Journal (2)

ernestin-frenelius

Voilà la suite

Le 1er décembre 2013 à minuit quarante quatre, j'ai écrit : Ce soir, je suis allé voir Le malade imaginaire. J'avais envie d'aller la voir cette pièce. Mais j'y suis aussi allé parce que ce serait l'occasion de voir Charles et de me confronter à lui et à cette fameuse rumeur selon laquelle je drogue les filles à leur insu ; je verse insidieusement du GHB dans leur verre. Mais je voulais aller la voir cette pièce de théâtre, je voulais la voir pour voir ce qu'ils valaient les comédiens de la troupe de monsieur Bachelier et Charles aussi j'avais envie de savoir comment ils jouaient. Et ce serait l'occasion de lui demander de me confirmer qu'il était un de ceux qui propageaient cette rumeur qui était arrivé à l'oreille d'un de mes collègues, qui à grand mal m'en avait parlé, avait osé me demander si je savais ce que dans certains milieux on racontait à mon propos.

Charles était bon comédien. Il était un bon Sganarelle, Vif, alerte, tout en énergie et en ressort, très bonne technique. j'ai été à la dernière représentation, sans doute par égard pour le théâtre et pour le comédien. Par coïncidence, François, le collègue qui m'avait fait part avoir ouï la rumeur était aussi au spectacle et, durant l'entracte, il m'avait présenté une amie à lui qui me connaissait et qui connaissait Charles. Je me rappelais d'elle, mais je ne me rappelais ni où ni quand j'avais pu la connaître et j'étais loin de me douter qu'elle me connaissait, mais ça ne m'avait pas déplu. Je lui avais demandé si elle avait ouï la rumeur que Charles propageait à mon propos. Je lui l'avais dite, mais je m'étais demandé si elle ne feignait pas de ne pas savoir, juste pour pouvoir l'entendre dite de ma propre bouche et comment ça sonnerait et sentiments résonneraient en moi. Elle ne savait pas ce qu'il en était de moi et de cette soi-disant rumeur mais sans ambages ni incite elle m'avait livré ce qu'elle pensait de Charles : « C'est un fou furieux, mauvais et violent qui a sans raison cassé la gueule à l'un de mes amis sans doute juste parce qu'elle ne lui revenait pas, sa gueule. S'il t'as pris en grippe, il est capable de tous les coups les plus tordu et les néfastes. »

Ça m'avait fait du bien ce qu'elle m'avait dit, ça m'avait même conforté et légitimé dans ce que je faisais et même dans ce que j'étais. Je vois pas comment dire autrement. Une des rares fois où j'avais été en présence de Charles, des mois ou une année avant – peut-être plus mais il faudrait que je compulse mes cahiers pour m'en assurer – c'était dans un bar, avec d'autres gens de théâtre, tard le soir, à un moment avancé de la soirée, il m'avait soudainement menacé de m'éclater la gueule si je me barrais pas dans les deux secondes qui suivaient. J'avais pas attendu si longtemps pour lui éructer à la face, les yeux plantés dans les siens : « Tu sais quoi mec !?... Tu vas te faire foutre !! » avec un sourire joyeux et bienveillant et des yeux rieurs presque humide pour que ça le rende bien fou et en éclatant bien de rire à la fin de ma réplique. Il m'avait alpagué au colbac et retenue un petit moment. Il fait plus d'une tête de plus que la mienne Charles, et sa tête elle surplombait maintenant la mienne, il l'avait penché en avant parce que je moi j'avais renversée la mienne en arrière pour pouvoir bien garder mes yeux dans les siens. Je me rappelle pas ce que j'y ai vu ou si j'avais cherché à y voir quoi que ce soit. Et il n'avait pas osé, il m'avait lâché et d'autres gens qui étaient avec nous s'étaient interposés et nous avait précautionneusement séparé.

Depuis ce soir là, les quelquefois que j'ai eu l'occasion de lui adresser la parole – à cette époque là je ne savais pas encore qu'il propageait la rumeur – à chaque fois que j'ai daigné le saluer et lui proposer de discuter, il a refusé ma main tendue et m'a dit : « Je refuse de parler à des personnes comme toi » puis il s'était détourné ou avait fuit quelques pas plus loin et, lorsque j'avais insisté, il avait continué à tranquillement se débiner de cette manière là. Je n'ai jamais eu à cœur de continuer le manège bien longtemps. Mais depuis je sais qu'il propage la nouvelle Mon vieux pote Steph me l'a raconté quelque mois après. Il m'avait dit : « Alex, même si on se voit plus très souvent, je te connais depuis l'époque du collège et je crois assez bien te connaître pour être persuadé que t'es pas capable de faire de ça, mais j'aimerais quand même t'entendre me dire que ce n'est pas vrai. »

J'ai abordé Charles après la représentation. Il avait délaissé sa dégaine de malade imaginaire pour reprendre celle de cowboy misanthrope ; il était en train de fumer seul devant le théâtre. J'avais longtemps ressassé ce que j'allais lui dire, je savais que je n'aurais qu'une seule réplique : « Charles, je sais que tu propages une rumeur à mon égard, rumeur calomnieuse et infamante, selon laquelle je drogue les filles à leur insu ; je verse insidieusement du GHB dans leur verre. Je ne vais pas te demander de me le confirmer. Par contre, je ne sais pas si tu es l'instigateur de cette rumeur. Es-tu seulement prêt à répondre à cette question et à l'assumer si c'est le cas ? » Je ne sais même pas s'il m'a craché sa bouffée de cigarette au visage avant ou après m'avoir dit qu'il ne parlait pas aux types comme moi, puis il s'était détourné allé fumé plus loin.

Après je suis retourné au bar, Mathilde, une des comédienne y était, elle avait vraiment l'air très jeune, presque mineure, elle servait à boire. Je lui ai dit ce que je venais de dire à Charles, comment il avait réagit et j'avais ajouté que je savais qu'elle aussi racontait cette rumeur - elle l'avait raconté à François – peut-être parce que Charles lui l'avait raconté. Elle m'avait écouté, n'avait pas réagit, n'avait rien voulu laisser paraître. Je ne lui avais rien demandé, elle n'avait pas à répondre. Je ne voulais pas menacer de porter plainte pour diffamation. Je lui avais commandé un autre verre, elle m'avait tranquillement servi. C'était bien, parce que je crois bien que pas mal de gens autour de nous au bar avait écouté ce que j'avais dit, c'était ce que je voulais, je m'y étais bien pris.

Juste après, un jeune comédien que je connais un peu depuis mon bref passage au conservatoire il y un an, est arrivé au bar et j'ai discuté avec lui. Il n'était pas au courant de la rumeur à mon propos et, quand je la lui ai racontée, il a piqué un petit fou rire, comme ça, juste pour lui et ça m'a inquiété mais il s'est vite excusé, c'était parce que c'était tellement gros ce que je lui avais dit et le fait que c'était Charles qui racontait ça. Après, on a parlé d'autre chose et de théâtre et j'ai cru comprendre qu'il ne se sent pas bien dans la troupe de monsieur Bachelier. Moi je le ai dit que je ne suis pas complètement satisfait de ce que j'ai la chance de faire.

Avant la représentation J'ai bu trois ou quatre bière, puis deux à l'entracte et encore trois ou quatre après. Le stress est retombé, j'ai à peu près accompli ce que je voulais accomplir et dans le bus qui me ramène chez moi, j'ai commencé à gratter tout ça. Arrivé chez moi, chez ma mère, elle ne dormait pas et je me suis dit que c'était le moment de lui en parler. Un peu comme le jeune comédien avant, quand je lui ai dit la rumeur, elle a piqué un petit fou rire, et là aussi j'ai brièvement été inquiet. Je trouve ça bizarre que ça les fasse rire un peu de la même manière ma mère et ce comédien que je connais à peine. Quand j'avais appris la rumeur un copain m'avait dit que je n'avais pas à m'en faire parce qu'il y a dans notre ville suffisamment de personne qui me connaissent suffisamment pour savoir que je suis incapable de faire ça. Maintenant que je termine de gratter ces lignes dans mon cahier ça va mieux. Les derniers jours ça n'allait pas à cause de ça. En début de soirée j'étais très tendu et tendu vers ce que j'avais à faire. Ce n'était pas grand-chose mais je suis content de l'avoir fait et j'ai l'impression qu'il m'a fallut pas mal de courage pour le faire.

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