Kidnappée.
Aurore Dupin
Je compte. Les trous dans le mur. Les planches qui font le sol. Le nombre de rats copulant dans un coin. Les toiles d'araignées. Le temps qui s'écoule.
Cela fait longtemps que je suis ici, assise sur une simple chaise en bois, les mains attachées devant moi, et le vent glacial me picorant le corps. Je tremble, mes dents claquent, ma peau est parcouru de frisson, mais il n'y a rien dans cette pièce sombre qui puisse me réchauffer. Et les rares rayons de soleil ne sont pas suffisant pour battre l'hiver. Alors j'attends, grelottante, que quiconque vienne me sortir de là.
Mes yeux sont bandés, mes mains coincées dans mon dos et reliées à mes pieds par une corde qui me scie la chair. Et mon corps, auparavant balancé vulgairement dans une voiture, roule de droite à gauche à chaque virages brusques. Je ne sais pas pourquoi je suis là, dans cette voiture, bâillonnée et menottée. Je ne sais pas ce que j'ai fait pour qu'on me «kidnappe» de cette façon. Au fond de moi, j'espère que ce n'est qu'une blague pas vraiment drôle de mes amis. Un espoir vain, puisqu'ils ne sont pas assez tordus pour faire cela. Alors j'attends, puisque je ne peux ni parler ni bouger. J'attends que le temps passe, qu'on arrive enfin à destination, et qu'on me dise enfin pourquoi je suis là.
J'aimerais secouer mon pied, celui qui est en train de se faire grignoter par un rat affamé, mais c'est impossible. On m'a littéralement immobilisé avec des cordes très serrées. Alors je me contente de lui parler, à ce rat. Je lui demande d'arrêter, de s'en aller, de me laisser tranquille. J'adorerais lui hurler dessus, histoire de le faire fuir, l'effrayer, mais je n'ai plus de voix. Je l'ai perdu à force d'hurlements sans aboutissement. Je lui donne un coup de doigt de pied qui le fait me mordre un peu plus sauvagement, m'arrachant la peau à l'aide de ses petites dents acérées. Je ne proteste pas, serrant simplement les dents à m'en faire grincer la mâchoire. Puis une porte s'ouvre.
La voiture a cessé de rouler il y a de cela déjà un certain temps et pourtant, personne n'est venu me sortir de là. Comme si on m'avait oublié. Je remue comme je le peux, essayant de me redresser sans les mains. Mon bâillon est imprégné de salive et commence quelque peu à tomber, se desserrant lentement. Et c'est lorsque je réussis enfin à me mettre en position assise que la portière s'ouvre et dévoile une haute silhouette noire éclairée par des rayons ardents. L'ombre s'approche de moi, tend les mains dans ma direction, et j'essaye par tous les moyens de m'éloigner de cette présence sombre et oppressante.
À l'instant même où la porte se met à grince, j'arrête de respirer. La peur prend rapidement possession de moi, mon cœur bat à cent à l'heure, et je clos mes paupières dans un instinct protecteur. J'entends des pas s'approcher de moi, mes poings se serrent, et le rat s'en va loin de moi. Un souffle court le long de ma joue droite, me brûlant presque, me faisant frissonner. Je presse mes yeux un peu plus, de même avec ma mâchoire déjà grinçante, et tenter de dégager ma tête loin de cette haleine terrifiante. J'ouvre les yeux lorsqu'une main froide sur pose sur ma joue gauche, brûlée par le soleil. Le contraste de chaleur me fait hurler de terreur malgré ma voix cassée, faisant résonner dans la petite pièce un son inarticulé, tremblant et éraillé. Je secoue la tête dans tous les sens, essayant en vain de me défaire de cette emprise incendiaire.
On me soulève de force alors que je me débat comme je le peux. Mon corps gigote, se tend, se recroqueville, s'arque, et mes pieds tremblotants tentent de frapper quelque chose sans savoir quoi véritablement. Peut être cet inconnu sombre qui me tient fermement pour me dépêtrer de là et m'enfuir, ou bien moi-même, histoire de me faire revenir à la réalité. C'est impossible que je sois là, dans des bras étrangers. Cela n'arrive qu'aux autres. Puis on me lâche, je m'effondre sur le sol dur et me tortille comme un ver pour partir même si je ne vois rien. Ce putain d'instinct qui me disait « Demande à quelqu'un de te raccompagner. » me dit maintenant « T'es dans la merde ma pauvre, tu peux rien faire, t'es foutue. ». Mais je ne veux pas. Alors je me dirige je ne sais où. On m'enlève mon bandeau d'un coup, mes yeux s'ouvrent sous le choc et mes rétines se font brûler sous le soleil éclatant que j'entrevois à travers la fenêtre à barreaux.
L'inconnu se place devant moi, sa main contre ma joue, l'autre empoignant violemment mes cheveux. Il me met la tête en arrière, me tient le menton, et me crache au visage. Mes yeux s'écarquillent d'effroi, ne comprenant pas sa réaction. Puis il me baffe, sa main m'arrachant le cuir capillaire. Des larmes se forment, je les sens, mais essaye de les retenir le plus possible. Mais j'échoue lamentablement lorsqu'il me frappe dans le ventre, me faisant me ramasser sur moi-même autant que possible. Mes oreilles sifflent, mes larmes dévalent mes joues froides, et j'entends un rire faire écho dans ma cellule macabre tandis que je le supplie d'arrêter. « Tu ne mérites pas de vivre, tu n'es qu'une abomination. Tu es gay. Pauvre fille, tu es pourtant jolie. Quel gâchis. Tu ne peux que crever maintenant. »
- J'ai peur, Émilie.
- De quoi tu as peur, ma chérie ?
- Des homophobes. Tu as vus ce qu'ils ont fait à Damien et Greg… Je ne veux pas subir la même chose.
- Je te le promet, mimi-papillon. Je te protégerai.
- Merci Émilie.
Terrible mais réalité ! Texte poignant que l'on dévore le cœur serré, l'on voudrait tant que ce cauchemar s'arrête !
· Il y a presque 9 ans ·Louve
c'est percutant et beau à la fois. c'est la triste réalité.. bravo, sujet vraiment bien traité je trouve !
· Il y a presque 9 ans ·Maux Délaissés.