Jeux de mains...

lyselotte



Je veux bien, mes poignets liés aux pieds de cette table basse, mon dos vers vous, Monsieur, mes cheveux déliés, à genoux, les bras un peu écartés mais pas trop (elle est étroite... la table). Je me prosterne, mais ne suis pas soumise. Mon souffle est rauque, ma nuque raide, mes mains blanches d'être crispées. 
Je veux bien jouer, mais ce jeu me perturbe. 
Je vous sens dans mon dos, vous respirez fort, j'entends le petit claquement que la cravache fait dans la paume de votre main.
Vos mains, comme je les trouvais belles. Des doigts de pianiste, longs et vigoureux, des ongles carrés légèrement nacrés, polis certainement. J'ai apprécié leur douceur quand vous m'avez ôté mes falbalas. La guêpière que vous avez délacée gît sur la moquette épaisse où je suis prostrée, cocon vidé de sa substance. 
Je n'ai plus que mes cheveux pour vêtement, mes cheveux et mes escarpins aux talons infiniment longs. Mes bas que vous m'avez enlevés... deux mues de mamba sur l'accoudoir du fauteuil d'osier sur lequel vous m'aviez faite asseoir. 
Seigneur que je regrette. Ma fierté m'a poussé à accepter ce jeu-là mais je regrette. Pourtant je ne dirai rien, non, rien. 
Une douceur de plume se pose sur mes reins et je sursaute et me crispe. 
Une autre sur mon épaule. Votre main... 
- Lyse, voulez-vous ? 
Votre bouche près de mon oreille. J'ai eu peur. Ma peau se hérisse, picotis...
Votre genou contre ma hanche. 
- Lyse, voulez-vous ? 
Je tourne mon visage vers vous. 
Je dois être pâle, vos yeux s'écarquillent. 
Vous vous relevez brusquement, et penché de nouveau, vous dénouez mes poignets. 
- Pardon Lyse, pardon, murmurez-vous en me prenant dans vos bras. Vos doigts sont chauds dans mon dos, votre corps dur contre le mien. 
- Pardon Lyse, implorez-vous encore en écartant les cheveux de mon visage. 
Je m'amollis peu à peu... La tension quitte mon ventre et mes épaules s'abaissent un peu. J'ai eu si peur. 
Mon front blotti contre votre torse, j'entends les battements désordonnés de votre cœur. 
Ainsi donc vous êtes vraiment chamboulé ?! 
Vos mains remontent vers ma nuque, frôlant ma colonne vertébrale si sensible aux caresses. Je me cambre, mes seins plaqués à vous.

Vous vous... VOUS, Monsieur. 
Vous que je rencontre pour la première fois, Vous dont le regard hypnotique m'a doucement forcé à accepter ce jeu. 
Vous qui m'avez dévêtue sans préambule, sans prémices dès ma venue dans cette chambre, close. 
Volets fermés, lourdes tentures de velours cramoisi suspendues à des tringles ouvragées à leurs extrémités, lit à baldaquin aux draps satinés. Un fauteuil en osier déploie sa roue ajourée au milieu d'un somptueux tapis d'orient sur lequel s'affrontent fées et satyres. Des bougies, un peu partout, dispensent cette lumière tremblante que j'affectionne. Nous en avions parlé une fois, lors de nos échanges épistolaires, de la lumière mordorée des chandelles qui déploie, en se consumant, cette clarté dorée et fragile que j'adore. Vous n'avez pas oublié. 
J'ai regardé pendant que vous œuvriez à me dépouiller de mes appâts avec des gestes de magicien préparant le clou de son spectacle. J'ai regardé la prison dorée où j'étais enfermée volontaire. J'ai regardé, pendant que, courbé vers mes jambes vous enrouliez mes bas en inutiles parures. J'ai songé, en observant votre nuque, vos cheveux coupés courts mais dont quelques mèches rebelles posaient sur votre cou ces accroche-cœurs qui me font tant craquer, j'ai songé que le jeu que vous me proposiez ne pouvait pas être cruel. Juste excitant. 
Quand je fus nue, ou presque, vous vous êtes reculé, pour me scruter. 
Mes bijoux furent enlevés en un rien de temps, mes cheveux que j'avais noué en chignon lâche furent détachés. Vous y fîtes glisser voluptueusement vos doigts et moi, le nez dans votre col de chemise, je vous respirais... 
Monsieur. 
- Lyse, voulez-vous ? avez-vous ensuite chuchoté contre ma bouche. 
Je n'ai fait qu'acquiescer, imperceptiblement. 
Votre bras offert en chevalier servant, vous m'avez conduite au fauteuil d'osier sur lequel je me suis assise. 
Vous m'avez admirée un long moment, immobile, l'index sous le nez, comme en pleine réflexion. 
Et vous vous êtes éloigné, avez sorti d'un coffret de bois clair posé sur un chevet, un ruban mordoré, long, si long... 
M'épinglant de vos yeux ténébreux, vous avez noué ce collet à mon poignet puis, doucement, d'une traction légère et encourageante, vous m'avez conduit jusqu'à cette table basse, si basse. 
- Mets-toi à genoux ! avez-vous ordonné. 
Mes yeux cherchant les vôtres. 
Il plaisante j'espère ! 
- Mets-toi à genoux ! cette fois appuyé par une brusque traction sur le licol qui me menotte. 
Et je le fais. 
Extrasystoles... Peur, peine, désarroi. Jouer, c'est pas ça !
Mais je ne dis rien. Je me laisse tomber, martyre dans l'attente de la morsure du fauve. 
- Penche-toi, courbe-toi... 
Et je le fais. La panique m'a pris dans son étau de fer et je fais ce qu'il me dit. J'essaye de respirer normalement, je prends de longues inspirations, me mords la lèvre. C'est pas possible ! Il va voir que ... c'est pas possible !

Mais lui, à quatre pattes à présent, noue une extrémité de la corde à un pied de la table et, toujours à quatre pattes, en fait le tour et noue l'autre à l'autre pied. J'ai le temps de sourire au ridicule de son déplacement avant que la panique ne me reprenne. Alors j'attends. 
Ses pieds à hauteur de ma tête, puis son genou, puis la fine lanière d'une cravache qu'il passe sur mon menton, sous mes cheveux pour en soulever la lourdeur et dévoiler ma nuque. 
Il va me frapper !! il va me battre. 
- Lyse voulez-vous ? Lyse voulez-vous ?

  • Quel texte, romantique en diable ! ...et pourtant la peur s'insinue...
    Bravo Lyse, j'ai adoré cette pensée que j'ai lue d'un trait !

    · Il y a environ 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

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