JESSIE . Chapitre 21
Jp Scriblerus
Chapitre 21
Chassés-croisés.
Pelotonnée dans le lit de la chambre d'ami, Charlène n'en revenait pas de s'y retrouver après son impulsion qui l'avait projetée ainsi et présentée sans nul doute comme une intruse hystérique chez les Villepou à Nantes, au moment même où à Paris Sébastien frappait à sa propre porte.
Elle avait expliqué aux Villepou : " Vous devez me prendre pour une folle. Je n'ai aucune raison d'être ici, je ne suis qu'une amie de Sébastien, je souhaitais lui parler, je sais qu'il va se fiancer, je ne suis qu'une amie …".
Les Villepou ne répondirent pas, mais ils commençaient à la trouver bien cette jeune fille.
Charles Villepou était allé acheter ce dimanche matin dès six heures trente, six croissants et six madeleines. Un chocolat chaud attendait Charlène dans la cuisine. Si Arlette n'avait concédé qu'une robe de chambre sur sa nuisette ras-le-bonbon Charles était habillé avec style, pantalon bleu marine et chemise bleue col officier. Décidément elle lui plaisait cette jeune femme. Il sentait l'after-shave discret.
Charles Villepou conduisit Charlène Fleury à la gare d'Orléans où elle prenait le tgv de dix heures. Il l'observa lorsqu'elle prit son billet au guichet. Elle avait un profil gracile et le style filiforme des gravures de mode du magazine " l'Illustration " des années trente.
Avant de monter dans son compartiment elle lui tendit la main, il faillit, il eût souhaité l'embrasser, elle était touchante dans sa droiture avec son visage fatigué, pâle, aux grands cernes bistres. Quand le train s'ébranla il lui fit un signe, elle lui fit un signe.
Charles Villepou était toujours prêt à tomber amoureux même à cinquante-huit ans, même marié, même fidèle, même à son âge et même s'il savait que s'il pouvait potentiellement encore aimer il avait le devoir de ne plus aimer sachant en outre encore qu'il ne pouvait plus être aimé.
Pourtant il se plaisait souvent à nourrir des idylles dès qu'il accrochait un regard ou qu'un regard l'accrochait, ce qui malgré tout arrivait encore. Il faut toujours rêver. Charlène s'endormit dans le train. Ce fut le passager d'à côté qui lui mit la main sur l'épaule pour lui signifier que le train était arrivé à la gare Montparnasse.
*
A Paris, Sébastien regarde la pluie tomber, le téléphone sonne, c'est sa mère. " Tu aurais pu nous dire que tu avais une petite amie à Paris." Sébastien se redresse: " Quoi ! quelle petite amie ! c'est quoi ce buzz ! " mais il a compris. " Le buzz, Sébastien, c'est que, c'est qu'une fille qui se dit ton amie, a passé la nuit dans le lit de la chambre d'ami."
Il y eut un silence et Sébastien reprit : " Je ne lui ai jamais donné mon adresse ! " Et ces chèques qu'il lui remettait à la caisse... " C'est bon !" soupira t-il. Elle était donc chez vous alors que je la cherchais chez elle, mais ce n'est qu'une amie." " Une amie, mais qui a pris le train pour venir te voir, qui aura fait un aller-retour de huit-cents kilomètres en vingt quatre heures! " renchérit Arlette Villepou. " Vous lui avez parlé de Jessie ? " Non mais elle nous a dit qu'elle n'était que ton amie et qu'elle savait que tu étais fiancé.” " Elle a pris le train de quelle heure ? ... " de dix-heures, dix-heures ! " . - Il est onze heures, elle va arriver d'ici une bonne heure. Il raccrocha.
Sébastien Villepou se demanda s'il devait aller attendre Charlène à la gare, qui avait quand même fait ce long et stérile aller-retour pour lui. Sans doute lui devait-il bien ça, que lui dirait-il, comme l'autre jour ? : " Charlène tu n'es que ma grande amie " ? et comme l'autre jour elle le quitterait en le priant de n'y plus revenir et de la laisser tranquille …. Pourquoi faire simple quand on pouvait faire compliqué.
C'était pourtant bien lui Sébastien Villepou qui était allé à Monoprix d'une certaine manière la harceler à sa caisse, elle avait du chien cette fille elle ne méritait pas que l'on se moquât d'elle. Elle n'avait rien demandé. Mais c'était aussi bien elle qui venait de faire ce périple fou Paris-Nantes-Paris.
*
Sébastien attendait Charlène sur le quai de la gare Montparnasse. Elle ne parut pas surprise. Il alla vers elle, il ouvrit ses bras, elle s'y logea doucement, il les referma. Il avait ses lèvres sur ses cheveux. Lorsqu'ils s'ébrouèrent, le quai était désert, tu veux que je te raccompagne lui dit-il, quel week-end de ouf, fit-elle, et dire que je ne suis que ta grande amie, et que je t'avais dit de me laisser tranquille, soupira t-elle, mais là je n'en peux plus, je suis lessivée. Il se tut.
Dans le métro il lui dit alors tu as vu mes vieux, ce n'est pas la gloire. Il m'ont eu sur le tard. Sur le même mode elle lui répondit les yeux dans le vague : “ C'est peut-être mieux que d'avoir des parents adoptifs et que d'être à la recherche de ses parents biologiques ".
Il la regarda. Tiens !
- Tu veux que l'on se fasse un resto.
- Non merci je suis vannée, je ne veux voir personne, mais viens chez moi, achetons une pizza... Après qu'elle eût tourné la clef dans sa porte, la porte du palier d'en face s'ouvrit et l'éclat de la denture d'Omar Moussa parut. “ Bonsoir les colibris je vous laisse, cool ! mais vous savez ce que dit Dechavannes: " Sortez couverts . " et il éclata de rire. Il vint vers Charlène l'embrassa sur la bouche, serra la main de Sébastien, Salut mec ! alors tu l'as retrouvée ta belle. Et il retourna chez lui.
C'était bizarrement chez Charlène comme chez chez Jessie, le même principe de grenier transformé en loft, une pièce toute en longueur, avec une entrée qui ouvrait directement sur le séjour et qui se prolongeait par un espace chambre, l'ensemble éclairé par l'alignement de trois velux. Charlène et Sébastien mâchèrent longuement leur pizza. Après un thé pour elle, un café pour lui, Charlène proposa à Sébastien d'aller se reposer sur son lit, elle lui prit la main, ils s'allongèrent, l'un contre l'autre, et s'endormirent.
C'est Charlène qui vers dix-huit-heures réveilla Sébastien. Cette détente improvisée leur avait fait du bien, un doux apaisement les nimbait. Ils décidèrent d'un dîner rapide ensemble avant de se quitter. Ce furent une boîte de sardines et des chips.
- Et Jessie ? fit Charlène.
- Oui Jessie … Jessie je lui ai redit qu'il me fallait faire ce break, oui je sais je le dis à tout le monde je ne dois pas être bien, elle m'a viré vendredi soir, hier matin je lui ai apporté des croissants, elle ne m'a pas ouvert la porte, elle a flanqué mes affaires dans des sacs poubelles que je suis allé chercher dans le local ad-hoc.
Alors hier matin j'ai déménagé mes affaires de son studio chez mes parents, puis j'ai tout plaqué et hier après midi j'ai pris le train et suis venu frapper à ta porte. Mais mes parents que t'ont-ils dit ?
Charlène éprouve un grand soulagement.
- Je leur ai dit que j'étais un amie, que je savais que tu étais fiancé, que j'avais été ridicule d'entreprendre cet aller-retour.
Sébastien s'arracha, se leva, je vais y aller Charlène, je veux te laisser ta soirée afin que tu récupères encore mieux, merci pour tout ce que tu as fait, tu n'as pas été ridicule, tu sais c'était bon cet après midi, notre assoupissement l'un près de l'autre, tu vois je rêve, la vie, une vie ensemble ainsi sans éclats, sans paroles, tout en approches et effleurements tendres, chacun vivant dans le regard de l'autre, dans l'étreinte de nos mains, dans le serrement de nos doigts mêlés ...
- Tu es un poète Sébastien, mais nous savons que ces mots ce n'est pas la vie, il y a des clous, des échardes, et des planches défoncées, mais rêvons Sébastien rêvons...
Des larmes-perles lumineuses coulent des yeux de Charlène. Ils s'étreignent très longuement, très étroitement, ah oui rêvons pensait Sébastien, si la vie pouvait n'être que cette étreinte si candidement profonde.. Ils se déprirent. Chacun embrassa l'autre sur la joue. Ils ne se dirent aucun autre mot.
Charlène attendit que Sébastien eût disparu dans l'escalier et referma doucement la porte.
En marchant une phrase revint troubler Sébastien Villepou : " C'est peut-être mieux que d'avoir des parents adoptifs et que d'être à la recherche de ses parents biologiques " avait dit Charlène dans un souffle.
Charlène ! ….
µµµ
27O42013
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A Suivre
Les tourments de Charlène.
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