L' O et l' R

Isabelle Revenu

J'aurais pas dû tourner les poches de mon pantalon dans le jardin. Il a tant plu que les mares de boue sont nombreuses. Et évidemment, comme un fait exprès, les dernières illusions dont je nourrissais mes maigres repousses s'y sont ensevelies. Disparues comme le Poséidon en haute mer.  Sans un soupir. A peine un mouvement de recul.

Oh que si bien sûr, j'ai essayé de les rattraper au vol mais je dois reconnaître que l'âge n'aidant pas, j'ai autant de souplesse qu'un verre de lampe.

Il ne faudrait jamais laver son linge sale en public. On n'y gagne aucun tonnerre d'applaudissements. Juste un malaise qui vous prend dans l'arrière-gorge. Qui vous étreint les ventricules, qui vous laisse la figure blanche  comme un linceul.

Il y a l'envie endiablée de ressortir le paquet d'espoirs atrophiés de sa gangue d'argile molle. De lui crier J'arrive !!

De lui lancer n'importe quoi, un morceau de bois mort, une branche à laquelle se raccrocher. Une bouée rustinée de neuf, un ballon d'air frais, une bulle de savon pour tout refaire propre comme auparavant. Du bouche-à-bouche ou un électrochoc salvateur. Je ne sais pas moi, faire quelque chose.

Mais peau de zob, on reste comme un gland d'automne pas encore prêt à se casser la gueule sur un sol ingrat et revêche.

On campe sur nos positions, cherchant dans nos tiroirs le mot qui fera fléchir les genoux d'en face. Ou mettre notre orgueil au fond de l'autre poche et tomber à notre tour au chant de fleurs.

J'en étais là de mes réflexiombres lorsque P'tit Filou s'est posé sur la branche moussue du chêne d'en face.

Au lieu de me saluer il a poussé ses notes mélancolieuses dans le ciel nuageux.

-♫•*¨*•`♥♪♫.☆´¯Ƹ̴Ӂ̴Ʒ.¸¸.•.♪♫•*

- Je suis content de revoir ta frimousse mais tu pourrais me dire bonjour. Décidément tu n'as pas oublié que ma pomme mais le BA BA de la politesse aussi. Je ne suis pas très content. Tu m'as beaucoup manqué tu sais et au lieu de me saluer tu chantes ...

- *•.¸¸.•.♪♫•*¨*•.¸♫♪♥...•♥ ?

- Ben bonjour alors...Non, ça va pas fort. Je viens à l'instant de perdre mes illusions dans la fange du jardin. Déjà que les fleurs sont fanées ...D'où arrives-tu ? 

- *•☼¸¸.•*¨*•♫♪♥.•♥♫❥¸¸.☆¨¯`♥❥

- Et tu as fait tout ce chemin pour moi ? Je ne pensais pas avoir pleuré si fort...Tu es un vrai ami. Je suis confus de ne pas avoir dominé mes sentiments. Je n'étais pas vraiment en colère après toi. Simplement inquiet à ton sujet.

Tu sais l'architecte, celui qui me garde debout, celui qui a posé sa pierre angulaire, sa clé de voûte en moi ?

Et bien petit à petit il renforce mes fondations, repeint mes sous-sols, retourne la terre et ensemence mon carré de jardin.

Je pense que le printemps sera radieux et la récolte prochaine abondante. Ce sera grâce à lui. A la délicatesse de son regard sur moi.

- ◐ *•.¸¸.•.♪♫•*¨*•.¸ ?

- Pourquoi j'ai de l'eau plein les mirêtres ? Ah ça...c'est la connerie de naître humain.

Les animaux n'ont pas à ma connaissance de besoin pareil. Ils naissent, grandissent, se chassent mutuellement et quand la hiérarchie s'installe, c'est pour un moment. Il n'y a que le soir de sa fin prochaine que le chef de meute consent à céder sa place. Par un troc ingénieux qui le laisse grand dans l'estime de ses congénères, il livre un ultime combat pour l'honneur. Sa place de dominant contre un dernier coup de griffe, histoire de partir la tête haute. Sans regrets.

Moi quand je perds, ce n'est pas simplement une question de fierté. C'est un passage à gué dont je ne me souviens plus de l'emplacement exact et je suis alors dans l' impossibilité temporaire d'atteindre l'autre rive. Une tétanie passagère où les crocodiles pourraient me bouffer tout cru sans que je fasse un geste de révolte.

C'est fou ce que les cons génèrent.

Ayez la désobligeance de me considérer comme nul et non avenu.

Quand j'étais marmot, je me tapais royalement de ce que Jiminy Cricket pouvait rabâcher à Pinocchio. Pour tout dire je le trouvais un tantinet casse-couilles.

A présent que j'ai passé l'âge de déraison, j'en prends plus souvent que j'en laisse. Et je dirais même que je recherche la remise sur les rails. Surveiller les aiguillages. Sans pour cela garder toujours les droites parfaitement parallèles. Quitte à faire une petite incursion inoubliable dans la vie de quelqu'un d'autre....Ou dans son coeur tant qu'à chemin de fer.

Je n'y gagnerai sans doute que des cacahuètes mais au fond, tout au fond de moi, dans un repli idyllique de ma pauvre tête il y aura ce souvenir tatoué sur le voile de mes yeux éteints  : l'infinie douceur de son dernier baiser.

Maintenant que j'ai brossé le portrait de mes couleurs en-ciel, il est hors de question de m'abeausir en mendiant quelques jolies promenades en sous-bois. Se promener c'est bien quand on doit se vider un peu l'esprit.

Faudrait déjà que j'emplisse le mien.

- ♥❥¸¸.☆¨¯`♫•*¨*•`♥♪♫ !!!

- C'est vrai que tu chantes bien P'tit Filou. Et j'ai envie de m'y laisser prendre à nouveau...

Ca durera le temps d'une autre lessive où les poches bourrées à craquer d' illusions bouffies de soleil, je retournerai ma veste une fois encore, laissant tomber le contenu dans les gouttes de septembre.

Ainsi va la vie...

Ainsi meurt l'Amour....

  • <3

    · Il y a plus de 12 ans ·
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    Isabelle Revenu

  • Il y en a qui craqueraient pour moins que cela... insensible celle-là?
    La peine de cœur va si bien à ta plume... mais, silence, laissons P'tit Filou chanter encore longtemps et si joliment.

    J’ai cueilli ce brin de bruyère
    L’automne est morte souviens-t’en
    Nous ne nous verrons plus sur terre
    Odeur du temps brin de bruyère
    Et souviens-toi que je t’attends.
    G.A.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

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