Juraciste park

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À Saint-Claude, on aime à tailler les pipes, la plus prisée étant celle qui possède une tige épaisse en bruyère poussant dans le bassin méditerranéen, dont on apprécie tant le tirage que la qualité d'absorption.

Quand Mamadou débarqua dans le bourg, il aurait pu se croire en terrain conquis. Fraîchement diplômé en médecine, il avait accepté de reprendre le cabinet du Docteur Mabouse. Ses parents avaient exercé dans une commune rurale de la Haute-Loire, connue pour avoir recueilli et protégé durant la guerre des enfants juifs. Il se réjouissait donc de retrouver cette ambiance, certes un peu rustre, mais solidaire. Il ne doutait pas qu'il en serait de même, dans la mesure où les hivers jurassiens sont réputés pour leur extrême fraîcheur. Dans ces conditions, on n'a guère le choix que de se serrer les coudes.

Il avait un vice, ma foi bien innocent : il était gourmand. Il salivait à l'idée de se régaler d'une potée franc-comtoise ou d'une saucisse de Morteau aux lentilles. C'est ainsi qu'à peine débarqué de la gare, il se précipita dans le premier restaurant qui annonçait de la cuisine locale. L'établissement ne payait pas de mine, ce qui ne le rebuta pas, bien au contraire. D'expérience, il savait que c'est dans ces gargotes que l'on pouvait être certain de retrouver la plus pure des traditions culinaires à laquelle il était très attaché. De plus, c'était l'opportunité de tâter le terrain de sa future clientèle et, pourquoi pas, de s'assurer les premiers rendez-vous.

Il ne se formalisa pas des visages qui se détournèrent dès qu'il y pénétra, suivi de chuchotements à peine perceptibles tant la télé beuglait. Il les connaissait sur le bout des doigts ces bougons. Dans le secret de son cabinet, il ne tarderait pas à recueillir les confidences médicales, amoureuses ou des fins de mois difficiles.

Une fois attablé, il dut patienter une bonne vingtaine de minutes avant que l'on vienne s'enquérir de ce qu'il désirait. Qu'importe, il avait la tête ailleurs, absorbé sur le site de l'IGN, se gourmandant de ses futures escapades autour du mont Bayard ou sur les crêtes du mont Chabot. Et, son arrivée avait certainement fait le tour de la sous-préfecture. Il comprenait qu'un toubib, ça puisse intimider. Dans moins de quinze jours, tout serait réglé, tant il était certain de son caractère ouvert et sympathique.

Le tutoiement de la serveuse le surprit un peu. Plus encore, alors qu'à la table voisine on terminait de se régaler d'une saucisse, on lui annonça qu'il n'y en avait plus. Il s'en étonna ; on lui rétorqua qu'un kebab se trouvait au bout de la rue mais qu'il restait du coucous de la veille. Un peu groggy, il accepta.

Aux informations du 13 heures, on annonça un nouveau massacre dans une communauté catholique au Mali par Boko Haram. Dans un même élan, tous les visages affalés au bar se tournèrent vers lui. De sa vie, jamais il ne reçut autant de quolibets. Celui qui devait être le chef du groupe l'invectiva, accompagné de rires gras. Il lui demanda s'il était venu avec sa machette et où se planquaient les autres bamboulas. Il déglutit, baissa la tête et se contenta de plonger ses lèvres dans l'eau de la carafe aux saveurs de chlore.

Il se dirigea vers les toilettes. À peine avait-il baissé sa braguette qu'il entendit la porte s'ouvrir. Il n'eut même pas le temps de se retourner que l'on saisit sa nuque pour lui claquer le visage sur le carrelage. S'ensuivit une main qui saisit son sexe et qui s'étonna qu'il ne fût pas plus imposant.

Il termina trente minutes plus tard sur le trottoir, le visage ensanglanté et le pantalon sur le chevilles. De l'écume sortait de sa bouche. Il appela sa mère, pleurant comme un gosse. Il gagna son hôtel et s'y cacha jusqu'au lendemain pour soigner son visage tuméfié et réfléchir à son avenir. Le lendemain, il prit la direction de Lons-le-Saunier avant de regagner Lyon puis Chambon-sur-Lignon. On lui fit une place quand il arriva dans le troquet. À défaut de voir comment on taille des pipes, il tailla la bavette avec ses braves gens du peuple de France.

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