JESSIE . Chapitre 13

Jp Scriblerus

Résumé des chapitres précédents : Sébastien Villepou suite à une altercation avec Jessie la déglinguée, a rejoint pour la nuit le domicile de ses parents.

Chapitre 13

Jessie,  je t'ai apporté des croissants.

     Ce samedi matin-là, il bruinait sur la ville quand à huit heures Charles Villepou le père ouvrit les volets de la maison. Il bruinait toujours à neuf heures et demie lorsque Sébastien Villepou le fils ouvrit les volets de sa chambre. Il bruinait encore quand Jessie Cassegrain s'éveilla dans son studio.

    Quand Sébastien entra dans la cuisine, le bol, la confiture et les croissants que son père était allé acheter attendaient. Charles aux aguets entra à son tour, j'ai acheté deux croissants peut-être pourrais-tu prendre ton petit déjeûner chez Jessie... .

   -  C'est un peu tard pour me le dire ! Sébastien regarda son père. C'est un peu … je n'irai pas remettre la sauce, l'on s'est trop dit les choses hier soir elle et moi.

      Certes, mais il pensa qu'il avait laissé chez elle, ses vêtements, sa brosse à dents, son ordinateur portable, oui il fallait liquider l'affaire, et le plus vite possible, dans la continuité, les croissants seraient l'alibi s'il en fallait un. Il y aurait fatalement de nouvelles explications.

   Il éviterait de nouveau les " Tu es une fille bien " qui avaient fait enrager Jessie, les " On restera de bons amis, ma porte te sera toujours ouverte, on a quand même passé de bons moments ensemble."

   Il fallait faire en sorte que la messe fût dite une fois pour toute. Une de perdue dix de retrouvées, il n'y avait pas mort d'homme, on se console comme on peut, ainsi Sébastien déroula t-il quelques autres apophtegmes qui l'apaisèrent. Et puis il y avait Charlène à Paris.

    Un type perd sa femme, il est triste et prostré, une chasse à cour passe sous sa fenêtre, il se redresse, se lève, va voir, se laisse distraire par le chatoiement des parures, la course des chevaux, l'aboiement des chiens. Charlène passa sous la fenêtre de son esprit. De plus Jessie et lui n'avaient pas couché ensemble, c'est à dire qu'ils n'avaient pas consommé, elle était vierge, intacte.

   Il était quitte. Sébastien vêtu de probité candide et de lin blanc. D'ailleurs il irait en remercier Dieu qui l'avait aidé à ne pas succomber au péché de chair respectant ainsi l'intégrité de la personne de Jessie qui pourrait s'offrir sans tache à l'homme de sa vie.

    Mais que faisait Charlène là dans l'instant, il eût voulu, là, courir vers elle avec ces mêmes croissants, tout lui dire, à genoux, imaginant ses mains sur ses cheveux. Il se ressaisit, d'abord clôre cette histoire avec Jessie, déménager ses affaires, passer les coups de téléphone pour annuler le voyage en Turquie, désamorcer les fiançailles.

   Sébastien Villepou claqua la porte derrière lui, releva son col d'imperméable et fila chez Jessie. Il était onze heures. Sébastien frappa à la porte.

   Il tendit l'oreille. Il perçut un mouvement à l'intérieur. Jessie était derrière la porte. Il la pressentait tendue et haletante, il savait qu'elle se contenait se promettant de ne pas lui ouvrir, tentée de lui sauter dans ses bras, il l'aurait parié. Il n'avait rien dit, elle savait que c'était lui, elle lui dit à travers la porte :

   " C'est toi qui a tout foutu en l'air monsieur l'ingénieur, tout allait bien. Le mal est fait, fais-le ton break avec qui tu veux. Je suis ce que je suis, je crois que je t'aimais un peu ".

   -  Jessie j'ai apporté des croissants .

   Elle ricana.

   -  A cette heure on m'apporte une pizza, dégage. Toutes tes affaires sont dans le local poubelle, y' a juste ton meuble à prendre ici, cet après midi je serai absente, tu le déménages et tu laisseras ton jeu de clefs dans ma boîte aux lettres.

    Cette fille derrière la porte, il en avait soudain envie. Envie de Jessie ou d'une fille ? Sans doute avait-il été hier soir trop impulsif, sans doute avait-il mal dit les choses, sans égards. Ce " Je crois que je t'aimais un peu " qu'elle venait de souffler, lui parut sincère et lui fit mal.

   -  Tu m'as déchirée, je ne suis pas une fille que l'on recoud, on me prend ou on ne me prend pas, mais on ne me laisse pas comme tu l'as fait, fous-le camp.

   Sur le palier, tendu, à l'écoute, Sébastien Villepou convint que son break il n'avait pas besoin de s'éloigner pour le faire, et il n' y avait pas à à rompre si vite, le con ! il le faisait en interne, avec lui-même, puis il avisait, quel con ! Le visage de Charlène vint de nouveau se glisser dans le cours de ses réflexions. Mais à Charlène aussi il avait dit que son coeur inclinait quelque peu vers le sien.

    Savaient-ils bien s'ils s'aimaient les uns les autres. Quel foutoir sentimental. Ils avaient tous l'âge d'aimer et jouaient à je t'aime moi aussi, mais laisse-moi du temps, c'était la période angoissante des initiations encore, des essais, des questionnements, hésitations et impatiences ...

   Jusqu'alors Sébastien n'aurait donc fait qu'écrémer quelques filles, les effleurant, puis finissant toujours par les plaquer. Il avait peur de l'amour. Elles le prenaient certes comme un brillant esprit mais sa forme de niaiserie amoureuse et sa nécessité d'essayer sans cesse de décrypter ses sentiments à voix haute, les agaçait souvent. Elles se fâchaient alors, lui le prenait mal, se vexait et rompait. Elles attendaient du garçon davantage de tendresses muettes plutôt que ces introspections obtuses qui leur prenaient la tête.

   Lui, sachant le profil approximatif de son physique doutait de leurs véritables sentiments qu'il estimait faussés par l'aura et la garantie de sa qualité d'ingénieur. Il espérait toujours dans le temps des première approches et désespérait délibérément assez vite, préventivement, lorsque la relation se confirmait, comme pour s'interdire un bonheur auquel il pensait n'avoir pas droit, mais qu'il appelait nonobstant de tous ses voeux.

   Le doute qu'il éprouvait quant à l'authenticité des sentiments qu'on lui dédiait fragilisait d'emblée ce bonheur et en provoquait et précipitait la chute dès que se dessinaient les prémisses, alors il préférait le casser lui-même plutôt que de s'exposer à son effondrement à l'initiative de sa partenaire.

   Sébastien Villepou descendit l'escalier, entra dans le local poubelle qui suintait d'une froide humidité dans la senteur piquante des émanations d'eau de javel. Une ficelle nouait le cou des sacs poubelles qu'identifiait une étiquette autocollante jaune et une inscription au marqueur rouge : M.Villepou, M.Villepou... Son estomac le brûla douloureusement.

      Le local poubelle, quelle déchéance.

                                            µµµ

24042013

.

A Suivre

     Rencontre dans le local poubelle

.





Signaler ce texte