John Malkovich n'est pas Dieu

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Voici les premières pages de mon premier roman, disponible sur http://www.leseditionsdunet.com/roman/1839-john-malkovich-n-est-pas-dieu-claire-larquemain-9782312016870.html

 -          Qu’attends-tu donc pour te trouver quelqu’un ?

Aude avait lancé cette question à Norah sans conviction, un samedi après-midi devant leur traditionnel verre de Perrier citron. Le beau temps était de la partie en cette journée d’avril, il fallait en profiter. Les occasions étaient bien trop rares pour flâner dans l’insouciance d’un rayon de soleil gratuit. Lorsqu’au sortir de l’hiver, enfin les nuages se montraient cléments, les deux amies reprenaient alors l’habitude de se retrouver, à la terrasse du même café, pour siroter un verre et parler entre filles.  C’était pour elles, le petit break de la semaine, leur bouffée d’oxygène dans leur vie bien remplie, rythmée par le travail et la course interminable du quotidien. Comme à chaque fois qu’Aude interrogeait Norah sur son sujet préféré, cette dernière levait alors ses yeux bleus au ciel et prenait quelques secondes avant de lui répondre par une pirouette. Mais ce jour-là, Norah avait regardé Aude bien en face et sans trembler lui avait rétorqué :

-          Je suis très bien toute seule Choupette, et crois-moi, je souhaite le rester toute ma vie. Vraiment.

Elle avait déclaré ça avec tant d’assurance et de sérieux qu’Aude soudain se sentit mal à l’aise et décontenancée. Son amie ne semblait vraiment pas plaisanter.

-          Qu’est-ce que tu racontes No ? Rester seule toute ta vie ? Personne ne reste seul toute sa vie voyons !

-          Si. Moi. C’est décidé.

-          Mais pourquoi tu dis ça ? Explique, tu me fais marcher ?

-          Ecoute Choupette, c’est comme ça. Il n’y a pas à discuter.

-          Tu me dis ça pour ne plus que je cherche à te caser ! C’est ça ? Ecoute si je t’ai inscrite sur Meetic, c’était pour rigoler ! De toute façon une fille comme toi a tous les hommes qu’elle souhaite à ses pieds !

-          Tu ne comprends pas. Ca ne m’intéresse pas.

-          De quoi ?

-          Vivre avec quelqu’un.

Aude commençait à taper nerveusement du talon sous la table. En effet, elle ne comprenait pas sa meilleure amie. Le soleil lui avait-il tapé sur la tête ? Aude ôta ses lunettes de soleil, les posa sur la table et s’empara de son sac à main en skaï, couleur Camel. Sans un mot, elle actionna le fermoir clic-clac en métal doré, puis se mit à farfouiller à l’intérieur, avant de trouver un paquet écrasé de cigarettes mentholées. Elle sorti une cigarette légèrement tordue, la redressa en faisant glisser la pulpe de deux doigts le long du tube et posa sur la table une minuscule boîte d’allumettes. Elle gratta sèchement une des têtes rouge et alluma les premiers brins de tabac. 

-          Ce n’est pas vrai ! Ne me dis pas que tu as repris !

-          Là tu ne me donnes pas d’autre solution No.

Aude ne se séparait en réalité que très rarement de ce paquet de cigarettes, qu’elle ne brandissait qu’en cas d’urgence. Elle l’avait acheté il y a des mois de ça et celui-ci était encore presque entier.

-          Mais pourquoi faudrait-il forcément que je me trouve un mec et que je fasse ma vie avec lui ? Et si je suis heureuse toute seule ? demanda Norah

-          C’est comme ça, c’est la vie. On s’aime, on se case, on se marie et on fait des gosses. Pourquoi tu échapperais à la règle ? Merde ! Tu es belle comme un cœur, tu rendrais heureux n’importe quel homme ! Et tu n’as pas envie d’avoir comme moi des enfants ?

-          Bof.

-          Tu es désespérante.

Aude et Norah se connaissaient depuis trois ans seulement et avaient 26 et 27 ans. Très différentes l’une de l’autre, elles avaient fait connaissance en transpirant sur des vélos elliptiques dans la même salle de sport.  Elles étaient devenues très vite de grandes amies et confidentes. Petite, blonde et pulpeuse, Aude était mariée et jeune maman. Souvent les gens s’en étonnaient car elle paraissait particulièrement jeune. On lui aurait en effet donné à peine 20 ans. Aussi quand ceux qui ne la connaissaient pas apprenaient qu’elle était mariée et mère de famille, ils avaient beaucoup de mal à la croire. Beaucoup d’hommes l’imaginaient encore sur le marché comme on dit, et ne pouvaient que se résigner. Elle avait ce charme des blondinettes un peu mutines et apprêtées. Son look, aux antipodes des standards Camaïeu et autre Promod, attirait toujours l’attention. Elle semblait sortir un peu d’une autre époque. Elle s’habillait toujours d’anciens vêtements chinés dans les friperies et, affublée de ces vieilleries, elle leur offrait une digne seconde vie. Elle combinait avec goût de grands châles noirs et frangés sur des vestes aux épaules carrées des années 80, et complétait cette étrange harmonie avec une pochette verte bouteille en écailles de crocodile et des bottines à talons, au cuir patiné et ridé. Mais l’apparence d’Aude n’était qu’une pâle vitrine de ce qu’elle était vraiment. Car elle cultivait cette nostalgie des objets dans tout son quotidien.  Elle passait son temps libre à récupérer toutes sortes d’anciennetés auxquelles elle trouvait un recyclage délicat et unique. Tout son appartement était décoré d’objets mis au placard par d’autres.  Ils étaient détournés par Aude et réappropriés dans un tout autre usage avec intelligence et recherche. Ainsi, le simple sucrier argenté servait désormais à ranger le coton dans sa salle de bain.  De vieux gros draps brodés hérités de sa grand-mère devenaient rideaux et se déployaient autour des fenêtres dans des plis vertigineux et originaux. Les bouteilles de son minibar trônaient dans de vieux casiers en bois au milieu d’un salon composé d’un sofa de cuir bleu canard et de fauteuils crapaud au velours jauni.  Brel et Brassens se disputaient la parole dans le crépitement d’un vieux tourne-disque. Entrer dans l’univers d’Aude c’était presque comme pousser la porte d’un bar clandestin parisien des années 40 pour écouter sur les ondes de la BBC, des notes de jazz-swing américains… Oui découvrir le monde d’Aude, c’était comme retrouver le tout premier goût des fraises, le redécouvrir comme à la première bouchée tout en connaissant déjà le plaisir que procure ce fruit. Tout dans son intérieur comme dans son apparence transpirait la créativité. Chaque pièce de son appartement aurait pu figurer en photo dans un magazine de décoration. Le formica était roi dans sa cuisine et se déclinait dans tous les meubles. Oui Aude ne semblait pas vivre dans la bonne époque et détonnait un peu parmi les gens de son âge. Amatrice d’art et  de littérature, elle travaillait à temps partiel dans une galerie où se succédaient de riches expositions.  Elle lisait des recueils de poésie, affichait les poèmes dans ses toilettes et écoutait ses vieux vinyles, couchée dans les bras de Tom le soir.

Norah elle, était très différente. Très brune, elle était svelte et gracieuse. Les gens qui croisaient son chemin, se retournaient aussi sur son passage, mais pour de toutes autres raisons. Ils étaient bien souvent impressionnés par l’éclat et la légèreté qui émanaient de Norah. Elle était d’une rare beauté, d’une beauté simple et naturelle qui est propre aux jeunes femmes qui ignorent justement qu’elles sont jolies. Non adepte des salons de coiffure épurés où l’on demande trois fois au client pendant le shampoing si « la température de l’eau convient toujours », elle préférait demander à sa mère de lui couper les pointes. Elle se rasait les jambes sous la douche au lieu de perdre son temps en institut. Elle ne comprenait pas ces femmes qui ne pouvaient se mettre en jupe ou aller la piscine si elles n’étaient pas épilées. En fait, tous ces tracas que les femmes se rajoutent seules, la faisaient beaucoup rire.

Aude avait toujours connu Norah célibataire et pourtant celle-ci plaisait beaucoup aux hommes. Elle méritait vraiment de se trouver quelqu’un de bien et d’être heureuse. Mais visiblement, Norah ne l’entendait pas de cette oreille. Quelle mouche l’avait encore piquée ? D’un caractère très affirmé, il n’était pas rare qu’elle impose à tous ses principes comme des vérités inébranlables. Bien malheureux étaient ceux qui n’étaient pas d’accord avec ses affirmations. Aude savait qu’elle ne pourrait rien dans l’immédiat contre la décision de son amie. Elle allait simplement attendre que cette nouvelle lubie lui passe. Vivre seule toute sa vie ? Quelle connerie !

-          Je vous sers autre chose ? demanda un serveur

-          Oui. La même chose s’il vous plaît, répondit Aude

Le serveur s’éloigna puis s’arrêta à une autre table. Il empoigna une des deux chaises qui trônaient-là et l’emporta à l’intérieur du café. Il jeta un coup d’œil à Norah à travers la vitrine et fit un signe de la main au jeune homme qui arrêtait son fauteuil roulant à la place laissée vacante par la chaise disparue. Derrière le comptoir, le serveur sortit du réfrigérateur deux bouteilles de Perrier et fit tomber deux rondelles de citron dans deux verres. Il ajouta ensuite sur son plateau un expresso et quitta le bar promptement. Il posa alors le café sur une table et partant déjà vers celle des deux amies, lança dans un sourire aimable : Café ! Comme d’habitude !

Norah et Aude remercièrent en cœur le serveur, puis se regardèrent amusées d’avoir ainsi parlé en même temps. Le jeune homme souriait avec insistance en regardant Norah. Un ange passait.

-          Oh excusez-moi, vous attendez qu’on vous paye ! lança Norah

La jeune femme glissa la main sans son sac à main, en sortit un portefeuille de cuir blanc et saisit entre deux doigts un billet de vingt euros.

-          Ah non No ! Tu ne vas pas encore m’inviter, à chaque…

-          Tu paieras ta tournée la prochaine fois Choupette ! Tenez.

Le serveur prit l’argent et attarda sa main dans la paume de Norah en lui rendant la monnaie. Il continuait à sourire bêtement puis tourna les talons, en la remerciant.

-          Mais regardes-ça No ! Tu te passerais de ce genre de petit cul toute ta vie ?

-          Aude !

-          Et ne me dis pas que tu n’as pas remarqué son petit manège. Chaque fois qu’on vient, il te dévore des yeux !

-          Tu devrais me connaître mieux que ça : lorsque je dis quelque chose, je ne reviens jamais dessus. JA-MAIS.

-          Soit.

Aude, comme à son habitude commençait à bouder. Il était simple de remarquer lorsque la jeune femme était contrariée. Elle, si bavarde et loquace, ne pipait alors plus mot et gardait sur son visage une coutumière petite moue enfantine. Norah trouvait cela mignon et réussissait bien souvent à décrocher un sourire à Aude en la taquinant. Elle prit alors la parole.

-          Et puis quoi Choupette ? Je réussirai à obtenir le numéro de ce serveur sans aucune difficulté et on commencerait à sortir ensemble. D’abord un café, puis un cinéma et il m’emmènerait au restaurant. Original. Un soir il me ramènerait chez moi, dans sa voiture et me laissant devant ma porte, il passerait un bras autour de mon cou en me faisant la bise.

-          Oui ! s’exaltait Aude

-          Sans doute, il se risquerait à égarer un baiser de trop et il m’avouerait combien je lui plais. Je lui répondrais par un simple sourire, car je serai flattée d’entendre ça.

-          Quel bonheur ! Tu m’étonnes !

-          Et après je te passe les détails ! Amour, passion, emménagement jusqu’au jour où il me trouvera bien fade et où il se lassera de mes charmes pour baver devant d’autres jeunes filles à la terrasse de son café.

-          Mais…

-          Où peut-être serait-ce moi qui trouverai bien vite ce preux chevalier bien terne et finalement tout aussi banal que les autres !

-          N’importe quoi !

-          Dans l’histoire, un de nous sera soit blasé, soit malheureux.

-          Tu es d’un pessimisme !

-          Non Choupette. Réaliste. Je suis fatiguée de tout ça. J’en ai fait le tour.

-          Mais il y a aussi des histoires d’amour qui valent le coup d’être vécues, No ! Des passions qui poussent les cœurs à repousser leurs limites ! Tu ne crois pas ?

-          Je laisse ces contes de fée aux autres, si ça leur fait plaisir d’y croire.

-          Tu es désespérante !

-          Et toi naïve Aude ! Tu crois vraiment que tu passeras toute ta vie avec Tom ?

-          Bien sûr ! Tom est l’homme de ma vie !

-          Parce qu’on n’a qu’un amour dans toute une vie?

-          Je crois en l’âme sœur et j’ai trouvé la mienne, No.

Légèrement irritée, Aude finit brusquement son verre de Perrier et le reposa sèchement sur la table. Norah regretta aussitôt d’avoir été aussi dure avec son amie. Mais elle l’avait aussi un peu cherché. Elle avait beau adorer Aude, elle ne la croyait pas lorsque celle-ci prétendait que Tom était l’homme de sa vie. Pour elle, le mythe de l’âme sœur était classé au même rang que l’existence de Jésus ou celle du Père Noël. Elle n’avait foi qu’en une seule chose. Son existence. Et c’était bien assez difficile comme ça de s’en sortir. Au moins, si elle était un jour déçue par elle-même, elle ne pourrait s’en prendre à personne d’autre. Oui elle ne voulait plus que quelqu’un la déçoive.

-          Allez ! On fait la paix Choupette ?

Aude ne répondit pas. Elle boudait. Norah posa alors sa main doucement sur le bras de son amie et fit courir ses doigts jusqu’à son menton. Les chatouilles poussèrent Aude à se tortiller sur sa chaise et à lâcher un adorable rire. Norah se leva, prit le visage de son amie entre ses mains et l’embrassa sur la joue tendrement. Celle-ci se leva à son tour, et toutes deux partirent à pieds, bras dessus, bras dessous.

  • Comment ça john Malkovich n'est pas Dieu!c'est un dieu a lui tout seul :)
    ça donne envie de lire la suite...
    je suis curieuse de savoir pourquoi Norah est si catégorique et de connaitre l’évolution des personnages ! A lire autour d'une bonne tasse de café, what else ?!

    · Il y a environ 11 ans ·
    Suicideblonde dita von teese l 1 195

    Sweety

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