.

     Au terme de ce long exorde, le père Patrice prolongea la pause que faisait Charles Villepou.

   -  Je sais tout ça monsieur Villepou mais vous Charles, Dieu qu'en faites-vous ?

   -   Ah Dieu, mon père, il est là, du moins à défaut de certitude en ai-je l'impression, mais je ne le prie plus, je ne veux pas l'entendre. Je détourne la tête de ses églises qui m'ouvrent leurs portes, je change même de trottoir pour ne pas les voir. Je les perçois comme une invitation comme une main qui se tend et me convie à entrer. Je fais le snob, je fais le fier, mais qui c'est celui-là, ma vie ne le regarde pas !

  -  Soit ! Charles, mais vous êtes là ce soir.

    Charles Villepou se redressa sur sa chaise.

 - Vous savez, mon fils devait se fiancer avec Jessie en septembre, ce mois-ci, et nous envisagions même le mariage au printemps prochain, en deux mille douze.

    Or ils ont rompu en juin. 

   Le Père Patrice remplit les bolées et vida la bouteille, servit une nouvelle série de crêpes et apporta une nouvelle bouteille.

   - ... Et vous savez ! ? j'ai couché avec Jessie Cassegrain la fiancée de mon fils, j'ai couché avec la fiancée de mon fils vous entendez Père ! ? couché avec la fiancée de mon fils...

   Le prêtre ne cilla pas. Le coucou sortit de sa cage, les fit sursauter et perça le silence blême de la pièce en lançant ses douze coups de minuit.

   Charles Villepou en voulut au coucou qui intervenait au moment où il avouait la faute la plus lourde. Charles Villepou se dit que les stridulations du coucou avaient été délibérées, et qu'elles désamorçaient la gravité de la révélation qu'il venait de faire en altérant et distrayant l'écoute du prêtre.

     Toute sa tirade qu'il avait amenée était estompée, ses déchirements n'étaient plus que verbiages et péripéties anodines ou relatives.

     Le silence alors se rétablit, le coucou était retourné dans sa boîte. Villepou essaya de restituer l'intensité et la profondeur douloureuse de son propos et redressa le buste les coudes sur la table, comme dans l'attente d'un verdict.

   - Et maintenant Charles qu'attendez-vous de moi ? Que souhaitez-vous ?

    Vous confesser pour que je vous donne l'absolution ? Sous condition de l'exécution d'une pénitence de mille paters et de mille je vous salue Marie ? Si vous voulez, mais ce qui est fait est fait. Comment faire que ce qui a été n'ait pas été .

   Le retour sur le droit de chemin, pour peu que vous aspiriez à y retourner, le retour à la chasteté, à la pureté, à la rectitude, certes mais toutes ces qualités éventuellement - éventuellement ! - recouvrées avec la grâce de Dieu n'effaceront jamais ce que vous avez fait, ne redonneront pas leur plénitude aux corps et la sérénité aux âmes que vous avez impactez !

   -  Et qui ne le savent pas, mais je crains que cette Jessie leur révèle tôt ou tard mes exactions...

   -  Hum ... En revanche prier de nouveau, essayer de recouvrer votre foi en Dieu peut susciter de sa part cette grâce que je viens d'évoquer et la réhabilitation de votre âme.

    Mais Charles vous attendiez-vous à ce que je vous dise autre chose ?.

  -  Père, il y a que cette fille, je crains de l'avoir dans la peau. Enfin vous voyez bien que ce que j'ai fait est inique, innommable, inracontable et puis bien que j'en aie après Arlette elle ne mérite pas ces monstruosités qui la tueraient si elle les apprenait, et vous l'avez dit, ni le repentir, ni le remords, ni les regrets, ni les prières, ni même la grâce de dieu n'effaceront ce qui été fait, vous l'avez rappelé vous-même.

   J'ai couché avec la fiancée potentielle de mon fils, je communiais tous les dimanches il y a quatre mois encore, et maintenant je suis devenu un vieux pervers lubrique, délibérément, après trente ans de vie fidèle, retenue, cadrée, rigide, morale, religieuse. Je ne pourrai même pas mourir droit dans les bottes d'un mari loyal, d'un père exemplaire.

   Et mourant j'aurais éprouvé une véritable jubilation que de savoir que je serai toute ma vie durant resté fidèle à ma femme, à mes enfants, à ma conscience et à Dieu.

   Les vacances m'ont éloigné de Jessie mais je brûle par moments de retourner étreindre son corps. Et il y a pire, savez-vous qu'au moment où...

     Charles Villepou s'apprêtait à raconter le coup de téléphone de Sébastien à Jessie alors qu'il, lui, le père Villepou, lui faisait l'amour.

    Pour la première fois le visage du Père Patrice se fit sévère, se crispa, comme s'il savait déjà et ne voulait pas entendre.

   -   Taisez-vous monsieur Villepou, c'est assez, vous vous complaisez dans cette confession, vous vous y vautrez.

   Mais Villepou ne se contenait plus.

   -   Au moment même où nous nous étreigniions où nous culminiions Jessie et moi, la fiancée de mon fils, le téléphone sonna, et c'était Sébastien mon fils qui appelait et Jessie lui parlait alors que ...

    L'abbé était pâle. Il se leva livide, chancelant.

   -   Sortez monsieur sortez, vous êtes le diable.

     Charles Villepou sortit, le prêtre d'emblée s'agenouilla sur le carreau de la cuisine le front sur le bord de la table. Il savait que Dieu n'existait pas, mais il avait devoir de se taire et de faire comme si, sinon, sinon...

     ... et Charles Vilepou n'était pas pire qu'un autre. Le Père Patrice se souvenait de Balzac qui lui avait une nuit chuchoté :

    " Il vient à la surface des coeurs les plus purs, les plus nobles des boues soulevées par les ouragans."

     Mais là s'il avait lâché prise c'était parce qu'à l'écoute de la transgression que contait Villepou il sentait les forces du mal l'envahir, le posséder à son tour, alors se dit-il, les forces du mal existeraient et Dieu n'existerait pas ?

   le Père Patrice se releva, abruti de fatigue et de vertiges, courbé sous le poids de la confession de Villepou et déchiré de n'avoir pas su quels mots lui dire et ne sachant que lui intimer l'ordre de sortir, le mettant à la porte de Dieu, quoi Dieu, Dieu encore ! en guise de pénitence.

    Charles villepou avait déjà quitté la salle, l'abbé ne l'avait pas raccompagné. Dieu les laissaient seuls l'un et l'autre.

     " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi nous as-tu abandonnés ... "

                                         µµµ

13052013 .

.

A Suivre

             Jessie consulte un gynécologue

.

Signaler ce texte