La Baie des Anges.

lolo-patchouli

Un mariage télévisuel...


« … Angie, I still love you baby
Ev'rywhere I look I see your eyes
There ain't a woman that comes close to you... ». Extrait de Angie, The Rolling Stones.


« Tu sais bien que les femmes n'utilisent pas d'armes et ne portent pas de pantalons trop serrés Georges ! Et tu sais pourquoi ? C'est parce qu'elles ne possèdent pas le flegme des hommes. Elles s'en débarrassent ».

De la bouche de Jeanne sortaient toujours des réparties pour le moins inattendues, des phrases toutes faites sans queue ni tête qu'elle affirmait haut et fort n'imaginant pas une seule seconde qu'elle racontait des inepties aussi stupéfiantes que l'était sa naïveté. Mais ce qui détonait le plus chez Jeanne, ce n'était pas son éloquence accidentelle, ce qui fascinait le plus chez Jeanne, c'était la légèreté de ses tenues. Des tenues affriolantes autant que désarmantes, des tenues transparentes subtilement inexistantes, des petites toilettes émoustillantes, hyper bandantes, déroutantes, affolantes, bref, des tenues aussi légères qu'une bouffée d'air en altitude.

Jeanne portait la finesse de chaque tissu comme un tableau de maître. Ondulant de pièce en pièce telle une sirène, s'asseyant sur des assises en ayant pris toutes les précautions de ne pas froisser un seul morceau du tissu qui la couvrait, Jeanne flirtait avec l'air.

Jeanne, elle s'en moquait pas mal de ce que les gens pouvaient bien se dire parce que c'était pas elle la plus gênée, lançait-elle à la volée lors d'une conversation dont ça n'était pas le sujet.

Jeanne, elle ressemblait à une friandise, à un cup cake vanille-fraise. Elle sentait bon le Patchouli mais celui de chez Dior pas celui des bouis-bouis. Jeanne aimait la vie et elle aimait un seul homme, son homme. Lui le savait. Alors la légèreté de ses tenues il n'en avait que faire, bien au contraire, il l'a laissé faire et il adorait ça. Il adorait que sa compagne devienne la gourmandise de chaque mâle qui franchissait la porte de leur maison carrée. Il adorait qu'on la regarde, qu'on l'observe, qu'on la dévisage, qu'on l'envisage. Il adorait tellement ça qu'il les regardait faire. Il les voyait tous zyeuter et faire semblant de ne pas voir.


Quand un documentaire sur le mariage fit son apparition sur le petit écran télévisuel, Jeanne se pencha en avant. Jeanne avait pris l'habitude de se pencher en avant pour voir ce qui l'intéressait car elle était myope comme une taupe et détestait les lunettes, quant aux lentilles pour les yeux ou en boîte, il ne fallait même pas lui en parler sinon elle se mettait en colère et devenait rouge écarlate. Alors on s'abstenait.
Le problème de cette inclinaison vers l'avant, qui pour d'autres étaient une aubaine, était qu'elle portait des jupes courtes, très courtes, très très courtes. Alors quoiqu'on fasse pour détourner l'attention, quoiqu'on porte sur les arêtes du nez, quoiqu'on dépose à l'intérieur de son œil, on ne pouvait faire autrement que tomber sur la toison de Jeanne et sur la raie de ses fesses qui claquaient en pleine face à travers ses culottes transparentes.

Les femmes présentes se cherchaient quelque chose à faire en cuisine. Les enfants prétextaient qu'ils avaient un jeu à terminer pour ne plus avoir à subir cette déroutante vision de jungle, et, plus vite qu'ils avalaient une assiette de carottes vichy, ils grimpaient quatre à quatre les marches accédant aux chambres. On les entendait souffler comme des bœufs et pouffer de rire en gardant bien les mains sur la bouche pour rester un peu discrets. Quant aux mâles de tous âges, ils se rinçaient l'œil et n'avaient pas besoin de lunettes ou de lentilles. Et Jeanne, elle n'y voyait toujours que du feu.


C'était l'hiver, elle s'éloigna du feu qui crépitait dans le foyer de la cheminée sinon elle finirait par crépiter aussi. Elle sentait le feu monter en elle. Il ne fallait pas qu'il la touche maintenant sinon elle partirait. Elle s'évaderait dans la Baie des anges, là où elle avait toujours rêvé d'aller même si elle répétait, incrédule, qu'elle ne savait pas où ça se trouvait, que c'était peut-être une invention des médias qui se plaisaient à dire tout le temps n'importe quoi.
La cravate de son homme était trop longue, elle descendait sur son pantalon, là où on ne tombe pas par hasard. L'envie d'attraper la cravate débordait de Jeanne mais ils avaient des invités qui regardaient aussi la télé. Une dévorante goinfrerie la submergeait, une brûlante envie, un désir érectile, une chaleur indescriptible se propageaient à l'intérieur de ses organes, elle finirait par exploser.
Lui, ne se doutait de rien, il ne voyait rien, il ne sentait rien. Il regardait le cheval courir sur la plage autour d'un couple d'amoureux enlacés comme des koalas.
Ensuite, le couple quitta la corniche et monta sur le dos du cheval, elle en amazone, lui tel un cavalier de l'Apocalypse. Dans la foulée, ils galopèrent à en perdre haleine. Quand ils arrivèrent face à la Baie des Anges, il se rendit compte que la traîne de sa future ex femme avait essuyé la poussière et qu'elle était trop sale pour un mariage... Il déposa son amazone, enfourcha à nouveau sa monture, et s'enfuit au galop.


Soudain, pris d'une effusion de tendresse, Georges déposa un baiser d'ange sur la joue de Jeanne en lui chuchotant au creux de l'oreille qu'il voulait bien l'épouser face à la Baie des Anges. Quelle bonne idée, se dit-elle, en lui rendant un baiser. Puis, elle mit tout le monde dehors et éteignit la télé...



Signaler ce texte