JESSIE. Chapitre 14

Jp Scriblerus

Résumé des chapitres précédents : Sébastien Villepou tente de se réconcilier avec Jessie la déglinguée, et se fait éconduire. Il descend au local poubelles chercher ses affaires qu'elle y a jetées.

Chapitre 14

Roberto Alvaro-Gomez Da Silva, un concierge

     Dans le local à poubelles la lumière s'est éteinte. Sébastien Villepou n'en peut plus, il s'asseoit sur les sacs poubelles. Il n'a pas le courage de se relever pour allumer la minuterie. L'humidité du lieu le traverse, il frissonne.

   Jessie et Charlène. Deux jeunes femmes bouleversaient désormais sa quiétude sentimentale qui lui était il y a quelques heures encore assurée.

   La sensuelle Jessie avec laquelle les choses de la vie s'engageaient, et la sensible Charlène qui sans prévenir en toute ingénuité, s'était malgré elle, à son insu, contre son gré, infiltrée dans son coeur.

   Mais à jouer inconsciemment l'esthétique et la perfection de la recherche amoureuse accomplie, Sébastien tissait inconsciemment des liaisons dangereuses au petit pied. Monsieur l'ingénieur s'était soudain fourvoyé, s'était pris dans le tapis des sentiments et désirs, avait battu la campagne, et sa vie sentimentale venait de se scratcher. Sous son poids le contenu des sacs-poubelles se tassait.

   Bah! il avait son travail, il allai être titularisé, il fraierait avec de nouveaux collègues hommes et femmes du même milieu. A son âge il ne pouvait que trouver et plus tôt que tard l'âme compatible. Rien de grave somme toute.

   La porte grinça, la lumière pourtant faible l'éblouit, il se frotta les yeux se redressa. Ah pardon ! … Vous allez bien monsieur Sébastien ? C'était le concierge Roberto, le portugais, Roberto Alvaro-Gomez Da-Silva.

   Il le connaissait bien parce que Roberto connaissait lui, par fonction non seulement les résidents de l'immeuble mais bien sûr et bien au-delà des uns et les autres leurs us et coutumes, leurs proches et leurs relations générales et particulières voire singulières.

   Un concierge est doté d'un septième sens, et il n'est pas besoin qu'il soit en permanence dans sa loge pour savoir ce qui se passe dans l'immeuble, il lui suffit de vaquer à ses occupations, à ses charges, de prendre le temps de parler aux uns et aux autres pour tôt ou tard approcher et entrer dans la vie intime de telle personne et appréhender tel secret, telle combinaison, telle détresse, de tendre l'oreille, voire de monter à l'étage dès qu'un éclat se diffuse à travers les cloisons ou les portes, filant par la cage d'escalier et rendant compte d'une querelle ou d'un drame.

   Il n'existe pas d'immeuble sans bonheurs certes mais aussi sans drames. Alors la nuit lors de ses insomnies Roberto renouait les fils ramassés dans la journée, rétablissait les cohérences, reconstituait des bribes de vie, et tissait l'histoire de l'immeuble et les histoires des résidents, c'est ainsi qu'il savait tout ou presque de la vie de Jessie Cassegrain, et ce qu'il ne savait pas il le déduisait ou le pressentait.

   - Jessie m'a foutu à la porte. Je suis assis sur mon déménagement, fit Sébastien, j'ai juste encore une armoire chez elle.

   Roberto ne dit rien, sourit imperceptiblement, il aimait ces séries sentimentales, les histoires de l'immeuble étaient son miel.

   -   Si vous voulez on prend ma camionnette .

   Roberto est un portugais divorcé d'une française de souche, puis il s'est amouraché d'une guinéenne qui travaille en qualité de femme de ménage chez les Dussourd au deuxième étage.    

   Roberto Alvaro-Gomez Da Silva, le concierge, en voici un qui sait pertinemment bien jouer de son statut de naturalisé et exploiter sa fonction de soumis dans sa profession ancillaire. Il a la poignée de mains obligée et obséquieuse, il sait échanger avec chaque résident de l'immeuble, et s'arranger toujours pour glisser un oeil ou mettre un pied dans chaque appartement. Il a l'art et la manière de se mettre à disposition de chacun sans le proposer ouvertement, ainsi il rend service, effectue quelques réparations, même quelques travaux, et en reçoit quelques enveloppes. C'est un matois, un finaud, un calculateur, en un mot un portugais.

   Sa poignée de main et son oeil évaluent le caractère de celui qui la lui tend, il enregistre l'ordre ou le désordre intérieur des appartements symptômes de l'équilibre des esprits et de l'ordre des coeurs, et son ouïe et son intuition savent décrypter les esprits derrière la tonalité des mots. Il explore ainsi tous les recoins utiles à sa science et à l'état des lieux des familles. Il est une espèce de psychologue rustre, goguenard, et pratique. Il est le clerc de notaire obscur mais curieux du patrimoine des résidents. Il sait ceux avec lesquels il est préférable de se faire discret et respectueux, ceux auprès desquels il ne faudra jamais oser, dont il faudra toujours se défier, et ceux dont il pourra profiter jusqu'à en abuser par une approche appropriée.

   La camionnette s'arrête au pied de l'immeuble des Villepou. Avant de procéder à l'emménagement Sébastien estime utile de monter en avertir ses parents, il a cru voir un rideau bouger au quatrième sans ascenseur, sans doute espéraient-ils le voir revenir bras dessus bras dessous avec Jessie.

   - Roberto attendez-moi je vais annoncer la nouvelle à mes vieux.

   -   Essayons de monter quelques sacs ça nous évitera un coup pour rien, dit Roberto qui surtout souhaite être témoin de la confrontation qu'il pressent entre Sébastien et ses parents.

     Roberto le concierge, veut voir la gueule de ces gens là. Sébastien serre des dents, il sait bien ce que vaut ce concierge qui se constitue un patrimoine sur le dos des résidents et fait construire sa petite maison dans la prairie au Portugal. Il ne répond pas, c'est inutile il a assez de problèmes comme ça. L'autre descend de la camionnette et se charge de deux sacs poubelles.

   -   Sébastien tu prends l'autre .

   Voilà qu'il le tutoie à présent, il profite de la faille morale qu'il perçoit chez Sébastien et s'y engouffre. " Allez-vieux ! fait Roberto, on y va, moi j'ai du travail qui m'attend ". Jessie lui en a tant raconté sur ces catholiques bon teint que Roberto brûle de l'envie de voir à quoi ressemble cette espèce là.

   La vie de Roberto Alvaro-Gomez Da Silva - il se vexe si vous dites " Monsieur Alvaro, ou monsieur Alvaro-Gomez - est mue par trois mobiles essentiels qui le portent et dont aucun ne prévaut sur l'autre: L'argent, Le sexe, Le pouvoir.

   Par la profonde connaissance qu'il a des uns et des autres, des secrets qu'ils lui confient ou qu'il découvre, il s'est constitué un arsenal de bombes à fragmentation qu'il est prêt à l'occasion de lâcher quand tel ou tel fait le mesquin pour rémunérer une prestation pour laquelle Roberto a une fâcheuse tendance à réclamer une somme exorbitante de la main à la main, ou qui ne sait pas donner l'enveloppe adéquate. Dites monsieur Dupoulet la petite que vous hébergez ce n'est pas une petite malienne ? elle est bien mignonne, toujours polie, propre sur elle. C'est quand même bien qu'elle soit en situation régulière...

     C'est par ces cheminements pétris de sous-entendus, de menaces polies implicites qu'Alvaro-Gomez selon l'occurrence et le contexte intimide, manipule, humilie le résident récalcitrant, tient son monde. Roberto Alvaro-Gomez est aussi un expert et praticien en matière de pratiques sexuelles sans parler même de son carnet d'adresses qu'il fait partager à quelques propriétaires et locataires à des conditions pécuniaires qui lui constituent un complément honnête.

     C'est un maître-chanteur, et c'est ainsi que cultivant son ascendant sur ce qu'il appelle ma population Monsieur Roberto est devenu le parrain de l'immeuble. Naïfa-Nafissatou, la compagne de Roberto n'est pas quant à elle regardante lorsque les résidents lui toquent une oeillade insistante et lui miment l'avancée d'une lèvre, elle ne s'offusque pas et leur sourit en retour, mais elle, aime davantage leur sourire dans leur lit. Roberto le sait mais lui aussi a ses pratiques.

   Pour ce binôme d'immigrés, de micro-entrepreneurs, d'escrocs qui se sont extirpés de leur pays, de leur histoire, de leurs origines, de leur pauvreté pour partir à la conquête de ces imbéciles de yaourts nantis, ce binôme doté de son intelligence pratique, intuitive, calculatrice, pourvue d'une psychologie pertinente, fort d'une maîtrise des relations, des droits et des devoirs de base, indispensable pour n'être pas remarqué et n'être pas soupçonné et dénoncé, cynique, dépourvu de tout état d'âme, à l'égard du bon blanc français, l'avenir était assuré.

    Ainsi sont Roberto Alvaro-Gomez et Naïfa, les nouveaux envahisseurs, vermines, anges exterminateurs, exploiteurs des anciens coloniaux.

    Roberto grimpa les escaliers derrière Sébastien Villepou, chacun son sac poubelle à l'épaule.

                                                     µµµ

24042013

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A Suivre

     La rencontre entre Roberto Alvaro-Gomez et les parents de Sébastien Villepou et celle de Jessie et Roberto Alvaro-Gomez-da-Silva.

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  • J'ai donc échappé au pire, pas de concierge dans mon immeuble! Bon, pour mon déménagement, je prendrai des vrais (déménageurs)

    · Il y a presque 10 ans ·
    Printemps   2011   n%c2%b0 n%c2%b0 016 n b

    akhesa

    • je ris en vous lisant et vous comprendrez pourquoi, merci pour vos sympathiques passages et la faculté que vous avez de me détendre soudain ...

      · Il y a presque 10 ans ·
      9a8a941586d6b0263b334597b2927443

      Jp Scriblerus

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