Kétamine

Edgar Fabar

Sam est un incouchable. Il ne sait plus quand s'arrêter de faire la fête. Une nuit, il croise Kate, une fille un peu spéciale. Il décide de monter chez elle.

Cela fait cinq heures que Sam a monté les marches de l'Azimut en riant. L'Azimut, c'est l'étage d'un bar lambda de la capitale, du moins c'est comme ça que l'on le surnomme dans les milieux festifs. Karim,  le patron, n'a pourtant rien d'un clubber, mais il a eu du flair en s'associant avec deux DJs, qui ont amené dans son établissement une joyeuse faune électrophile. Bonne pioche, car ces nouveaux clients picolent tout autant qu'ils transpirent, c'est à dire des hectolitres jusqu'au petit matin. Et même s'ils sont loufoques, bruyants ou vraiment drogués, ils sont réglos pour la plupart, et souvent bien plus souriants que la moyenne des habitués de la nuit.

Sam dérive sur le dancefloor depuis un moment. Sous ses paupières, il projette des séries d'images saccadées, à peine légendées, interrompues parfois par des montées de sensations ou de pensées brutes : « j'ai chaud, faut que je sorte », « Ricardo a assuré », « elle bouge trop bien », « faut que je boive un truc », « ce son est dingue », « je peux fumer ici», « j'ai envie de toucher ses seins ». Et quand il prend de plein fouet une nouvelle décharge de dopamine, un frisson parcourt son épine dorsale. Mue par un réflexe du plaisir, sa nuque s'incline en arrière. Oh oui. Ricardo a assuré. Ricardo c'est le livreur de bonheur, en poudre ou en cachet ; en semaine ou en week-end. Le lâcher-prise augmente. Il visualise le son passer d'une personne à l'autre. En silence, la musique du créateur les traverse. Comme des croyants, ils ouvrent grand leurs bras pour communier et s'élever tous ensemble. Vivre l'apothéose d'un instant. C'est à la fois l'essence et la quintessence de la fête. Et quand le moment de grâce arrive pour Sam, il le reconnaît car il sent que le monde entier est enveloppé dans une couverture chaude.

Quand il rouvre les yeux, il y a Tess qui scintille. Elle a encore dégoté des lunettes incroyables. Elle n'est pas sans lui rappeler James Bond et ses gadgets, Tess et ses lunettes. Elle est cool et parfaite. Cette fois-ci, elle porte une tour Eiffel géante qui clignote entre ses deux yeux. Agent secret au service de sa majesté Nawak 1er. En dansant ce qui ressemble vu d'ici à un jerk ou à du air rodéo, elle manque de balafrer un grand type brun. Lorsqu'elle s'en aperçoit, elle se jette dans ses bras en signe de repentance. Bien entendu, il ne lui dit rien. Mais qui pourrait lui en vouloir ? Aucun être ici présent n'aurait envie d'engueuler un enfant. En tout cas pas Sam qui adore Tess et sa capacité à pousser la fête dans ses retranchements les plus drôles. Il vient la voir et lui propose un shooter. Car lui, il en veut un, deux, voire deux cents pour éteindre tous les cataclysmes qui se déchaînent en lui.

Tess murmure à son oreille un truc qu'il ne saisit pas. Ils avalent d'un trait le premier verre, puis, elle en commande quatre autres. Il a besoin de redescendre. Et de sourire légèrement moins se dit-il lorsqu'il se voit dans le miroir avec son faux-air de smiley. D'un coup d'œil circulaire, il réexamine les lieux. En fait, c'est comme s'il était parti plusieurs fois et qu'à chacun de ses retours, le lieu s'était transformé. Alors qu'en réalité, il a stationné près du bar et n'a arpenté qu'une zone de quelques mètres carrés, située entre le comptoir, les platines et le canapé où Jeff, son meilleur ami, discute avec une nana. Si le lieu est resté identique, il est difficile d'en dire autant de ses occupants, dont la mutation est désormais bien avancée. C'est parti du sol tout d'abord, quand leurs jambes ont commencé à réagir au son et à s'actionner comme des pistons. Puis, leur va-et-vient a produit l'électricité qui a fini par allumer des sourires aux quatre coins de l'Azimut.

A quelques mètres de lui, il y a cette fille en robe bleue. Elle le fascine. Il faut dire qu'elle conduit l'électricité mieux qu'aucune autre machine sur la piste. D'une précision folle, ses coups de reins répondent à toutes les incitations de la musique. Dans la nuit sonore, son corps brûle fort. Alors qu'il veut s'approcher d'elle, Jeff l'attrape par l'épaule et lui lance sans préliminaire :

-    naaaan mais est-ce que t'as vu Saïd ?
-    euh non, pas depuis un bon moment
-    non je te demande si tu l'as vu avec son costume de Spermator

Interloqué, Sam lève un sourcil :
-    non mais t'es sérieux là ?
-    mais ouaiiii, il a deux gros pistolets en forme de teub et il crache de la chantilly sur tout le monde
-    mais naaaan ! ce mec est un génie
-    c'est clair, mais bon, y a juste un petit truc pas cool , on dirait qu'il a une toute petite bite dans sa combi  moulante

Sam est à présent tout à fait revenu sur terre et il réagit :
-  ah ouai ? moi j'ai entendu dire qu'il avait une teub énorme.
-    ah bon ? bein c'est peut-être un grower ?
-    un gros quoi ?
-    un grower, une bite grower quoi
Face à l'absence de réaction de Sam, Jeff se met à professer :
-    le monde de la bite se divise en deux catégories : ceux qui ont une bite shower et ceux qui ont une bite grower, et lui, il doit avoir une grower

Sam est amusé :
-   et c'est quoi la différence entre les grower et les lower ?
-   nan c'est pas lower, c'est shower : c'est quand t'as la bite qui change pas : que tu bandes ou tu bandes pas, c'est pareil, c'est la même taille
-    ok d'accord, genre la bite au naturel quoi
-    ouai genre la bite qui fait le moine comme on dit dans le milieu de la bite

Sam reste sans voix pendant dix secondes avant d'ajouter :
-    ok d'accord, et les grower c'est quoi alors ? petite au démarrage et grosse à l'arrivée ?
-    naaaan, ça dépend des mecs en fait, mais bon comme on dit dans le milieu, tu feras jamais d'un asticot un anaconda
-    mais… mais c'est qu'on est super drôle dans le milieu de la teub en fait

Il rit encore un peu avant d'enchainer :
-    en fait, tu sais quoi mon Jeff ? tu devrais écrire un « Que sais-je » sur la bite
Le visage de Jeff s'illumine :
-   mais ouai ! c'est une super idée ça : je vais être le Monsieur Bite des soirées…
-     mouai, avec les meufs je suis pas sûr que…
-    attends tu rigoles ou quoi, y a un potentiel de fou… non mais attends, imagine un peu … bonsoir mademoiselle… quoi ? ce que je fais dans la vie ? et bien… pour tout vous dire : je suis bitologue et sans fausse-modestie, je suis le plus grand spécialiste français… parfois on m'appelle même le commandant Cousteau du pénis… non, ça ne vous dit rien ? Attendez, j'ai aussi créer un parti politique, « le Parti des parties » pour défendre les droits de tous nos membres ! ha voilà, ça y est vous me remettez, oui oui c'est moi aussi qui ai écrit « La bite pour les nuls »… vous voulez une dédicace ? mais bien sûr mademoiselle, et comment s'appelle le sexe de votre copain ? Berlingo comme sa camionnette ? Et voici : « à Berlingo et à sa camionnette ». Mais je vous en prie, tenez… Suivante s'il vous plait…

Entre deux rires, Sam interpelle Tess qui passe tout près :
-    Tess, viens que je te présente Monsieur Bite

Ils s'esclaffent tandis qu'elle les regarde avec un drôle de sourire.

Deux heures plus tard, Sam est en grande forme. Satisfait, parce qu'il a déjà la réponse à la question que tout le monde va se poser quand l'Azimut va fermer. Avec défi et confiance, il avance vers le bar. Il aime être l'homme de ces situations, celui qui sait où se trouve le meilleur after. Cette compétence, utile et populaire les week-ends, lui vient de son refus catégorique, pratiquement viscéral, de renoncer sans réagir à la perte de sept nuits par semaine. Il a même ébauché une théorie à ce sujet, la théorie des dix minutes. Partant d'une étude de la très sérieuse Royal University of Edinburgh il a calculé que dormir sept heures par nuit pendant soixante-quinze ans, équivalait à vingt-deux ans de sommeil. Au comptoir, il annonce à Jeff que Tess propose de continuer chez elle en petit comité. Alors qu'il s'attend à une approbation joyeuse de sa part, celle-ci ne vient pas. Au contraire, Jeff lui dit d'une voix blanche qu'il est naze et qu'il va rentrer pour « mourir dans son lit ». Sam s'emporte et lui rétorque :

-    mais putain arrête tes conneries, si ta vie durait DIX minutes, rien que DIX PETITES MINUTES, est-ce que tu choisirais d'en perdre trois pour dormir ? vraiment mec, crois-moi, le marchand de sable c'est rien qu'un p'tit voleur de merde !

Jeff souffle, car il la connait par cœur la thèse de Sam et son analogie des dix minutes. Tous les week-ends, c'est la même chose. Ils ont droit à un rappel théorique, très souvent suivi d'une mise en pratique, avec des nuits qui durent des jours. Et Sam qui rabâche toujours la même histoire : à l'échelle d'une vie de dix minutes, c'est des putain de secondes que cet enfoiré de sommeil, ce preneur d'otages n'aura pas. Mais cette fois-ci, Jeff est décidé, fatigué et passablement ivre :

-    non franchement je suis dead, faut que je dorme

Sam ignore sa réponse, et lui montre un sachet qu'il sort de sa poche :
-    j'ai une coke de fou mec, allez viens on va rigoler, on boit juste quelques bières et après on rentre je te promets
Le mot coke vient de se répandre comme une trainée de poudre dans le cerveau de Jeff. Incapable de refuser, il s'entend capituler sans condition :
-     ok ça marche, va pour un verre chez Tess.

A présent, il fait grand jour dans le loft de Tess. Ils sont autour de la grand table indus. Ils sont pliés de rire quand Saïd balance en montant sur le canapé :
-    je te jure meuf, David August c'est juste le meilleur boiler ever-heuuuu
Il fixe Tess dans les yeux pendant une seconde avant d'ajouter :
-    son track à 17 :22 c'est du love en barre-heuuuu.

Et à chaque fois qu'il conclut ses phrases par un heuuuu tonitruant, il provoque l'hilarité générale. Ils ont même du mal à respirer quand Tess le traite d' «hipsterique ». Seul Jeff reste à l'écart près de la baie vitrée. Il peine à intégrer leurs conversations, avec un cerveau trop fatigué pour participer, et un corps trop éveillé pour aller se coucher.

A seize heures, tout le monde a quitté les lieux, il ne reste que Tess et Sam. Pareil à la cave d'un bar en fin de nuit, des dizaines de bouteilles sont empilées un peu partout : sur la bibliothèque, sous la table et même dans le grand pot en terre cuite où une Heineken à moitié vidée attend sa dernière heure. Excédée, Tess ne sait plus comment signifier à Sam qu'elle veut dormir et que ce serait bien qu'il en fasse de même. Il fait semblant de ne pas l'entendre. Elle décide de le laisser en plan dans le salon, non sans lui dire qu'elle en marre de son cinéma et que c'est la dernière fois qu'ils font un after chez elle. Les cheveux ébouriffés, le visage phosphorescent, penché sur son téléphone, Sam ne réagit pas. Après avoir écouté encore quelques morceaux, il se décide à partir, car il a l'info qu'il attendait : il y a un autre after qui continue à Nanterre.

Déambulant le long du boulevard Magenta, il s'allume une JPS noire. Sur le trottoir d'en face, il aperçoit une fille en robe bleue. Immédiatement, il pense à la fille de l'Azimut, celle dont la peau pulsait avec le beat. « J'ai jamais vu quelqu'un bouger comme elle » se dit-il en y repensant. Il se dit aussi que cette fois il ne va pas laisser passer l'occasion de lui parler. Il accélère pour la rejoindre. Il l'aborde avec des mots simples, efficaces : « hey salut, t'étais à l'azimut tout à l'heure non ? » Et quand les images syncopées de son corps brulant lui reviennent, cela lui donne du courage  « c'était fou la façon dont tu dansais, c'était beau même ! » Tout en le regardant fixement, elle répond à sa question, et lui confirme que c'était bien elle. Elle ajoute avec un accent qu'il juge américain :

-    tu aurais une cigarette ?
-    ouai ouai, tiens

Sam lui tend son paquet et de sa main droite il attrape son briquet. Et quand la flamme jaillit, elle se penche vers lui. Après quoi, ils se présentent :

-    au fait, moi c'est Sam
-    ok, salut Sam moi je suis Kate
-    tu fais quoi, tu rentres ?
-  ouai j'étais en train de rentrer lui dit-elle d'une voix neutre, avant de poursuivre :
-  j'étais chez des potes, mais ils sont tous partis se coucher

Une lueur traverse les yeux grands ouverts de Sam :
-    alors tu n'as pas sommeil toi non plus ?
-    bof pas trop
-   ah ok, si ça te dit je vais chez des potes, il y a encore du monde là-bas
-    c'est loin ?
-    ouai un peu, faut prendre le RER
-    ah non, j'aime pas le RER
-    ouai ouai… c'est sûr c'est chiant
-   mais si tu veux on peut aller chez moi, c'est à côté et on pourra écouter de la musique si ça te dit ?
-    mais grave, attends c'est comme demander à un ours s'il veut aller au salon du miel
-    super, alors allons-y !
Sam réfléchit avant de lui demander en souriant :
-  ça te fait pas peur d'inviter chez toi un mec que tu connais pas ?
-    bein non, pourquoi je devrais avoir peur ?
-   non c'est pas ça, mais imagine, je sais pas moi, que je sois un vampire tiens par exemple
-   alors déjà les vampires, ça sort pas en plein jour, et puis, qui te dit toi, que moi je ne suis pas une sorcière ou une extraterrestre ?
Sam acquiesce :
-   ok tu marques un point, alors voilà ce que je te propose : on va chez toi mais on se méfie, tu gardes un œil sur moi et moi je garde un œil sur toi, juste au cas où l'un de nous serait complètement taré !

Pour la première fois, ils rient tous les deux. Quelques minutes plus tard, ils arrivent au sixième et dernier étage d'un bel immeuble en pierre de taille. Sam s'installe dans le salon, attiré par l'impressionnante collection de vinyles de son hôtesse. Impossible d'en estimer la quantité. Bien que ce ne soit pas la version originale, il reconnaît la morceau qu'elle vient de mettre. Intrigué, il lui demande ce que c'est. « C'est une reprise de la Ballade de Jim de Souchon que j'aime bien » lui répond-elle avant de lui demander si ça lui plait. « Ouai c'est super cool ». Et quand elle pose un plateau en plastic sur la table, elle ajoute que le « petit-déjeuner est servi ». Il se sent bien. Porté par l'ambiance aérienne de la musique, il a envie de se laisser guider. Furtivement, il regarde à quoi ressemble le breakfast de Kate : une bouteille de Jack Daniels et de la poudre brune qui ressemble à de la kétamine. Comme pour la musique, il est curieux. Il veut également s'assurer que c'est bien de la kéta. Il lui pose la question. Elle répond : « Oui c'est du Special K, idéal pour le petit-déjeuner non ? ». Il sourit pensivement, puis il est tenté de rire, parce qu'un truc stupide vient de lui venir. Après un instant d'hésitation, il lui balance : « allez, tu peux me le dire, ton vrai prénom c'est Katamine ? ». Elle fait semblant d'être navrée, mais pour la seconde fois, ils rient ensemble.

Pour la seconde fois également, ils ont couché le soleil. Après avoir testé deux fois le produit, il sent que sa bouche parle, mais il ne comprend pas les mots qu'il prononce. C'est une sensation étrange que d'être son propre spectateur. Qui es-tu ? Je suis moi. Et toi ? Je suis toi aussi. Où es-tu ? Je suis là. Et moi ? Toi aussi tu es là, à côté de moi. Ces réflexions délirantes se succèdent jusqu'à ce qu'il s'intéresse à ses sensations physiques. Il a chaud, pourtant il ne porte qu'un boxer. Il ne sent pas le contact de sa peau, pourtant Kate est assise sur lui. En revanche, il a l'impression qu'elle rit très fort, juste dans son oreille, ce qui lui est désagréable. Il veut s'allumer une cigarette, mais pour cela, il doit saisir son paquet. Le problème c'est qu'il ne le sent pas, c'est comme si tout ce qu'il touchait n'avait plus de texture. Fort de ce constat, il comprend qu'il a perdu le sens du toucher, et à l'idée de rester insensible pour toujours, il ressent soudain une forte angoisse. Il veut se confier à elle mais elle parle sans s'arrêter. Une fois encore, elle lui demande pourquoi il ne veut pas se coucher et pourquoi Tess voulait qu'il parte. Il entend une voix, la sienne très probablement, évoquer les dix minutes de la vie d'un vampire. Il ne comprend pas la réponse de Kate. A ce stade, il faut dire que tout est confus sur le plan sensoriel. « Je veux t'aider mon petit vampire ». Son corps est aspiré comme une poussière. Cela n'a pas de sens, c'est impossible même quand il y pense, mais quoi qu'il en soit vraiment, il est sur le point de perdre l'équilibre. Avec une immense difficulté, il parvient à articuler un « je dégringole ». La voix de Kate va et vient dans son oreille, toujours très présente. « Tu vas les avoir tes dix minutes ». Après quoi, il ressent un léger picotement au visage. Peut-être est-ce dû à la chaleur qui coule le long de ses joues. « Ouvre grand tes yeux mon joyeux fêtard ». Et pour la dernière fois, il entend son rire.

 « Il fait noir, putain j'ai mal ». Ce sont les deux pensées qui occupent Sam. La douleur empire et le frappe durement à l'intérieur. Il a l'impression que quelqu'un s'amuse à verser de l'eau bouillante sur ses yeux. Sous le poids de la souffrance, il baisse la tête. Il n'arrive pas à localiser d'où ça vient, ses mains se portent à son visage pour toucher sa mâchoire. Tout semble en place. Ses doigts continuent de monter. Il n'y a pas moyen de se rappeler l'endroit où il se trouve, si ce n'est qu'il est allongé sur un lit. Il ne voit toujours rien. Ce n'est pas normal un noir pareil. Sous l'effet de la peur, sa colonne se contracte. « Qu'est-ce qui m'arrive putain ? ». En se retournant d'un coup sec, il constate qu'il est accroché à quelque chose. Sa respiration se bloque, il suffoque presque. Au bout de quelques secondes, l'air finit par revenir, mais son souffle reste court. Sa main peut reprendre sa progression jusqu'à atteindre son nez qui est recouvert par quelque chose. « Merde c'est quoi ça ? ». Quand il comprend que c'est un bandage, il commence à paniquer tout à fait. Tentant de quitter sa position couchée, il fait tomber le truc auquel il était attaché. Une chute instantanément suivie d'une douleur terrible au bras gauche et d'un affolement cardiaque.

En tâtonnant, il arrive à faire sauter l'attache qui tient les bandes, et commence à les défaire. Au fur et à mesure qu'il progresse, la souffrance monte encore de plusieurs crans. Il manque de s'évanouir quand il atteint les dernières bandelettes. Même en insistant, elles ne veulent pas céder, c'est comme si elle étaient collées à même sa peau. Alors, il décide de faire ce que l'on fait toujours lorsqu'on veut enlever un pansement, il sert les dents, et tire d'un coup sec. Il pousse un hurlement. Le noir diminue légèrement, suffisamment en tout cas, pour qu'il distingue le goutte-à-goutte qu'il a renversé tout à l'heure. Nouvelle torture à la brûlure. « Mais putain mais qu'est-ce que c'est ? merde ! merde ! merde !». Il a envie de pleurer et de crier encore. Il se dirige lentement vers la pièce d'à côté. Tout est très sombre, si bien qu'il a du mal à trouver l'interrupteur. Et quand enfin la lumière jaillit, il s'aperçoit qu'il est devant un miroir et que ce qui lui fait face, c'est son reflet. Pourtant, il est incapable de valider ce fait, car il ne comprend pas ce qu'il voit. Il reste hébété. Puis, il est pris de spasmes. « Non ! non ! non ! non ! ». Il lui faut encore quelques minutes avant de formuler l'hypothèse qu'il a d'abord rejeté : le monstre qui lui fait face ne peut être que lui, Sam. Que c'est bien à lui, Sam qu'appartiennent ces deux énormes yeux rouges. Que cet être grotesque qui le regarde, c'est bien lui, Sam. Que c'est aussi à lui, Sam, que tout ce sang qui coule appartient. Parce qu'au-dessus de ses yeux, il manque la peau qui les protège. Parce qu'au-dessus de ses yeux, les paupières de Sam ont été méticuleusement arrachées.

 

 

 

 

 


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